Débat

Isabelle Stengers et François Chesnais

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«Socialisme ou barbarie»:
les nouvelles dimensions d’une alternative

François Chesnais *

Cela fait environ deux mois qu’on peut lire sur le site de Contretemps un chapitre du dernier livre d’Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient. Le livre a été publié en mars 2009 par les Editions Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte. Le chapitre disponible en lecture libre n’a pas fait à ce jour l’objet de commentaires sur le site. Il a même reçu assez peu de visites (il y en a eu 323 au moment où je termine ce texte, dont deux qui me sont imputables !). De façon plus générale, le livre semble avoir suscité assez peu d’articles discutant les positions présentées[1] et au moins à ma connaissance, aucun du côté des anticapitalistes. C’est pourtant à eux que son livre s’adresse, je dirais même en premiers. Le peu de réactions confirmerait alors ce qu’elle dit redouter. Elle anticipe que face à la menace climatique «des appels à l’union sacrée soit proposés» par le capital sous les figures de «l’Entrepreneur», de «l’État» et de «la Science», avec «les accusations de trahison qui accompagnent automatiquement de tels appels». Mais ce que Isabelle Stengers craint surtout, est «que cela n’incite ceux qui résistent, à constater du bout des lèvres seulement que le réchauffement est en effet un ‘problème nouveau’, ce constat étant suivi immédiatement par la démonstration de ce que ce problème, comme tous les autres, est à mettre au compte du capitalisme, puis par la conclusion qu’il s’agit donc de maintenir le cap, sans se laisser troubler par une vérité qui ne doit pas déranger les perspectives de la lutte» (p.69). Il serait effectivement désastreux que la signification de la crise du changement climatique et ses implications soient si lourdes de conséquences que ceux qui liraient normalement un essai sur un tel sujet hésitent à le faire, ou alors l’ayant lu gardent le silence. Il peut y avoir désaccord, comme on le verra plus loin, sur certaines des propositions faites par Isabelle Stengers sur le plan de l’action politique au sens large. Mais alors il faut les exprimer, de façon à permettre au débat de s’ouvrir.

En septembre 2008, j’ai défendu, d’abord dans une intervention à Buenos Aires puis dans Inprecor, l’idée que «nous entrons dans une phase qui est réellement celle de la crise de l’humanité, dans ses relations complexes. Celles-ci incluent les guerres. Mais même en excluant le déclenchement d’une guerre de grande ampleur, une guerre mondiale, qui ne pourrait présentement être qu’une guerre nucléaire, nous sommes face à un nouveau type de crise, la combinaison de cette crise économique qui a commencé avec une situation où la nature, traitée sans égards et brutalisée par l’Homme dans le cadre du capitalisme, réagit de manière brutale. C’est quelque chose qui est presque exclu de nos discussions, mais qui va s’imposer comme un phénomène central»[2]. Je n’avais pas souligné ces mots dans l’original. Le livre d’Isabelle Stengers me le permet. J’ai abordé les questions écologiques en lecteur de Marx, ayant privilégié depuis très longtemps chez lui tout ce qui aide à comprendre l’accumulation ou plus exactement l’expropriation primitive, le caractère de classe des technologies produites dans le cadre capitaliste et tout ce qui annonce dans le Capital le processus de transformation des «forces productives» en forces destructives. Isabelle Stengers a fait de l’activité de recherche et de la science un de ses principaux sujets d’étude[3]. Forte de cette autorité, elle donne un nom à «la réaction brutale de la nature brutalisée». Ce nom est «intrusion de Gaïa». Depuis que j’ai lu son livre, je me sens moins seul sur cette question. Je constate comme elle que l’idée de cette intrusion fait peur. «Gaïa» oblige à reconsidérer les raisons qui fondent l’engagement révolutionnaire (finis les «lendemains qui chantent»). Ensemble avec d’autres éléments, ses positions bousculent profondément la vision de ce que c’est de «faire de la politique».

