Hommage

 

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Il y a un an, Aimé Césaire s’en est allé

Man Jozèf

«Au bout du petit matin» du 17 avril 2008, le «nègre fondamental» s’en est allé [1].

«Au bout du petit matin» du 17 avril 2008, «Papa Sézè» [Césaire] laissait derrière lui des peuples martiniquais, guadeloupéens, guyanais, africains, en «nèg lespwi doubout é vayan», fiers d’avoir le «Discours sur le colonialisme» [2] comme socle commun de littérature, de culture et de lutte.

Au bout de la journée d’hommage national du 20 Avril 2008, le père de la Négritude a peut-être souri et, de ses petits yeux malicieux, regardé de là-haut comment lui, le fils de couturière et d’un «petit» fonctionnaire, avait réussi à mettre à genoux les symboles de la pwofitasyon [exploitation outrancière] et de ce que la France et ses colonies comptent de réactionnaires les plus «essentiels» à la perpétuation du système colonial: Nicolas Sarkozy [3], Le clan Hayot [grand groupe qui contrôle la distribution en Guadeloupe et dans bien d’autres pays] pour ne citer que les plus symboliques…

Visionnaire aussi, Césaire ? Asiréman...[assurément]. De là-haut, il doit encore en sourire…: neuf mois après ses funérailles nationales, jou pou jou), au bout du petit matin du 20 janvier 2009, la Guadeloupe se levait, tôt suivie de la Martinique pour dire Non à la poursuite moderne d’un système ainsi analysé et dénoncé dans son «Discours»:

[…] «Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale [4] , au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.» [...]

[…] «La colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C’est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu’il importait de signaler» […].

Au bout des petits matins du 20 janvier et du 5 février 2009, des milliers de consciences nègres ont fondamentalement suivi le chemin tracé par Césaire: signaler au monde entier «ce choc en retour de la colonisation».

Au bout des petits matins du 2O janvier et du 5 février 2009, des milliers d’âmes négresses, ont hélé leur longue et féconde marche fondatrice contre la pwofitasyon, contre le décervelage… Nouvel élan salvateur vers la liberté.

Au petit matin du 17 avril 2009, nous saurons que durant toutes ces semaines «Notre doctrine Discours sur le colonialisme, notre idée secrète, c’était: «Nègre, je suis et, nègre, je resterai.» [5]

Man Jozèf

[1] Extrait «Cahier de retour au pays natal», Revue Volontés, N°20 – 1939. Voir aussi sur ce site

[2] Discours sur le colonialisme, Editions Réclames – 1950.

[3] En 2005, Aimé Césaire refuse de recevoir Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, en signe de protestation contre la loi affirmant «le rôle positif de la présence française outre-mer». Il le recevra finalement l’année suivante et lui offrira… le «Discours sur le colonialisme».

[4] Si tel avait été le préambule de l’Accord Bino, les Yo [eux: le Medef, les békés dominants] auraient-ils aussi contesté cet écrit d’Aimé Césaire... En effet, c’est prenbant le prétexte d’une formule similaire que le MEDEF a refusé de signer l’accord (Réd.)

[5] «Nègre je suis, nègre je resterai» - Entretiens avec Françoise Vergès – Editions Albin Michel - 2005. Le «Nous» désigne Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, rencontré au Lycée Louis-le-Grand, à Paris.

(17 avril 2009)

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