2006: une année de lutte et de mobilisation !
Cette lettre du MST [publiée ci-dessous] illustre les difficultés que rencontrent les mouvements sociaux – dont l’un des plus marquants est celui des paysans luttant pour une réforme agraire – sous le gouvernement de Lula. Le ministre de la réforme agraire, Miguel Rossetto, lié à une prétendue gauche du PT – Démocratie socialiste – a avalisé, de fait, l’ensemble de l’immobilisme du gouvernement Lula face à ce qui représente le symbole le plus extrême de la concentration de la richesse du Brésil (la propriété de la terre) et le degré aigu d’inégalité sociale. La grande bourgeoisie ne se trompe pas. Dans le quotidien Folha de Sao Paulo du 19 janvier 2006, l’économiste Paulo Nogueira Batista Jr ne manque pas de souligner que les milieux financiers nationaux et internationaux, dans la phase actuelle, préfèrent soutenir Lula pour les élections présidentielles de 2006 que son ancien adversaire J. Serra, poulain de F.H. Cardoso.
L’économiste Paulo Nogueira Batista – dont on peut certes discuter les jugements – termine son article en disant que «le groupe politique qui est arrivé au pouvoir en janvier 2003…n’a pas tenté de changer la politique économique. Ce fut une capitulation sans lutte».
D’aucuns applaudissaient avec naïveté l’élection de Lula en fin 2002. Cette élection devait ouvrir une nouvelle période favorable aux intérêts des masses exploitées et opprimées du Brésil. Or, ce fut une période très faste…pour le capital financier ! Pour le gros du peuple brésilien rien n’a changé. cau
Chers amis et chères amies du Mouvement des Sans-Terre (MST),
Afin que nous engrangions de nombreuses victoires au cours de l’année qui s’ouvre, le MST est en train de planifier des luttes et des mobilisations. Ce sont des formes de pression sociale organisée, afin qu’il y ait moins de restaurants fast food à chaque coin de rue et plus de bibliothèques et de librairies ; un accès à la terre permettant de produire des aliments sains et bon marché ; un emploi et un salaire minimal pour toutes les familles ; une éducation gratuite de qualité ; un meilleur accès à l’information ; une réhabilitation de la culture populaire et l’amélioration de la santé en général. Pour cela il sera nécessaire de débattre dans tous les espaces publics possibles autour de la construction d’un projet qui soit anti-néolibéral, anti-impérialiste, populaire et national.
Mais le nouveau modèle ne sera viable qu’à partir d’un véritable processus de discussions qui accumulera des énergies, des forces et des accords autour d’idées. Sans doute sera-t-il nécessaire que le mouvement des masses se renforce afin que la corrélation actuelle adverse des forces soit altérée. La lutte du MST ainsi que la vie elle-même de toute personne qui y participe tendent à voir ce rêve devenir réalité en terre brésilienne.
L’année passée [2005] a été dure pour les travailleurs et travailleuses ruraux et urbains ainsi que pour la Réforme Agraire elle-même. Heureusement qu’au cours de l’année 2005, le MST a reçu beaucoup d’appui et de solidarité de la part de la société, dans la lutte notamment des 160 mille familles qui campent sous des tentes de coton noir au bord de routes ou sur des terres improductives – et celle des 350 mille familles qui sont installées sur des terres.
Le MST considère comme important le fait de socialiser son évaluation de l’année écoulée ainsi que les défis auxquels il se verra confronter cette année. Avec les autres mouvements sociaux, le MST a constamment exprimé sa préoccupation concernant la gravité de la crise brésilienne. Le cadre est dramatique. La crise ne se limite pas à un problème politico-partidaire. Il touche intensément la question idéologique qui se reflète dans l’absence de projets, plongeant ainsi le Brésil dans un abîme social. Ce qui est dramatique, c’est qu’il n’existe aucune pensée stratégique à long terme tournée vers la résolution des vrais problèmes structurels du pays, et qu’ainsi ces questions sont reportées sur le futur.
Les réflexes de la politique économique adoptée, qui vit avec des taux d’intérêts barbares, sont en panne et le bonheur constitue la chasse gardée d’un club select qui réunit banquiers et spéculateurs internationaux. Selon le Professeur Eduardo Fagnani de l’Université de Campinas (Unicamp), le paiement de trois jours des intérêts des dettes intérieure et extérieure consomme à lui seul le budget d’une année de Réforme Agraire. Quant aux dépenses consenties au paiement de 20 jours d’intérêts, elles sont équivalentes à ce qui a été investi durant 10 ans dans l’habitat populaire et dans des travaux d’assainissement de base.
Le MST s’est efforcé de construire une unité entre les mouvements sociaux de la campagne et ceux de la ville, afin de forger collectivement une alternative populaire pour le Brésil. Les résultats se sont fait sentir tout au long de cette période où:
Pour notre Mouvement, 2005 fut également une année d’apprentissage. Le défi consistant à mettre en mouvement 12 mille marcheurs pendant dix-sept jours – de manière organisée et sérieuse – a abouti à faire de la Marche Nationale pour la Réforme Agraire un événement incontournable. La difficulté de la marche a été adoucie grâce à l’appui des amis du MST ainsi qu’aux moments d’étude et de formation offerts tout au long des 200 kilomètres de trajet reliant Goiania [capital de l’Etat de Goias: centre Ouest du Brésil] à Brasilia [capitale administrative du Brésil]
Mais si la Marche a été un succès du point de vue de l’apprentissage de l’organisation et de la solidarité, le gouvernement lui a déçu une fois de plus: il n’a pas honoré les sept engagements pris lors de l’arrivée de la manifestation à Brasilia.