Accepter de compliquer une lutte déjà très difficile

Isabelle Stengers se revendique de Rosa Luxembourg et de son cri «socialisme ou barbarie» qui a lui dicté une partie du titre de son livre. Dans son interview à Mediapart, elle explique bien les enjeux derrière les mots. «Quels mots on abandonne à l'adversaire, quels mots on considère comme radicalement déshonorés, et quel mot il faut pourtant garder vivant, même s'il a été déshonoré. Si on abandonne tous les mots qui ont été déshonorés, on n'aura plus le moindre mot. Et donc barbarie est un mot que je veux garder, parce que je pense que l'alternative socialisme ou barbarie, elle est devenue encore plus concrète aujourd'hui qu'il y a un siècle». Stengers dit sans ambages d’où elle parle. Du côté de «ceux et celles qui se veulent les héritiers d’une histoire de luttes menées contre l’état de guerre perpétuelle que fait régner le capitalisme». C’est, dit-elle «la question de comment hériter aujourd’hui de cette histoire qui me fait écrire» (p.19). Isabelle Stengers est avec Jean-Pierre Dupuy l’une des rares philosophes de langue française à avoir mis les questions écologiques, et au premier chef celle du changement climatique, au cœur de sa réflexion. À la différence de Dupuy venu du libéralisme[4], elle n’est pas une théoricienne de la catastrophe, mais du combat contre une nouvelle dimension de la barbarie. «Un autre monde est possible ! Ce cri n’a rien, vraiment rien, perdu de son actualité. Car ce contre quoi, il s’est élevé, le capitalisme – celui de Marx, bien sûr, non celui des économistes américains – s’active déjà à concocter ses propres réponses qui nous mènent droit à la barbarie. C’est dire que la lutte revêt une urgence inédite, mais que ceux et celles qui sont engagés dans cette lutte doivent également affronter une épreuve dont ils n’avaient vraiment pas besoin» (p. 59).

Isabelle Stengers veut donc contribuer à ce qu’il se produise, et cela aussi vite que possible, une rupture radicale dans la pensée de l’émancipation. Une rupture rendue indispensable par l’entrée de l’humanité dans une nouvelle période de l’histoire de la barbarie capitaliste, celle des catastrophes écologiques et de leurs conséquences en termes de classes, qui ont été mis pleinement en lumière lorsque l’ouragan Katrina a ravagé la Nouvelle-Orléans. Son livre s’adresse dit-elle, à «ceux qui ne sont jamais soumis aux évidences de la première période de cette histoire et pour lesquels celle-ci productrice d’exploitation, de guerres, d’inégalités sociales sans cesse croissantes, définit déjà la barbarie» (p.18). Ces militants et ces résistants doivent désormais y ajouter les menaces spécifiques de barbarie qui naissent du fait que les manifestations diverses, aussi graves socialement les unes que les autres, résultant du changement climatique vont se produire dans un contexte marqué de part en part par les rapports de classes capitalistes. «Rien, dit-elle, n’est plus difficile que d’accepter la nécessité de compliquer une lutte déjà si incertaine, aux prises avec un adversaire capable de profiter de toute faiblesse, de toute bonne volonté naïve». Elle veut «faire sentir qu’il serait néanmoins désastreux de refuser cette nécessité»

La «vérité qui dérange»

Le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) date de 1990. Il établissait un premier constat sérieux et présentait des prévisions qui sont devenues, de rapport en rapport, toujours plus précises. Chaque fois que les faits sont venus «démentir» les prévisions, cela a toujours été dans le sens d’une accélération des processus qui marquent le réchauffement, notamment la fonte des glaciers africains et andins et celle de la banquise Arctique et Antarctique. Au cours de ces dernières années il a fallu, dit Stengers, «se rendre à l’évidence: ce qui était vécu comme une éventualité, le bouleversement global du climat, avait bel et bien commencé. La controverse entre scientifiques est close, ce qui ne signifie pas que les contradicteurs ont disparu mais que l’on ne s’intéresse plus à eux que comme à des cas, à interpréter par leurs accointances avec le lobby pétrolier ou par des particularités psychosociales (…) Il était admis que le réchauffement pourrait entraîner une diminution des capacités d’absorption du gaz émis par les océans ou les forêts tropicales, c’est l’une de ces boucles de rétroaction positive redoutables mises en scène par les modèles, dont l’activation devait être évitée car elle accélérerait et amplifierait le réchauffement. Il semble que ce soit déjà en train de se produire» (p.13-14). Elle souligne que nous sommes dans un cas de figure exceptionnel, où dans le cadre du GIEC, les «climatologues, glaciologues, chimistes et autres ont fait leur travail, et ils ont réussi également à faire retentir le signal d’alarme malgré toutes les tentatives d’étouffement, à imposer «une vérité qui dérange» malgré les accusations dont ils ont fait l’objet: d’avoir mélangé science et politique, ou alors d’être jaloux du succès de leurs collègues dont les travaux contribuent à changer le monde alors qu’eux se bornent à le décrire, ou encore de présenter comme ‘prouvé’ ce qui est seulement hypothétique. Ils ont su résister car ils savaient que le temps comptait» (p.58).

