Brésil
La triste farce de la pacification de l’Etat de Rio de Janeiro
Cyro Garcia
Le 28 novembre 2010, le quotidien argentin Pagina 12 indiquait que le «Complexo do Alemão», un ensemble de quelque quinze favelas (il y en a environ 300 à Rio) où «vivent» près de 400'000 personnes est en train d’être occupé (depuis le 26 novembre) par 800 soldats «hautement entraînés, dont 500 profitent de leur expérience acquise lors de leur mission en Haïti, où ils ont exercé des fonctions de police dans des zones de conflits». Le 28 novembre 2010, la police hissait le «drapeau national en signe de victoire», selon la presse brésilienne. Eric Nepomuceno de Pagina 12, indique «A Rio, on parle beaucoup de récupérer et reprendre le contrôle des territoires occupés par les narcotrafiquants. Mais on en parle seulement en termes militaires. Par contre, on ne parle pas d’assumer le contrôle social de ces territoires, c’est-à-dire d’y implanter des écoles, des garderies pour enfants, un système de santé, aussi minime soit-il, et de salubrité, de culture. Tout va rester en l’état.»
Nous publions ici, afin de permettre une première approche du contexte politique et social d’une «bataille militaire», fortement médiatisée à l’échelle internationale, un article de Cyro Garcia, ex-candidat à gouverneur de l’Etat de Rio, sur la liste du PSTU (Parti socialiste des travailleurs unifié). (Réd.)
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L’Etat de Rio de Janeiro est en train de vivre une véritable guerre civile, un état de siège qui montre au grand jour la démagogie et l’incompétence du gouverneur réélu Sergio Cabral (PMDB) [Parti du Mouvement Démocratique Brésilien] et de ses subordonnés. Pour gagner l’élection en 2010 [après un premier mandat], ils n’ont cessé de clamer que la ville et l’Etat étaient maintenant pacifiés, qu’à travers les Unités de Police Pacificatrice (UPPs), ils en avaient terminé avec le trafic et donc avec la violence.
En ce moment, des hélicoptères de la Police Civile et de la Police Militaire sont en train de survoler la ville et les communautés du Complexo do Alemão et de Manguinhos [zones de favelas du nord de la ville], en tentant de trouver des coupables. Les écoles ont suspendu leurs cours et les travailleurs rentrent plus tôt à la maison. Au centre de la ville, les gens interrompent plus tôt leurs activités. En ce moment également, des bus sont en train d’être incendiés et des autoroutes bloquées par des trafiquants qui saccagent les véhicules avant de leur mettre le feu. Au cours des derniers jours, plus de 40 véhicules (bus et voitures de tourisme) ont été incendiés et des dizaines de blocages de routes, où l’on s’en prend violemment aux automobilistes, ont eu lieu.
En divers lieux de l’Etat, le gouverneur – allié politique de Lula – essaie régulièrement, au moyen de «blitz» [allusion à la technique allemande de la «Blitzkrieg», la «guerre éclair»], d’empêcher l’action des trafiquants. Sont alors convoqués, afin d’être déployés dans la ville, tous les policiers, même ceux qui exercent des fonctions internes (médecins, mécaniciens, employés de bureaux), comme si le problème de la violence pouvait être résolu par une action de guerre. Tous les moyens adoptés jusqu’ici par le secteur de la sécurité de l’Etat ont échoué et ce qui prédomine c’est la panique, l’insécurité et le manque d’une politique qui s’attaque véritablement au problème de la violence et de l’insécurité.
En ce moment, la presse, et en particulier la Rede Globo [1] (la principale chaîne de télévision brésilienne), profite de la situation pour augmenter son audience en mettant en scène le chaos dans lequel se trouvent la ville et l’Etat.
Mais elle se garde bien de dire que tout cela s’explique. Il y a, d’un côté, la misère dans laquelle vit une partie de la population, condamnée à survivre dans des quartiers insalubres, sans emploi et avec des salaires insignifiants, en étant de surcroît réprimée par la police fasciste et corrompue de Sergio Cabral, par les trafiquants organisés et par la milice. Et de l’autre côté, il y a la connivence de l’Etat avec les grands entrepreneurs qui ont des liens avec le trafic international de la drogue et des armes. Quand ils sont pris, ces messieurs prétendent bien sûr être des collectionneurs d’armes.
A l’instant, le secrétaire à la Sécurité de l’Etat de Rio, José Mariano Beltrame, vient de dire que quiconque tentera de faire obstacle à l’action de l’Etat sera écrasé. Les policiers obéissent aux ordres de l’Etat et disent que beaucoup de gens vont mourir. Treize personnes sont déjà mortes [le chiffre de 35 est énoncé le 28 novembre], démontrant ainsi la véritable nature de la police de ces messieurs fascistes. Ils vont exterminer les pauvres, les noirs et les jeunes, et ils diront simplement qu’ils étaient des trafiquants [la presse européenne utilise la formule: «trafiquants présumés», c’est plus déontologique]. Un bon exemple du fait que nous ne devons pas faire confiance à ces gouvernants fut l’installation de ces dites Unités de Police Pacificatrice dans les zones de Tijuca, Borel, Formiga, Casa Branca, Macacos, Liberdade, Turano et Salgueiro. Dans tous ces quartiers, il y avait une forte présence du trafic, avec des centaines de trafiquants fortement armés auxquels le gouvernement a garanti la possibilité de quitter les lieux – avec leur armement de guerre - avant même l’occupation par la police.
