Réforme agraire
Un rapport qui criminalise la lutte pour la terre
Igor Ojeda *
La réforme agraire, placée sous la responsabilité du ministre de la «gauche du Parti des travailleurs», membre du courant Démocratie socialiste (DS), Miguel Rossetto, est un échec. Pire, la vigueur avec laquelle, devant la stagnation d'une des réformes les plus importantes promise par le gouvernement Lula, les grands propriétaires fonciers font montre, selon leur tradition, d'une brutalité accrue et trouvent des appuis importants.
La politique agricole du Brésil – comme nous l'avions indiqué dès la mise en place du gouvernement Lula – est aux mains du riche et puissant secteur de l'agro-exportation. C'est lui qui dicte la ligne.
Cet article reflète l'avancée – sous un gouvernement qui a multiplié en 2002 les promesses aux paysans pauvres et aux sans-terre – de la criminalisation des actions élémentaires de survie engagées par les organisations paysannes. Réd.
Les parlementaires «ruralistes» (un groupe parlementaire représentant les gros propriétaires terriens) de la Commission Parlementaire Mixte d’Enquête (CPMI) de la Terre a réussi ce qui lui tenait le plus à cœur: la criminalisation des travailleurs qui luttent pour un morceau de terre nécessaire à leur survie. Le 29 novembre 2005, le groupe «ruraliste» a adopté par 12 voix contre 1 le rapport parallèle du député Abelardo Lupion (Parti du Front Libéral- Etat du Parana) comme texte final de la commission mise en place en décembre 2003. Avant cela, le rapport du député João Alfredo (Parti du Socialisme et de la Liberté - Etat du Céara) – rapporteur de la CPMI – avait été rejeté par la CPMI de la Terre par 13 voix contre 8.
Le document de Lupion suggère l’approbation d’un projet de loi considérant comme crime abominable l’occupation de la propriété privée et demandant la mise sur la liste des actes terroristes l’occupation de la terre. De plus, ce document sollicite du Ministère Public (MP) la mise en examen de José Trevisol et de Pedro Christóffoli, ex-directeurs de l’Association National des Coopératives Agricoles (Anca), et de Francisco Dal Chiavon, directeur de la Confédération des Coopératives de Réforme Agraire du Brésil (Concrab).
UN AUTRE MONDE
«Ce rapport ne constitue pas une référence, même pour les membres de la CPMI. Ceux-ci demandent la mise en examen d’ex-directeurs de l’Anca et d’un directeur de la Concrab, mais on ne présente aucun fait. Quand les choses ont-elles pris cette tournure? Il n’existe aucune basse objective à leur requête. Ce sont des choses sans pieds ni tête», répond Elmano de Freitas, l’avocat de ces trois directeurs, qui défend l’occupation de la terre en tant que moyen légitime pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il mette en place la réforme agraire. Concernant la caractérisation des occupations en tant qu’actes terroristes, Freitas est formel: «Elle n’est basée sur aucun fondement légal. Ceci est inconstitutionnel. Le concept de terrorisme présuppose une menace contre la vie. Le rapport n’exprime que l’opinion du group des «ruralistes»».
Le rapporteur de la CPMI de la Terre, João Alfredo, considère quant à lui le texte de Lupion comme étant «une singerie, un retour en arrière de cent ans». Pour lui, le rapport va à l’encontre de la réforme agraire, dans la mesure où il ne contient aucune analyse de la situation foncière brésilienne, qu’il ne fait aucun bilan des procédures de réforme agraire déjà mises en place au Brésil, qu’il méconnaît la réalité du travail-esclave et qu’il ne cite pas la violence dans les campagnes. «C’est comme si l’on vivait dans un autre monde. Et c’est pire encore du point de vue des propositions», ajoute João Alfredo.
Toujours selon ce rapporteur, le groupe «ruraliste» a été sur-représenté au sein de la commission aux travaux de laquelle il n’a d’ailleurs pratiquement pas participé. «Quand il s’agissait s’en prendreaux dirigeants du MST [Mouvement des travailleurs ruraux sans terre] ou aux personnalités représentant les travailleurs, ils étaient présents. Et ils ont également été présents en masse pour voter le rapport. Mais ils ne maîtrisaient pas le contenu du dossier, ils n’ont fait que voter contre le rapport et approuver le leur», dit-il.
CRIMINALISATION
Selon l’opinion de Romário Rossetto, coordinateur du Mouvement des Petits Agriculteurs (MPA), la CPMI de la Terre a été créée dans l’unique but de criminaliser les mouvements sociaux, en particulier le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST). «Elle est née compromise, irresponsable et anti-éthique. Elle n’a pas fait de travail d’Enquête sur ce qui méritait d’être examiné, à savoir l’Union Démocratique Ruraliste (UDR) qui assassine des travailleurs ruraux, des militants et des religieux», proteste-t-il.
De plus, la première version du document qui fut approuvé par la suite par la CPMI de la Terre demandait aussi la mise en examen de cinq coordinateurs nationaux du MST et recommandait la suspension immédiate des aides fédérales octroyées aux organisations des travailleurs ruraux. Ce sont les sénateurs Eduardo Suplicy (Parti des travailleurs de l'Etat de Sao Paulo) et Heloísa Helena (Parti du socialisme et de la liberté de l'Etat d'Alagoas) qui ont obtenu le retrait de ces points du texte final.
Le rapport de João Alfredo mettait lui le doigt sur la lenteur du processus de réforme agraire, sur la concentration foncière et sur l’impunité, désignant ces trois éléments comme étant les principaux responsables de la violence dans les campagnes et faisait 150 recommandations. Parmi elles, la mise en place effective de mesures figurant dans le Plan National de Réforme Agraire (PNRA), telles que l’installation de 400 mille familles d’ici à 2006, la création d’un cahier des charges contraignant la Police Fédérale (PF) à enquêter sur les organisations qui stimulent et promeuvent la violence dans la campagne, la mise en examen du président de l’UDR, Luiz Antônio Nabhan Garcia, ainsi que des changements au niveau judiciaire permettant l’accélération des procédures ayant trait à la réforme agraire.
PROTESTATION
Après le rejet du rapport de João Alfredo et l’inclusion du texte parallèle dans les travaux de la CPMIde la Terre, le rapporter a quitté la salle, suivi des députés Adão Pretto (Parti de travailleurs de l'Etat de l'Etat de Rio Grande do Norte), Luci Choinack (Parti des travalleurs de l'Etat de San Catarina) et de la sénatrice Ana Júlia Carepa (Parti des travailleurs de l'Etat du Para). Avant cela, Luci et Ana Júlia avait déjà attaqué le rapport de Luipon et Ana Júlia s’est exprimée ainsi: «En tant que sénatrice de l’Etat du Para ayant présidé la commission d’investigation sur le lâche l’assassinat de Sœur Dorothy [une religieuse américaine qui travaillait depuis quelque 20 ans au Brésil avec les paysans pauvres; elle fut assassinée en 2005; le procès qui se déroule actuellement ne débouche sur aucune mise en accusation des grands propriétaires qui ont payé les deux pistoleros arrêtés], et en tant que défenseur de la cause des travailleurs ruraux depuis de nombreuses années, je ne peux que m’indigner. Et je continuerai à le faire. Ce rapport est une incitation à la violence, une ode à l’impunité».
En même temps que ces événements, le 28 novembre, la Commission Pastorale de la Terre (CPT) a fait sortir à Brasilia le rapport désignant l’Etat du Para comme étant celui où existe le plus grand nombre d’assassinats de travailleurs ruraux dans des conflits autour de la propriété de la terre. Pour le président de cette Commission, l'évêque Tomás Balduino, la CPMI de la Terre n’a pas considéré l’inégalité qui existe au Brésil dans la question agraire et a préféré mettre en examen les dirigeants de la lutte pour la réforme agraire. «C’est plus qu'une démoralisation de la chambre des députés. C’est une institution pourrie, qui n’a plus de raison d’être et qui est néfaste. Elle sert les intérêts particuliers des oligarques».
Le président de la CPMI de la Terre, le sénateur Álvaro Dias (Parti social-démocrate brésilien de l'Etat du Parana) s’est toutefois engagé à mettre en oeuvre une partie des recommandations faites par le rapport déposé devant le Pouvoir Exécutif. (trad. du brésilien)
* Cet article a été écrit par Igor Ojeda; y ont aussi collaboré Tatiana Merlino et João Alexandre Peschanski. Paru dans Brasil du Fato.
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