Voyons de plus près ce qu’Isabelle Stengers nomme «la vérité qui dérange». Cette vérité est que «nous avons affaire non plus seulement à une nature ‘à protéger’ contre les dégâts causés par les humains, mais aussi à une nature capable, pour de bon, de déranger nos savoirs et nos vies». Cette vérité est très dérangeante, non seulement pour les partis «Verts», mais aussi pour ceux que je nomme les «écologistes révolutionnaires». Les Verts en sont toujours à une meilleure protection des écosystèmes et de l’écosphère et sont prêts dans leur écrasante majorité à se satisfaire de peu. Ils voient le salut dans le «capitalisme vert» et cherchent à faire alliance avec lui[5]. Les écologistes révolutionnaires se donnent surtout comme objectif, la réparation après la victoire du socialisme du maximum possible des dégâts légués par le capitalisme, suivi de l’établissement avec la nature de rapports de gestion très prudente, un retour à une approche nécessairement planétaire, au «faire attention» dont Stengers parle, qui a été détruit par l’injonction du «développement», de la «croissance» (p.75). Lorsqu’ils se dépêtrent de formulations qui ne veulent pas couper les ponts avec le réformisme écologique, les «éco-socialistes» ont ces objectifs de réparation des dégâts et de gestion respectueuse des écosystèmes[6].

Il n’y a pas qu’eux. Il y a quelques mois encore, j’ai formulé moi-même une variante de cette position. J’ai mis l’accent sur les pistes proposées par Marx lorsque dans les derniers chapitres du Capital, il ouvre aux «hommes socialisés, devenus des producteurs associés», la perspective de «combiner rationnellement et de contrôler leurs échanges de matière avec la nature, de manière à les réaliser avec la moindre dépense de force et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à la nature humaine»[7]. Sur ce mode, j’ai défendu de façon très optimiste à l’intention des militants du NPA, l’idée qu’il «n’y a que les producteurs associés, de nombreux pays et à la fin de toute la planète, qui puissent décider ensemble, moyennant la discussion et la négociation, le degré de division du travail entre eux qui paraît nécessaire au plan international ainsi que de planification de l’utilisation des ressources naturelles rares en fonction des besoins prioritaires»[8]. J’ai poussé plus loin dans cette voie dans un texte présenté à la réunion nationale de la Commission écologie du NPA en décembre 2008: «la protection de la nature contre la marchandisation capitaliste est inséparable de l'homme en tant que partie de la nature. Autrement dit, toute politique qui prendra à bras-le-corps la question écologique combattra aussi l'aliénation – l'aliénation marchande, mais aussi l'aliénation au travail – et cela avec une tout autre efficacité que les campagnes de «défense de l’emploi» où on peut voir les syndicats s’allier avec les employeurs sur des mesures comme les normes en matière de pollution. Il s’agirait de faire en sorte que l'individu ‘individuel’, création du capitalisme, divisé entre producteur et consommateur, privé de toute instance susceptible de l’aider à comprendre son expérience sociale dans ses principales déterminations, puisse devenir un producteur associé, en mesure de gérer ses rapports à son environnement naturel suivant une rationalité collective. Redéfini ainsi le socialisme est le mot qu’il faut réapprendre à défendre [9]». Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas vraiment cohérent par rapport à l’idée de «la réaction brutale de la nature brutalisée», avancée peu de temps avant, influencé sûrement par le fait de me trouver en Amérique latine et donc de voir le monde «d’ailleurs». D’où ma reconnaissance à Isabelle Stengers et à sa capacité à énoncer que «l’intrusion de Gaïa» appartient au hic et nunc, au nombre des questions auxquelles il faut chercher à donner des réponses aujourd’hui.

«L’intrusion de Gaïa » et les réponses à lui donner comme question de civilisation

La «vérité qui dérange», c’est que la «nature» a été malmenée à un point tel, de façon déjà si extrême, qu’elle a commencé à faire «intrusion» à une échelle qui va aller en augmentant. L’enjeu n’est pas de savoir ce que nous ferons dans les temps futurs plus propices du socialisme. Nous sommes face à une question immédiate. Cette question est profondément politique, au sens où c’est la vie de centaines de millions de gens qui va être directement affectée et souvent même mise en danger. Car «l’intrusion de Gaïa» se produit dans le cadre d’un système d’exploitation économique et de domination sociale, où le changement climatique est vu par les dominants d’un côté comme source d’investissements et de profits, de l’autre comme problème de maintien de l’ordre, venant s’ajouter à beaucoup d’autres.

