Edouard Bard
Le coup de colère du climatologue
Sylvestre Huet *
Dans l’article ci-dessous, paru dans le quotidien français Libération le 19 décembre 2007, l’auteur explique le coup de colère d’Edouard Bard, climatologue et professeur au Collège de France (voir sur ce site un interview d’Édouard Bard en date du 2 février 2007). Cette colère a été déclenchée par une malhonnêteté scientifique caractérisée aboutissant à nier le rôle des rejets de gaz à effet de serre – liés aux activités humaines – dans le changement climatique en cours.
Les auteurs de cette improbité sont Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), et Jean-Louis Le Mouël, spécialiste en géomagnétisme dans le même institut. Tous deux sont membres de la «respectable» Académie des sciences. Ils voulaient voler ainsi au secours de leur célèbre collègue de l’IPGP: Claude Allègre, très médiatisé…
Dans cet article, l’auteur pose, entre autres, une question pertinente: «Comment expliquer le risque pris par ces académiciens de voir leur carrière entachée par ce comportement bizarre ?»
Il se trouve que l’IPGP a noué un «partenariat» – c’est la formule – pour un budget total de 4 millions d’euros en vue d’étudier les possibilités de stockage géologique du dioxyde de carbone (CO2). Qui sont les «partenaires» en question ? Les compagnies Schlumberger (spécialisée dans les technologies concernant le gaz et le pétrole) et TOTAL.
Aujourd’hui, la discrétion exercée dans ce genre «d’intervention» est plus de rigueur. En effet, entre de 1998 à 2005, EXXON – aux Etats-Unis – a versé 16 millions de dollars à un réseau de 43 organisations spécialisées dans les plaidoyers. Leur but: chercher à semer la confusion dans le public sur les résultats scientifiques concernant le réchauffement global. Susan George décrit cette opération propagandiste dans son ouvrage: La pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l'Amérique, (Fayard, 2007).
En 1848, deux auteurs soulignaient déjà cette tendance à l’instrumentalisation salariée de certains scientifiques et autres clercs: «La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages» Il s’agissait de K. Marx et F. Engels dans le Manifeste du parti communiste. (réd)
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Le climat et ses polémiques auraient-ils entraîné des proches de Claude Allègre dans une galère ? Au point de risquer l’accusation de mauvaise conduite scientifique ? La question concerne deux membres de l’Académie des sciences, Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), et Jean-Louis Le Mouël, spécialiste de géomagnétisme. Tous deux soutiennent l’ancien ministre, Claude Allègre, dans sa croisade niant le rôle des gaz à effet de serre émis par l’homme dans le changement climatique.
Déjà, les deux scientifiques s’étaient ridiculisés lors d’une séance de l’Académie des sciences (1) lorsqu’Edouard Bard, professeur au Collège de France, chaire «Evolution du climat et de l’océan», avait démontré que leur calcul de l’effet climatique des variations du Soleil oubliait que la Terre est… ronde, en la supposant plate et noire de surcroît !
Cette grossière «erreur» se double-t-elle d’une mauvaise conduite ? La question, se pose depuis la publication d’un article signé par Edouard Bard et Gilles Delaygue dans la revue Earth and Planetary Science Letters (2). Ils y répondent à celui publié par Vincent Courtillot et ses collaborateurs dans la même revue (3) qui prétendait démontrer que le climat est modulé par des interactions entre la magnétosphère terrestre et le rayonnement solaire. Etudier les relations entre Soleil, champ magnétique terrestre et climat n’a rien d’iconoclaste. Les climatologues mettent dans leurs modèles bien d’autres facteurs que l’effet de serre - éruptions volcaniques, aérosols, calottes polaires, cycle de carbone - et n’oublient pas la variabilité du Soleil, surveillée par satellite depuis 1978. Le problème, écrit Bard, est que la «démonstration» sort des normes scientifiques et relève de la manipulation des données, un péché peu apprécié dans les labos.
