Un Carandiru par mois
José Arbex Jr. *
694 morts en six mois, entre janvier et juillet 2007: le chiffre remplit d’orgueil le gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro, qui paraît croire que c’est là le chemin pour en finir avec la loi du narcotrafic dans la capitale de l’Etat de Rio. Nous sommes ici en train de parler de l’équivalent d’un massacre de Carandiru [1] par mois, tous les mois, ou de quatre morts par jour ou encore d’un toutes les six heures. C’est absolument incroyable. Difficile d’ailleurs de savoir ce qui est pire: la légèreté avec laquelle Sérgio Cabral [gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro] défend le règne de la terreur ou la quasi totale indifférence – quand ce ne sont pas les manifestations d’appui explicite – dans lesquelles ses déclarations sont accueillies par la dite société civile.
Le gouverneur déplore la mort d’innocents, comme José Mariano Beltrame, secrétaire à la Sécurité Publique de Rio qui affirme: « Nous ne voulons pas que se produisent des incidents douloureux concernant des enfants et des gens bien. Mais il est absolument urgent pour nous de désarmer le trafic. » (Folha de S. Paulo, 19 octobre 2007.). Bien. Mais il ne manque que l’explication quant à savoir exactement ce que la police entend par qui est « bien » et qui n’est « pas bien ». Il n’est pas rare que les versions rapportées par les autorités concernant les morts (invariablement expliquées comme étant une réaction des policiers face aux attaques des bandits) diffèrent de celles qui sont données par les habitants des quartiers lorsque ceux-ci ne se sentent pas trop terrorisés pour oser apporter leur version.
Quel est ce mandat de «perquisition collective» ?
Bien que les représentants du gouvernement et de la PM (Police militaire) le nient farouchement, tout habitant d’une favela est par principe suspect et doit être traité comme tel. C’est là que réside précisément la signification du « mandat de perquisition collectif », un procédé complètement non-constitutionnel et irrégulier, autorisé par des juges qui, de manière évidente, partagent la même vision sur ces faits devenus banals à Rio et à São Paulo.
Ce « mandat de perquisition collectif » permet aux policiers de prendre d’assaut les lieux de logement des habitants des favelas et de transformer le quartier entier en un champ de bataille sauvage.
Cher lecteur: vous êtes-vous déjà arrêté un instant pour réfléchir à ce que signifie un mandat de perquisition collectif ? Cela signifie que la police peut entrer dans n’importe quelle maison, à n’importe quelle heure, passer en revue tous les habitants de cette maison, les interroger tous et qu’elle peut saisir tous les objets considérés comme « suspects » pour l’unique raison qu’une maison se situe dans une zone qui est devenue la cible d’une action policière. Le mandat de recherche collectif suspend toutes les garanties constitutionnelles, ignore complètement les droits individuels et les normes les plus élémentaires d’une vie en commun civilisée.
C’est une humiliation terrible pour les citoyens « honnêtes » que l’Etat leur impose au cœur même de leur propre foyer.
Question: quelles sont les chances pour qu’un jour un juge autorise un jour un mandat de perquisition collectif dans les jardins de São Paulo ou dans le quartier de Leblon à Rio [deux quartiers huppés] ?
Nous arrivons ici au cœur du problème. Le gouverneur ne peut se vanter avec une telle légèreté et une telle arrogance de ses Carandirus mensuels que parce que les victimes n’existent pas aux yeux de la classe moyenne. Ce sont des noirs et des pauvres des favelas, un simple amoncellement de chair, dont personne ne ressentira le manque le jour suivant, excepté bien sûr leurs parents et leurs amis qui sont tout aussi noirs et pauvres qu’eux et ne comptent donc pas non plus.
Cynisme et silence
Interrogé par des journalistes sur l’évidente différence d’attitude de la police lors d’opérations réalisées dans des quartiers « blancs » de Rio, Beltrame nie: « Les différences dans l’exécution des opérations existent en raison des caractéristiques de chaque quartier ou favela et du mode d’action des bandes». Qui peut évidemment douter de cela ? Et Beltrame d’expliquer encore que les morts qui se produisent aujourd’hui éviteront un nombre encore plus élevé dans le futur – plus ou moins comme la Maison Blanche a expliqué que les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont eu une action humanitaire (sic) en ce sens qu’elles ont mis fin à la guerre. OK.
Si le cynisme et la brutalité des représentants de l’Etat donnent la nausée, le silence complice de la classe moyenne n’en est lui pas moins affolant. Nous sommes ici face à un immense danger: celui de la connivence avec des procédés de nettoyage ethnique, au nom du combat contre le crime et le « mal ». Nous avons déjà assisté à ce film auparavant et nous savons où celui-ci peut conduire. (Trad. A l’Encontre)
* José Arbex Jr. est journaliste auprès du mensuel Caros Amigos. Voir aussi sur le même thème l’article de Mario Maestri publié le site en date du 17 juillet 2007.
1. Carandiru fait référence au massacre de 111 prisonniers , en octobre 1992, dans le Pavillon 9 de la prison de São Paulo (Carandiru).
(25 novembre 2007)
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