Isabelle Stengers emprunte le nom Gaïa à l’anglais James Lovelock et l’Américaine Lynn Margulis. Ils se sont servis de ce nom de divinité grecque[10] pour synthétiser dans les années 1970, les résultats de recherches qui concouraient à mettre au jour l’existence d’un ensemble dense de relations réunissant ce que les scientifiques ont l’habitude de traiter séparément: les vivants, les océans, l’atmosphère, le climat, les sols plus ou moins fertiles. «Donner un nom, Gaïa, à cet agencement de relations, c’était insister sur deux conséquences de ces recherches. Ce dont nous dépendons, et qui a si souvent été défini comme le ‘donné’, le cadre globalement stable de nos histoires et de nos calculs, est le produit d’une histoire de coévolution, dont les premiers artisans, et les véritables auteurs en continu, furent les peuples innombrables des micro-organismes. Et Gaïa, ‘planète vivante’, doit être reconnue comme un ‘être’ et non pas assimilée à une somme de processus» (p.51). Certains associent au nom de Gaïa le terme «vengeance». Isabelle Stengers leur oppose celui d’intrusion. Mais l’invocation de Gaïa n’est pas neutre: «nommer Gaïa comme ‘celle qui fait intrusion’, c’est aussi la caractériser comme aveugle, à la manière de tout ce qui fait intrusion, aux dégâts qu’elle occasionne» (ici c’est moi qui souligne). Parce qu’elle a été malmenée de façon irréversible et parce que nous vivons dans une société capitaliste planétaire, «la réponse à créer n’est pas une ‘réponse à Gaïa’, mais une réponse tant à ce qui a provoqué son intrusion qu’aux conséquences de cette intrusion» (p.49). C'est-à-dire d’un côté au capital dont le mouvement de valorisation «sans fin et sans limites» est directement responsable du rythme de plus en plus rapide de dégradation de l’écosphère et des écosystèmes ; de l’autre à la barbarie dont la Nouvelle-Orléans a fourni le premier exemple dans un «pays avancé».

Dans un pays avancé, mais pas au plan mondial où depuis une décennie des catastrophes climatiques ont eu lieu loin des pays avancés, dans une indifférence quasi-totale. Le caractère inégal et différencié dans l’espace mondial, des effets sociaux des processus de destruction écologique crée une difficulté politique majeure. Claude Serfati et moi la signalions déjà en 2003: «ce dont il est question aujourd’hui, derrière les mots ‘écologie’ et ‘environnement’, n’est rien moins que la pérennité des conditions de reproduction sociale de certaines classes, de certains peuples, voire de certains pays. Comme ceux-ci sont situés le plus souvent, soit dans ce qu’on nomme aujourd’hui le ‘Sud’, soit dans l’ancien ‘Est’, la menace demeure lointaine et donc abstraite dans les pays du centre du système capitaliste mondial. Le temps de gestation très long des pleins effets de mécanismes présents dans le capitalisme dès ses origines, a été et reste plus que jamais un puissant facteur d’inertie sociale dans les pays capitalistes avancés»[11]. Les terribles inondations que connaît notamment le Bangladesh, dont la montée du niveau de l’océan provoque l’aggravation et la répétition rapprochée depuis 1998, ou encore le cyclone Nargis qui a été à l’origine en 2008 du pire désastre écologique de l’histoire de la Birmanie, ont été bien plus meurtriers que l’ouragan Katrina. Ils ont reçu bien moins d’attention que celui-ci. Ils en ont quand même reçu un peu. Ce qui n’est pas le cas des pays en Afrique et en Amérique latine, dont les systèmes socio-productifs fragiles ont dépendu jusqu’à présent des neiges hivernales et de la relative stabilité des glaciers[12] ou alors qui sont d’une extrême vulnérabilité face à ce qui peut sembler dans d’autres parties de la planète être encore des augmentations de température faibles. Dans leur cas, il n’y a guère que les ONG spécialisées et quelques agences de l’ONU[13] qui disent ce qu’il en est, mais leur parole n’est pas relayée, encore moins saisie de façon militante, par l’anticapitalisme. En fait «la Nouvelle-Orléans planétaire» qu’Isabelle Stengers redoute, a commencé à être mise en place depuis pas mal de temps.

Comment tenter de répondre à «la Nouvelle-Orléans planétaire» ?

Car nous sommes dans une situation où les possédants et les dominants, ceux que Stengers nomme «l’Entrepreneur» et «l’État», expliquent à qui veut les entendre, que la question climatique peut seulement «être envisagée sous l’angle des stratégies ‘plausibles’, c’est-à-dire susceptibles d’en faire une source nouvelle de profits. Quitte à se résigner, au nom des lois de l’économie – qui sont dures mais ce sont, affirmeront-ils, des lois – à une Nouvelle-Orléans planétaire. Quitte à ce que les zones définies comme rentables de la planète doivent, à toute échelle, du quartier au continent, se défendre par tous les moyens nécessaires contre la masse de ceux à qui on opposera sans doute le fameux ‘nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde’. Quitte, en bref, à ce que la succession des ‘il faut bien’ installe, pleinement, ouvertement déployée, la barbarie qui est déjà en train de pénétrer nos mondes» (p. 58-59). Les expressions de ce réflexe de défense contre «la misère du monde qui n’est pas notre problème» sont multiples. Ainsi il a été noté que lors du Tsunami de 2004, l’attention des médias européens s’est très vite centrée sur le seul sort des touristes se trouvant dans les zones touchées, alors qu’il y avait des milliers, dans certains cas des dizaines de milliers de victimes dans les pays frappés.

Comment alors essayer de répondre politiquement à cette nouvelle source de barbarie dont l’importance ne va cesser de croître ? Ici je mêlerai mes propres réponses et mes commentaires, mes accords et mes désaccords. Le premier point bien sûr, où l’accord est total, c’est que la «question écologique» ne peut pas «venir seulement s’ajouter aux autres questions comme une raison de plus d’être révolutionnaire». L’expression est de Philippe Pignarre qui poursuit, «on a ajouté le féminisme au programme révolutionnaire, on peut maintenant ajouter l’écologie et même parler d’éco-socialisme»[14]. La lecture du livre d’Isabelle Stengers a achevé de m’en convaincre qu’il ne peut pas y avoir «ajout», que la question entendue comme nécessité de faire face à une Nouvelle-Orléans planétaire» est devenue l’une des toutes premières raisons de l’engagement politique. J’espère que beaucoup partageront cette conviction. En revanche, l’opposition entre le «révolutionnaire» et «l’anticapitaliste» faite par Philippe Pignarre, ne me convainc pas. Je ne suis pas certain qu’il existe aujourd’hui de «programme révolutionnaire», alors que la mue de «l’avant-garde» prend la forme d’un goût prononcé pour les élections comme l’un des «temps forts» de l’action politique, qui dévore l’énergie des militants au bénéfice d’une relation avec les salariés et les jeunes reposant sur la délégation. D’autre part, mon expérience des forums sociaux n’a pas été celle d’une rencontre avec un bien grand nombre d’anticapitalistes pour qui «le capitalisme qu’ils combattent n’est plus le même avec la crise écologique». Pour les organisateurs des forums sociaux comme pour Attac, celle-ci reste une «question qui s’ajoute aux autres». Mais ce n’est pas le moment de discuter des figures de «l’anticapitaliste» et du «révolutionnaire». Il le faudra. Mais ailleurs et plus longuement. Ici il s’agit juste d’indiquer un point d’accord important.

En ce qui me concerne, faire en sorte que «la question écologique» cesse de venir «s’ajouter» aux autres questions, suppose plusieurs choses. D’abord de l’aborder dans sa dimension véritable, celle de menace sur les conditions de la reproduction sociale de certaines classes sociales ou communautés (fil conducteur de mon article avec Claude Serfati). Ensuite de souligner comme le fait Isabelle Stengers, le caractère de classe, de domination sociale et d’exploitation économique, de la question écologique et la placer au centre de l’activité de «l’organisation-parti». Cela deviendra certainement l’un des critères qui permettra à pas mal de militants de décider si elle a encore une validité. Il s’agirait également de donner corps à l’une des indications générales que donnent Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, à condition de la combiner avec des aspects plus «classiques» de l’intervention militante. L’indication est la suivante. On est sur un terrain où il ne s’agit pas « de faire  «mieux » aller les choses (registre des Verts), mais d’expérimenter dans un milieu que l’on sait saturé de pièges, d’alternatives infernales concoctées tant par l’État que par le capitalisme. La lutte politique, ici, ne passe pas par des opérations de représentation, mais plutôt de production de répercussions, par la constitution de « caisses de résonance » telles que ce qui arrive aux uns, fasse penser et agir les autres, mais aussi que ce que réussissent les uns, ce qu’ils apprennent, ce qu’ils font exister devienne autant de ressources, et de possibilités expérimentales pour les autres» (p.199). Il y a là une approche qui peut servir lors de l’intervention militante dans les nombreuses situations en France où l’exploitation salariale et les questions quotidiennes attenantes à l’environnement sont étroitement liées et où les syndicats se font très discrets au nom de «l’emploi». L’approche a une importance dans les relations avec les regroupements menant des combats anticapitalistes écologiques authentiques. Elle suppose qu’on ne se limite pas à transposer sur le terrain du monde associatif des pratiques politiques de «front unique» bien rodées, mais qu’on cherche à comprendre la manière dont des regroupements, souvent «informels», fonctionnent. Philippe Pignarre a raison de donner dans son livre de l’importance à des aspects comme l’écoute mutuelle et l’auto-construction d’une compréhension commune des situations et des enjeux que certains de ces regroupements pratiquent. Il y a là, à coup sûr, des enseignements pour le renouvellement de «l’organisation-parti».