C’est une honte. Cette manœuvre du gouverneur et de tous ses alliés a été vantée par Sergio Cabral, Lula, Dilma [la nouvelle présidente: Dilma Rousseff] et son secrétaire à la Sécurité qui ont annoncé pompeusement qu’ils en avaient fini avec le trafic et qu’ils avaient pacifié la ville et l’Etat sans avoir dû tirer un seul coup de feu. Ils ont dit que les trafiquants avaient eu peur. Avec ce discours, ils ont gagné les élections d’octobre 2010. Qui ne se souvient de la candidate Dilma disant à la télévision qu’elle allait exporter ces exemples vers le reste du pays ? Alors qu’en fait, c’est un très important accord qui a été passé entre l’Etat et les trafiquants, qui se sont déplacés vers d’autres régions de la ville et de l’Etat, préparant ainsi la région de Tijuca et de la zone Sud à pouvoir recevoir les touristes et les investissements de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques.
Le gouverneur et ses alliés se déplacent en voiture blindée, avec escorte de sécurité, ou alors en hélicoptère, alors que nous travailleurs et travailleuses restons vulnérables dans des bus souvent incendiés. Le gouvernement profite de cette situation pour criminaliser la pauvreté et est en train de préparer une véritable extermination dans les régions les plus pauvres. Ils sont en train de préparer l’invasion du Complexo do Alemão et de Manguinhos [cités plus haut]. Nous savons que sous le prétexte de s’attaquer aux trafiquants, ce sont les travailleurs et les jeunes qu’on va faire payer. Nous savons où mènera cette politique. Si vous êtes noir et pauvre, on tire sur vous et on vérifie votre identité après.
Un programme socialiste pour affronter la violence
Nous ne pensons pas que ces «Unités de Police Pacificatrice» soient la solution. Il n’est pas possible de vivre sous occupation. Toutes les mesures cosmétiques prises par l’Etat, que ce soit les cours donnés dans les communautés par les camions du SENAC [Servicio nacional de aprendizagem comercial] – pour un nombre très restreint de personnes d’ailleurs – ou les cours de coupe et de couture, de coiffure ou d’informatique, rien de tout cela ne garantit ce qui est fondamental. Les gens ont besoin, dans ces communautés et dans le pays en général, d’un bon emploi avec un salaire décent.
Pour cela, nous proposons que le salaire minimum soit immédiatement doublé. Nous proposons la construction de bonnes écoles, bien dotées en postes, avec des professionnels de l’éducation recevant un salaire décent, et non le misérable salaire actuel de 700 reais [environ 420 francs suisses]. Nous défendons la construction de bons hôpitaux pour que les travailleurs ne meurent en raison d’un manque de lits dans les services d’urgences. Nous exigeons que le gouverneur suspende immédiatement la démolition du IASERJ [Instituto de Assistência dos Servidores do Estado do Rio] et renonce à la fermeture de l’Hôpital Pedro II, ces deux hôpitaux étant vitaux.
Nous voulons des lieux de loisirs décents, l’accès à la culture et non un maquillage fait pour les touristes. Nous voulons des habitations correctes et avec toute l’infrastructure. Les personnes portant la responsabilité de ce qui est en train de se passer dans l’Etat et dans la ville existent réellement: ce sont le gouverneur, les préfets et le gouvernement fédéral qui ont fait beaucoup bruit pendant dans les élections et qui maintenant nous laissent dans cette situation.
Nous n’en finirons pas avec la violence et avec le trafic sans décriminalisation des drogues, sans mise en prison des grands entrepreneurs qui participent du trafic des armes et de la drogue et sans la confiscation de leurs biens. Nous n’en finirons pas avec la violence si nous n’avons pas des emplois décents pour nos familles. Nous devons dissoudre cette police et construire une police liée à la population qui soit, ce qui est primordial, contrôlée par celle-ci, avec des élections aux postes de commandement avec mandat révocable. Nous exigeons la fin de l’extermination des pauvres et des noirs. Non à l’invasion et à l’extermination des habitants des communautés. (Traduction de A l’Encontre)
1. Dans une étude de Itania Maria Mota Gomes, publiée dans le No.13 (hiver 2009/2010) de la revue Le Temps des médias, sur les «Quarante ans du Jornal Nacional de la Rede Globo de Télévision» il y est indiqué: «Diffusé le 1er septembre 1969, celui-ci peut-être compris comme un produit de l’articulation entre les intérêts de l’élite politique et économique brésilienne et les intérêts politiques et économiques des militaires qui ont marqué le Brésil dans les années 1960-1970, au moment où se mettait en place un marché culturel national. L’expansion de la télévision brésilienne est associée au gouvernement militaire (1964-1985), à la Doctrine de Sécurité Nationale et de Développement et à l’idée d’intégration nationale.». Cette tâche se poursuit, avec une dimension commerciale significative (Réd.)
(29 novembre 2010)
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