Brésil

 

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Organiser la lutte sociale: une priorité pour la gauche

Fernando Silva *

Le changement le plus important intervenu dans la conjoncture sociale brésilienne est celui qui s’est initié le 25 mars 2007 (voir sur ce site l'article en date du 6 avril 2007), suivi de la mobilisation sociale unitaire du 23 mai 2007 (voir sur ce site l’article en date du 24 mai 2007).

Dans un contexte de relance, certes encore limitée, de la mobilisation sociale, le MST (Mouvement des sans-terre) – qui a tenu un congrès de préparation à une nouvelle offensive mi-juin – joue un rôle important. Sa convergence avec Conlutas, l’Intersyndicale (opposition de gauche faite de secteurs membres de la CUT et d’autres hors de la CUT) marque un infléchissement significatif de la réorganisation des forces socio-politiques.

Il est regrettable que le Congrès du PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) – qui s’est tenu à Rio (et sur lequel nous reviendrons) – ait fort peu discuté de ces échéances sociales. Il a été marqué par une attraction prioritaire pour les échéances électorales (municipales de 2008), du moins du point de vue de sa majorité.

Le texte (ci-dessous) de Fernando Silva, membre de l’Exécutif du PSOL, démontre une intelligence de la situation socio-poltique qu’il aurait été agréable d’entendre plus lors du Congrès de ce parti. (cau)

C’est du 1er au 7 septembre prochains que sera réalisé le Plébiscite Populaire, qui propose à la population de débattre sur quatre des questions les plus brûlantes figurant sur la liste des intérêts des travailleurs et du peuple: la question de la ré-étatisation de la Compagnie Vale do Rio Doce [qui est la principale firme opérant en Amérique Latine dans le secteur des minerais de fer et de manganèse], la question du paiement des intérêts de la dette publique, la réforme de la prévoyance sociale et le contrôle du secteur énergétique.

Le Plébiscite est en train de s’organiser grâce au concours de dizaines d’organisations issues des mouvements populaires comme l’Assemblée Populaire, le MST, les Pastorales Sociales [de l’église, urbaines et paysannes], le Comité National pour l’Annulation de la mise aux enchères/privatisation de la Vale do Rio Doce, l’Intersyndicale et Conlutas, pour ne citer que ceux-là.

Pour le 24 octobre, le jour où se tiendra la deuxième Assemblée Populaire, un ensemble d’organisations est en train d’élaborer un agenda unitaire de lutte, comme cela s’est fait pour la journée du 23 mai passé, et organise notamment une grande marche sur Brasilia qui avancera une liste unifiée de revendications populaires.

Ce sont ces deux activités (le Plébiscite et la Marche) qui donneront sa véritable continuité au processus vivant que constitue la réorganisation des mouvements et des luttes sociales, processus qui a atteint un pic au cours de ce premier semestre.

Mais en même temps que ces deux grandes activités sont mises sur pied, au sein des pouvoirs républicains pourris [la corruption éclate au grand jour, quotidiennement], au sein du Sénat plus spécialement, des attaques quotidiennes d’une extraordinaire impudence se font chaque jour plus fortes.

Et pendant que cette lamentable institution qu’est le Sénat se révèle toujours plus odieuse à l’égard de la population, les travailleurs, ceux qui se distinguent dans les luttes sociales, sont punis et diffamés: les sans-terre, les contrôleurs aériens, les conducteurs de métro, les étudiants. Quant aux travailleurs de la canne à sucre des Etats du Pará et de São Paulo, ils vivent à la limite de l’esclavage, dans une effroyable surexploitation.

Mais rien n’est plus distant de cette réalité que ne l’est l’Assemblée de Brasilia [parlement et sénat], occupée qu’elle est à essayer de sauver quelques gros bonnets. Ce scénario politique ramène un vieux débat pratique dans le champ de la gauche combative brésilienne et de l’ensemble des mouvements: la priorité de la politique et de l’activité des partis de la gauche socialiste et des mouvements sociaux doit-elle être la lutte pour l’éthique dans la politique et pour la «rédemption» des institutions parlementaires, ou doit-elle être tournée vers l’organisation de la lutte dans les mouvements sociaux des classes laborieuses, autour des revendications sociales les plus urgentes, comme celles avancées par le Plébiscite Populaire ?