Oui, «l’opposition frontale» est nécessaire, même indispensable

Là où je me sépare totalement des propositions d’Isabelle Stengers, c’est lorsqu’elle met en cause le conflit frontal (qui peut déboucher sur la confrontation physique directe) avec «l’Entrepreneur» et «l’État», en soutenant que « l’opposition frontale est une tentation à éviter car elle vide le monde, ne laissant subsister que deux camps virilement opposés, fonctionnant en référence l’un à l’autre » (p.177). Dans le cas des OGM, dont elle parle longuement, il y a bien eu au final deux camps. Le travail de délimitation a résulté du travail qu’Isabelle Stengers a bien analysé, «de mise en cause des OGM comme progrès permis par la science, porteur de croissance et bénéfique pour l’humanité» et de «productions de savoir, de pratiques d’alliance et de convergences de lutte qui ont secoué toutes les routines». Il est certain que «beaucoup de gens ont commencé à s’intéresser à la manière dont se font les choix de ce qu’on appelle le développement, depuis les orientations de la recherche scientifique, et tout ce qu’on ne cherche pas trop à savoir, toutes les questions qu’on ne pose pas, jusqu’aux modes de production agricole en passant par l’empire des brevets». Le combat contre les OGM, au moins dans le cas de la France, a contribué à «la réhabilitation des semences traditionnelles et à la création de liens entre producteurs et consommateurs, qui ont une dimension politique indéniable»[15]. Mais ce combat a aussi comporté une forme d’action politique directe, celle des faucheurs volontaires, contre «l’Entrepreneur», «l’État» et la «Science», forme d’autant plus radicale dans le contexte du néolibéralisme qu’il portait atteinte à la propriété privée. Le processus de pédagogie collective, le «‘penser’ au sens qui importe politiquement, c’est-à-dire au sens collectif, les uns avec les autres, les uns par les autres, autour d’une situation devenue ‘cause commune’, qui fait penser » (p.171), a fait que les faucheurs volontaires bénéficient d’un fort soutien populaire. Mais en retour leur action, dans sa radicalité, a consolidé le travail d’élaboration sur la «cause commune OGM». Ceux qu’Isabelle Stengers désigne comme «nos responsables» ont été pris par surprise sur les OGM. Ils sont bien décidés à ne pas l’être sur la relance du nucléaire. Ils œuvrent pour rendre aussi difficile que possible le «‘penser’ au sens qui importe politiquement, c’est-à-dire au sens collectif». Les conditions de l’opposition frontale vont être sans doute longues à se créer et encore plus celles de formes d’action politique directe. Mais dans les pays où le nucléaire a été abandonné il y a trente ans, celles-ci ont été à l’époque des composantes d’une opposition «camp contre camp».

Passons à la dimension mondiale, à cette perspective de «Nouvelle-Orléans planétaire». Ici une remarque du type suivant me semble fortement européocentriste, «La lutte politique devrait passer partout où se fabrique un avenir que nul n’ose vraiment imaginer, ne pas se borner à la défense des acquis ou à la dénonciation des scandales, mais s’emparer de la question de la fabrique de cet avenir» (p.200). Hors des pays capitalistes «avancés», il y a des gens qui mènent encore «une agriculture qui ne dépende pas des engrais et des pesticides, qui ne détruise pas systématiquement les sols», qui ont encore des «pratiques de coopération seules capables de produire un avenir qui ne soit pas barbare»[16]. Pour eux et aussi pour nous, il y a là «des acquis» à défendre et des situations dramatiques à «dénoncer». L’une des dimensions de la phase de la mondialisation du capital est l’accélération du processus d’expropriation et de paupérisation extrême de ce qu’il reste de la paysannerie et de mise en place d’exploitation sans frein des ressources naturelles allant de pair avec des formes forcenées d’exploitation des travailleurs. En Amérique latine, le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le Chili en sont les laboratoires, mais le processus se rencontre partout dans le «Sud»[17]. Le fait que les agents soient nationaux dans certains pays n’y change rien. Ces processus ont conduit à des luttes, luttes de classes, luttes de communautés paysannes, dont Martinez Alier a fait une recension impressionnante récente[18]. Ces luttes sont «frontales». Pouvait-il en aller autrement pour la population indigène de l’Amazonie péruvienne, face à la décision de laisser les compagnies pétrolières et minières détruire leur habitat et leur rapport à la nature ? Quel autre moyen pour les communautés indiennes que la confrontation violente pour résister à la police militaire, telle que  celle qui a eu lieu à Bagua ? De quel autre moyen disposons-nous en Europe que la «dénonciation» associée au maximum d’explications, qu’un travail continu d’information sur les luttes ailleurs dans le monde dont l’enjeu est la reproduction sociale ? En l’occurrence, combien de partis ou d’associations en France ont expliqué que parmi les compagnies pétrolières concernées, l’une est franco-britannique. La société Perenco, qui est dirigée par un français du nom de François Perrodo[19].