Le MST regrette que la Réforme Agraire ne soit pas considérée comme un mécanisme de démocratisation de la terre (dans notre pays, le 1% des propriétaires détient à lui seul le 46% des terres ) ni comme un mécanisme de gestion et de distribution de la richesse et du revenu. Elle est uniquement considérée comme une politique de compensation sociale dans une économie qui favorise les exportations de céréales vers les pays riches, alors que le peuple a difficilement accès aux produits de base quotidiens. La simple approbation d’un arrêté ministériel qui actualise les indices de productivité, conformément à la moyenne calculée par le IBGE [Insititut brésilien de géographie et de statistique] suffirait déjà à ce que le processus de Réforme Agraire avance. Pourtant cette décision, qui n’implique aucune dépense et qui se trouve exclusivement dans les mains du Pouvoir Exécutif, n’a pas été prise. Il a manqué une volonté politique.
La Réforme Agraire continue lentement, en dépit du gouvernement qui se vante de chiffres qui n’existent pas. En trois ans, L’Etat du Rio Grande do Sul n’a vu que 100 familles installées. Et dans celui du Maranhao [Nord-Est, capitale Sao Luis], Etat qui exhibe les plus forts taux de concentration de la terre, aucune famille n’a été installée. L’inertie sert de stimulation à la grande propriété.
La CPMI [Commissao Parlamentar Mista des Inquérito] de la Terre [1] a manqué une chance historique de modifier la structure agraire du pays et de proposer des mesures cohérentes. Elle a préféré se soumettre à l’UDR (Union Démocratique Rurale - regroupant les grands propriétaires fonciers) et inverser ainsi les rôles. Pour les parlementaires de la CPMI, le fait de concentrer des terres dans un pays connaissant de tels problèmes sociaux n’a rien de choquant. Ce qui en revanche est pour eux scandaleux, c’est le fait de lutter contre la faim et l’inégalité. La commission a voulu transformer les victimes en promoteurs de la violence. Elle a simplement ignoré les 38 personnes mortes dans des conflits autour de la terre au cours de l’année, dont 16 dans l’Etat du Para [au Nord]. Symboliquement, le jour de l’adoption du rapport, un travailleur Sans Terre a été assassiné par des bandits dans l’Etat d’Alagoas [Etat dont la capitale est Maceio ; la sénatrice Heloisa Helena – figure publique du P-SOL – est élue dans cet Etat] La tentative de criminaliser les mouvements sociaux ainsi que les travailleurs et travailleuses vivant en état d’esclavage dans des grandes fazendas a gagné en intensité.
Le MST ne croit pas aux miracles. Il sait qu’il est temps de fortement lutter sans pour autant laisser de côté l’espérance. Le changement ne viendra ni des cabinets ni des palais, mais du peuple organisé et mobilisé. Le Mouvement a la certitude qu’un nouveau projet pour le pays sera le fruit de la participation populaire au processus de démocratisation de la terre, des richesses et des moyens de communication. Nous puisons des forces pour cette tâche dans les leçons d’Apolonio de Carvalho [2] qui est mort l’année passée. Peu de semaines avant de mourir, Apolonio nous a dit, avec sa motivation infatigable: «Il ne sert à rien que les gens, regardant la réalité, protestent seulement contre cette réalité. Ce que nous voulons, c’est un monde non seulement meilleur, mais un monde plus jeune, plein de créativité, d’abnégation, de paix, de justice, de relations humaines généreuses et pures. Avec comme idéal celui d’une société nouvelle, dans laquelle se corrigent peu à peu les injustices et les cruautés, jusqu’à atteindre un monde plus égalitaire, plus fraternel et plus solidaire». Le MST croit en la construction de cette nouvelle réalité.
1. La Commission parlementaire d’enquête mixte a approuvé, le 29 novembre 2005 un rapport mis au point par la fraction représentant les grands propriétaires terriens – rapport présenté par Aberlardo Lupion du Parti du Front libéral (PFL), député de l’Etat du Parana. Ce rapport caractérisait les occupations de terre comme des «actes terroristes» et visait à criminaliser les activités en faveur de la réforme agraire. Un contre-rapport avait été préparé par Joao Alfredo (membre du Parti du Socialisme et de la Liberté – PSOL de l’Etat de Ceara). Ce contre-rapport fut invalidé par 13 voix contre 8. Une partie de la commission la quitta, pour manifester leur opposition à la fraction ruraliste. Réd.
2. Apolonio de Carvalho est une figure marquante du mouvement révolutionnaire et ouvrier du Brésil. Après avoir fait ses classes dans l’armée, il s’est engagé dans les rangs du Parti communiste et de l’Alliance nationale de libération. Il a participé à la «guerre civile» en Espagne, puis dans la Résistance française contre la domination nazie. Il a été des combats clandestins contre la dictature militaire brésilienne, s’est engagé dans le PPCBR, puis a rejoint le PT jusqu’à sa mort. Réd
case postale 120, 1000 Lausanne 20
Pour commander des exemplaires d'archive:
Soutien: ccp 10-25669-5
Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer: