Mouvement d'occupation de terres dans l'Etat de Pernambuco
La mort dans les campagnes
Jonas Valente *
Nous publions, ci-dessous, quelques informations qui permettent d’appréhender, certes de façon fort parcellaire, la violence des affrontements à l’œuvre dans les campagnes brésiliennes, alors que la réforme agraire est fort loin d’avoir atteint les objectifs réduits que le gouvernement Lula s’était fixés. – Réd.
Pernambuco est connu comme un des Etats ( 8 millions d’habitants, capitale Recife) du Brésil où la lutte pour la réforme agraire se développe de la façon la plus intense. Selon des données provenant du Ministère du développement agraire (réforme agraire), c’est l’Etat qui a connu le plus grand nombre d’occupations (31 sur un total de 164 relevées) au cours de la mobilisation organisée entre janvier et août 2005. Malgré les tensions suscitées par le grand nombre de campements (regroupement de paysans sans terre dans l’attente de pouvoir s’installer sur des terres), d’installations et d’occupations, l’Etat de Pernambuco ne figure traditionnellement pas sur la liste des Etats qui comptent le plus grand nombre de morts à l’occasion des conflits se déroulant dans le secteur rural. Toutefois, cette situation semble être en train de se modifier puisque, fin septembre, des sans-terre et des travailleurs ruraux, liés aux divers mouvements revendicatifs paysans, subirent une vague d’attaques qui firent trois morts. De plus, des familles logeant dans des campements ont été attaquées.
La première victime fut Hanilton da Silva, dirigeant du MLST (Mouvement pour la libération des sans-terre). Constamment menacé par les grands propriétaires (fazendeiros) de la région à cause de ses activités dans le mouvement paysan, Hanilton fut assassiné à Itaiba (municipalité qui se trouve à quelque 350 km de Recife). Il a été abattu par 18 balles. Les jours suivants, selon des informations du MST, une série de tueurs (pistoleiros) ont encerclé un campement du mouvement dans la ville d’Altinho. Les membres du mouvement ont dû se cacher dans des bâtiments de la ferme et essuyer des tirs jusqu’à l’aube ; l’«aide» de la police, réclamée durant des heures, se manifesta au cours de la matinée.
Un nouvel assassinat fut enregistré dans la région d’Itacaimbo, dans une zone rurale de l’Etat de Pernambuco. Selon le rapport établi par le MST, Antonio José dos Santos, qui faisait partie d’un campement réunissant 43 familles fêtant la réception du titre leur donnant le droit d’occuper un terrain, après cinq ans de lutte, a quitté la ferme «pour aller acheter des cigarettes». Plus tard, il a été retrouvé mort avec des marques de coups, de tortures et 14 fractures. Le jour suivant, dans cette macabre régularité d’attentats quotidiens, le président du syndicat des travailleurs ruraux de Taquaritinga do Norte, Luiz Manoel, fut retrouvé assassiné dans sa maison par deux coups de pistolet.
Alors qu’il apparaît évident pour les divers institutions et mouvements engagés dans la lutte pour la réforme agraire que ces crimes font partie d’une vague d’attaques propre aux tensions accrues dans la campagne, les autorités censées enquêter sur ces cas préfèrent choisir d’autres thèses. Dans le cas de Luiz Manoel, la police a indiqué que ses recherches aboutissaient à l’indication d’un crime passionnel. Le journal Folha de Pernambuco cite un responsable qui affirme: «La possibilité d’un crime d’ordre politique ou ayant un rapport avec la question agraire a été pratiquement écartée.» Pour ce qui concerne Antonio José dos Santos, la police a informé que la mort aurait été provoquée lors d’une incompréhension au moment où la victime cherchait à concilier deux amis dans une bataille pour un héritage.
L’unique cas où la police n’écarte pas la possibilité de motivations reliées aux conflits ruraux est celui d’Hanilton da Silva. Toutefois, des membres du MST affirment qu’est mise au point une opération visant à accréditer l’idée que des membres de sa famille pourraient avoir des responsabilités dans son assassinat. Les animateurs des mouvements paysans et diverses personnes liées à des organisations de défense des droits de la personne humaine indiquent que la coïncidence entre ces morts et ces attaques et le mouvement de lutte des ruraux est claire, et que ces attaques ont été suscitées par des grands propriétaires.
Le secrétaire des droits de l’homme de l’Etat de Pernambuco, Claudio Carraly, indique qu’il est tout à fait problème que ces crimes aient été commis à cause des affrontements pour la terre, d’autant plus qu’il s’agit de dirigeants intégrés aux conflits se déroulant dans ces zones rurales… Carrely a tenté d’entrer en contact avec les responsables du programme de protection des droits de l’homme du gouvernement fédéral, mais il n’a pas obtenu de succès.
Pour Placido Junior de la Commission pastorale de la terre, la vague d’attaques est le résultat d’une situation de tensions dans le milieu rural provoquée par, d’une part, la concentration des terres, la réforme agraire et, d’autre part, par la précarité de la «sécurité» offerte dans le pays. Selon lui: «La violence dans les campagnes repose sur deux piliers: le latifundium (la grande propriété) et l’impunité.» Jaime Amorin, de la direction nationale du MST, déclare: «La responsabilité pour la violence dans les campagnes réside dans la non-application de la réforme agraire.»
Selon un rapport de la Commission pastorale de la terre, publié en septembre 2005, 28 assassinats ont été enregistrés entre janvier et août, un de plus qu’en 2004, pour la même période. Malgré la stabilité du nombre d’homicides, on assiste à une augmentation des autres formes de violence et de mort liées aux conflits concernant la propriété agraire. Ainsi, selon les données collectées par la Commission pastorale, il y a eu, sur la période mentionnée, 27 tentatives d’assassinat, 114 menaces de mort, deux personnes torturées, 52 agressées physiquement, 144 emprisonnées, et 80 blessées.
* Article publié dans Carta Maior.
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