Il y a des cas qui sont nombreux pour certains pays «avancés», où la dénonciation de ce qui se passe dans les pays du Sud, peut s’articuler avec des campagnes nationales touchant le changement climatique[20]. Celui qu’Isabelle Stengers nomme «l’Entrepreneur» doit alors être désigné nommément. S’agissant de la France, il y a des noms de grands groupes financiers-industriels qui sont situés au point de convergence de plusieurs combats. Celui sur le réchauffement climatique ; celui contre la participation de multinationales à l’oppression sociale et la domination politique et militaire dans des pays du Sud ; celui contre les hausses de prix du pétrole, du gaz et de l’électricité qui laminent le pouvoir d’achat des salariés et accroissent la paupérisation des chômeurs ; celui contre l’achèvement de la privatisation-démantèlement des services publics, en marche depuis quinze ans, et dont l’une des conséquences a été le «tout-automobile» et le «tout-camion»[21]. Les groupes Total, Areva, EDF, Suez-GDF figurent au premier rang de ces fauteurs auxquels il faut dire le nom. Le rôle de Total au Nigeria et en Birmanie, celui d’Areva au Niger et au Gabon sont des exemples non-limitatifs. On peut y ajouter celui du groupe Bolloré[22] et bien d’autres encore, tels que ce François Perrodo dont il vient d’être question.

Placer le combat dans le contexte des deux «crises conjointes»

L’enjeu majeur est de chercher par quel bout prendre un combat qui embrasserait toutes ces dimensions. Il faut se défaire de la tentation à laquelle les derniers chapitres du livre de Stengers peuvent conduire, de vouloir «résister à la barbarie qui vient» en se plaçant sur le terrain de John Holloway et de sa proposition de «changer le monde sans prendre le pouvoir»[23]. Isabelle Stengers a raison de dire que lorsque « ‘nos responsables’» se tournent vers nous pour nous demander « Que feriez-vous à notre place ? », il faut leur répondre haut et fort que « Nous ne sommes pas à votre place ! » (chapitre 12). Mais cela ne signifie pas qu’il faille les y laisser à jamais ! Le mouvement par lequel les dominés et les opprimés ont été conduits, presque toujours à partir d’un réflexe d’auto-défense au départ, à se dresser contre les «responsables» du moment est un mouvement qui est indépendant de la forme parti, même si on y trouve toujours des «militants».

Or nous sommes entrés dans une période où la nécessité de l’auto-défense collective va s’imposer aux travailleurs (au sens large, ceux qui doivent «trouver un emploi», vendre leur force de travail) même dans les pays capitalistes avancés et à coup sûr en Europe. La progression de la crise du changement climatique se fait alors que débute une récession économique mondiale qui va être très longue. Il est tout à fait possible que l’injection massive d’argent dans le sauvetage du système financier, ainsi que l’aide donnée à la restructuration des grands groupes manufacturiers, bloquent le processus de transformation de la récession en dépression profonde. On aura alors une longue période de croissance mondiale «molle» à des taux moyens faibles, extrêmement faibles dans le cas de l’Union européenne[24]. Les ressorts de l’accumulation des dix dernières années – l’endettement massif des ménages et de l’État américains et une accumulation industrielle mue surtout par des investissements en Asie de l’est et du sud-est dirigés vers l’exportation – sont cassés. Les mesures de «relance» reposent sur un endettement accru de tous les gouvernements qu’ils «feront payer» à ceux sur qui pèse la fiscalité, c’est-à-dire les salariés. Dans les pays les plus pauvres, les effets sociaux du changement climatique seront aggravés par les déficits alimentaires provoqués dans une large mesure de façon directe par les politiques agricoles et commerciales mises en œuvre depuis vingt ans par l’OMC et la Banque mondiale. On en a vu les premières expressions en 2008. Mais très peu de pays échapperont à la quasi-stagnation, en tous les cas pas ceux d’Europe.

Dans le cas d’un pays industrialisé, le chômage de masse, ainsi que toutes les conséquences qu’il entraîne, représente une menace sur la reproduction sociale de tous ceux qui sont, ou qui doivent tenter de devenir, des salariés et qui n’ont pas non plus de «patrimoine». La menace ne se compte pas obligatoirement en termes de morts (encore que la canicule de 2003 a frappé précisément les vieillards ex-prolétaires), mais en termes d’accès à une «vie décente», de vie civilisée et non d’existence placée dans l’ombre de la paupérisation. Or aujourd’hui cette menace se profile, surtout pour les enfants de salariés. Entre décembre 2008 et avril 2009, il ne s’est guère passé une semaine sans que soit annoncée la fermeture d’une usine qui peut être petite, mais très importante pour l’emploi d’une ville ou d’une région, appartenant à des filiales de multinationales étrangères (Continental, Goodyear, Celanese, Sony, 3M) ou à des sous-traitants de multinationales bien françaises (Renault et Peugeot notamment), comme Valeo et Heulliez. Au moment où je termine cet article, c’est au tour de Michelin d’annoncer des licenciements massifs, autant pour «accroître la productivité» que pour répondre à la baisse de la demande. L'Insee a annoncé que 187’800 emplois ont été détruits au premier trimestre, soit précise-t-elle une baisse de 1,1%, chute sans précédent dans l'histoire économique française. Les prévisions de chômage ou de précarité extrême de l’emploi sont très élevées pour les 16-24 ans. Un nombre croissant de diplômés sont confrontés au chômage et en tous les cas la déqualification.