La dénonciation de la corruption au sein de l’Etat brésilien et de ses institutions n’a de sens que si nous parvenons à montrer à la population qu’il n’y a pas de place pour l’éthique dans cette politique institutionnelle où, pour ne donner qu’un exemple, 32 des membres du Sénat sont actuellement sous le coup de procédures judiciaires et d’enquêtes.

Tout cela s’éclaire  chaque jour davantage, grâce à la contribution très instructive du Congrès National lui-même, où l’on peut voir les relations de promiscuité existant entre entreprises et pouvoir public à tous les niveaux, avec d’innombrables exemples qu’il n’est pas nécessaire de citer, vu le volume et le degré de publicité des faits.

D’un autre côté, limiter ou prioriser la lutte sous l’angle de la corruption et de l’éthique dans la politique peut conduire à reproduire la même erreur qui a conduit la plus grande partie de la gauche brésilienne à donner une priorité quasi absolue à la stratégie institutionnelle depuis les années 90, en développant les illusions selon lesquelles on finirait bien par pouvoir réformer les institutions de l’Etat brésilien au terme d’un chemin difficile qui consiste à essayer d’occuper des espaces toujours plus grands permettant d’avoir plus de visibilité par rapport aux médias, pour arriver finalement à occuper des postes dans les pouvoirs Exécutif et Législatif.

Au-delà de cela, prioriser la question de la corruption peut donner à croire que le problème de ces institutions n’est que moral, et qu’il suffirait d’écarter les corrompus et les voleurs pour que les institutions de l’Etat capitaliste brésilien fonctionnent au service du peuple.

Nous avons déjà assisté à ce film auparavant et nous en connaissons la fin, puisque lorsqu’on en est arrivé à ce point avec cette vision, il s’est révélé que la corruption est tellement inhérente au fonctionnement du système et à l’Etat que les réformateurs d’autrefois eux-mêmes finissent par entrer dans le jeu, comme nous l’avons vu jusqu’à satiété au cours du premier mandat de Lula.

Cette Assemblée n’est pas réformable

Une campagne de longue haleine qui se proposerait  de démasquer et de mettre à jour l’actuelle pourriture institutionnelle doit partir des besoins réels de la classe des travailleurs et d’une dénonciation radicale de l’ensemble du régime politique, en présentant des revendications telles, par exemple, qu’un système à une seule chambre, donc la fin du Sénat, ou la fin du secret fiscal et bancaire pour tous ceux qui occupent des charges publiques.

Mais nous croyons pour notre part que pour le deuxième semestre de cette année, le cœur de la gauche socialiste et combative doit se trouver dans l’organisation de la lutte et des mouvements sociaux pour affronter le camp du grand capital et ses gouvernements.

Nos ne devons pas être avares de nos efforts pour organiser le Plébiscite Populaire de septembre, la marche du 24 octobre sur Brasilia et, de manière immédiate, une campagne de défense des leaders populaires des luttes sociales qui sont actuellement poursuivis à travers tout le pays, les contrôleurs aériens, les sans-terre, les conducteurs de métro et tant d’autres militants et travailleurs criminalisés par les pouvoirs pourris de la République et ses gouvernants.

Dans l’immédiat, les quatre questions posées par le Plébiscite Populaire de septembre sont les suivantes:

1. Êtes-vous d’accord que la compagnie Vale du Rio Doce, patrimoine construit par le peuple brésilien et privatisé en 1997, continue à être en main du capital privé ?

2. Êtes-vous d’accord que le gouvernement continue à prioriser le paiement des intérêts de la dette publique, renonçant ainsi à investir dans le travail, la santé, l’éducation, le logement, l’assainissement, la réforme agraire, l’eau, l’énergie, le transport et l’environnement ?

3. Êtes-vous d’accord que l’énergie électrique continue à être exploitée par le capital privé et que le peuple paie jusqu’à 8 fois plus que les grandes entreprises ?

4. Êtes-vous d’accord avec la proposition de réforme de la prévoyance sociale qui retire des droits aux travailleurs ?

* Fernando Silva contribue régulièrement à diverses publications politiques et syndicales et animateur de la revue Debate socialista.

(24 juillet 2007)

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