Fausse courbe
L’exemple le plus simple est celui d’une courbe des températures moyennes de la planète utilisée par Vincent Courtillot. Il affirme reprendre celle de Philip Jones (université d’East Anglia, Royaume-Uni) et du Hadley Center au service météo britannique. Deux leaders font autorité pour la reconstruction des températures du XXe siècle, Jim Hansen (Goddard Institute for Space Studies de la Nasa) et Jones. Problème : la courbe utilisée par Courtillot n’est pas la courbe de Jones, note Bard. Les différences entre les deux courbes sont significatives, puisque la fausse courbe de Jones appuie l’hypothèse des géophysiciens. Courtillot assure maintenant (4) s’être trompé de référence et en donne une autre. Re-problème : c’est celle d’une courbe… des températures estivales au nord de 20° nord, sur les continents et non de l’ensemble de la planète.
Un autre exemple se lit sur la figure principale de l’article de Courtillot et Le Mouël. Elle présente sur un graphique une courbe de températures (la fausse Jones), deux courbes de la variabilité du champ magnétique terrestre et une courbe d’éclairement solaire total, (c’est-à-dire l’énergie reçue par unité de surface à la distance Terre-Soleil). La corrélation étroite entre les quatre courbes est censée constituer la preuve de l’hypothèse. La référence de la courbe d’éclairement cite Sami Solanki (directeur à l’institut Max Planck en Allemagne) en 2002. Mais pourquoi, écrit Bard, n’avoir inscrit sur le graphe que les données postérieures à 1950, alors que la figure démarre en 1900 et que la courbe de Solanki couvre tout le XXe siècle ?
La raison en est simple : cela permet de fabriquer un artefact statistique où apparaît une corrélation étroite entre la courbe des températures et celle de l’éclairement solaire. Or, si l’on prend en compte tout le siècle, la corrélation devient peu convaincante. Prise la main dans le sac, l’équipe de Courtillot a dit s’être (encore !) trompée de référence et que la courbe de Solanki est la courbe… de Tobiska publiée en 2001. Mauvaise défense, car la courbe de Tobiska ne représente que la composante ultraviolette du rayonnement solaire. L’astrophysicienne Judith Lean (US Naval Laboratory, Washington) l’a démontré dès 2002 (5).
Péchés
Le tri de données effectué par Courtillot provoque un malaise. Pourquoi stopper la courbe de température en 1992 sur leur figure ? Parce que les dix années les plus chaudes depuis cent ans sont postérieures ? Parce que les années 1990-1995 et 2000-2005 montrent des évolutions en sens inverse des températures et de l’activité solaire, ruinant leur argumentation ? Ne pas tenir compte de données connues et contredisant votre hypothèse participe des péchés condamnés par l’éthique de la recherche. Comment expliquer le risque pris par ces académiciens de voir leurs carrières entachées par ce comportement bizarre ?
Les faits relevés par Bard - bien plus nombreux (6) que ceux cités ici - ne se limitent pas à des erreurs de géophysiciens s’engageant sur un terrain qu’ils connaissent peu. Ils ont franchi une ligne jaune. Les institutions scientifiques sont face à deux questions : comment réagir, comment expliquer les complicités nécessaires à la parution d’un article aussi vérolé ?
1. Libération du 14 mars 2007. Voir aussi note 6
2. E. Bard et G. Delaygue, Earth and Planetary Science Letters, vol. 265 (2008), disponible sur Real Climate comme fichier pdf
3. Vincent Courtillot et al., Earth and Planetary Science Letters, vol. 253 (2007), résumé consultable en ligne avec possibilité d'acheter l'article.
4. Vincent Courtillot et al., Earth and Planetary Science Letters, vol. 265 (2008), possibilité d'acheter l'article
5. J. Lean, J. of Geophysical Research, (2002).
6. Voir le site Real Climate. On y trouve la discussion, développée, des mêmes faits dans Les chevaliers de la terre plate, partie I et partie II
* Sylvestre Huet a publié cet article dans le quotidien français Libération du 19 décembre 2008.
(22 décembre 2007)
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