Il arrivera un moment où toute perspective politique de mesures radicales qu’une fraction significative des salariés et des jeunes déciderait de mettre en œuvre par tous les moyens qu’ils seraient capables d’inventer ou de réinventer, devra par nécessité cesser de prendre la forme d’un programme de «revendications» qu’on demande à quelqu’un d’autre que soi de réaliser de réaliser, mais d’un programme d’autogouvernement. L’urgence de répondre aux problèmes immédiats de reproduction sociale signifiera aussi qu’il devra comporter un «plan industriel» adossé à des formes de propriété sociale des secteurs économiques clefs. Y figureront obligatoirement, de façon centrale, les secteurs de l’énergie, des transports et de la construction. Ce sont précisément ceux dont le contrôle est décisif dans toute tentative de combat de dernière heure pour freiner le changement climatique et dont la réappropriation sociale signifierait aussi porter un coup à l’impérialisme mené au nom de «la France». Face à une question donnée, dit Isabelle Stengers, la capacité à fabriquer collectivement des réponses en déterminera la qualité. «Une réponse n’est pas réductible à la simple expression d’une conviction. Elle se fabrique» (p.135). Tel est bien la tâche. Il s’agit de libérer la puissance d’expérimentation collective des salariés-citoyens, quelle que soit la structure (association, groupement encore plus informel ou parti politique) dans laquelle ils ont choisi de s’investir et d’aider à la «fabrication d’une conviction collective» portant sur la nécessité et la «faisabilité» d’objectifs dont la réalisation posera effectivement la question du pouvoir, qui ne peut pas être éludée.

 

* Ce texte de François Chesnais – rédacteur de la revue Carré rouge – s’inscrit dans la série de textes sur la crise multiforme du capitalisme mondialisé et de débats que diverses contributions ont suscités, en termes analytiques et politiques ; textes publiés sur ce site. Il nous paraît utile, comme les autres. Toutefois, pour ceux (dans le journal La brèche) qui ont traité de manière critique de la question de Gaïa en début 1992 – tout en reconnaissant l’importance de cette question – certaines affirmations de l’auteur de cet article (François Chesnais) sur la «novation» quasi solitaire de ses réflexions peuvent étonner. Pas tellement. Car un certain dogmatisme de pensée a servi à oblitérer la mémoire «politique» ou à ignorer des contributions hors d’un champ analytique convenu et qui leur convenait. (cau)

[1] Le résultat de recherches sur Google, avec toutes les limites que cela comporte, donne un article de Hichan-Stéphane Afeissa sur le blog de Christian Colbeaux sur le site web du Monde, un article d’Yves Citron dans la Revue internationale des livres et des idées et une très courte Tribune libre dans L’Humanité. Il y a aussi un entretien d’Isabelle Stengers sur Mediapart, republié sur le site d’À l’encontre (www.alencontre.org ) et un autre dans Regards.

[2] François Chesnais, «La crise climatique va se combiner avec la crise du capital», Inprecor, 541-542, sept.-oct. 2008.

[3] A commencer par son livre avec Ilya Prigogine, La Nouvelle alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallimard, 1979 (réédition en Folio-Essais).

[4] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l'impossible est certain, Seuil, 2004. Voir un aussi entretien assez récent, «D’Ivan Illich aux nanotechnologies. Prévenir la catastrophe ?», Esprit, février 2007.

[5] L’inconsistance de ces positions ressort de l’article de Michel Husson, «Un capitalisme vert est-il possible ?», Contretemps, n°1, premier trimestre 2009.

[6] Voir notamment, Michael Löwy, «Qu’est-ce que l’écosocialisme ?», Le grand soir, 16 février 2005 www.legrandsoir.info/ et son chapitre dans le livre dont il est coordinateur, Ecologie et socialisme, Syllepse, 2005.

[7] Marx, Le Capital, livre III, Editions sociales, t.8, pages 198-199.

[8] François Chesnais, «Le moment historique où le NPA se forme et certaines de ses implications», Critique communiste, n°187, juillet 2008 (l’article se trouve sur le site de Contretemps).

[9] François Chesnais, Les origines communes de la crise économique et de la crise écologique (point 20). Ce texte se trouve sur le site de la revue Carré rouge ( www.carre-rouge.org ).