Tarso Genro
Le scandale de la corruption
Au Brésil circulent quelque 900 millions de dollars servant à financer la «politique sale»
Entretien avec le président du PT, Tarso Genro *
Tarso Genro, actuel président du Parti des travailleurs (PT), a dû quitter, il y a deux semaines, son logement fort commode de ministre de l’Education à Brasilia. Maintenant, depuis un bureau petit et mal agencé dans le bâtiment du PT de Sao Paulo, il doit s’atteler à une tâche dure et ingrate: la reconstruction de l’image de son parti, très affecté par les cas de corruptions. Hier, dans son bureau de Sao Paulo, lors d’un entretien avec Clarìn, Tarso Genro a admis que les dénonciations qui visaient son parti ne mettaient en lumière que la pointe de l’iceberg d’un processus beaucoup plus scabreux.
Il dit que, dans le PT, fonctionnait une «structure parallèle» qui n’était responsable devant aucun organisme interne du parti. Il a indiqué que le trésorier du PT, Delubio Soares, se trouvait à la tête de ce groupe. Il a admis «l’illégalité» des méthodes de financement du parti, mis en place par cet ex-dirigeant de la gauche.
Mais, ses dires allaient plus loin lorsqu’il a signalé que les fonds auxquels s’abreuvait l’ex-trésorier Soares et son groupe venaient d’une «centrale de blanchiment de l’argent» construite par des organisations criminelles «nationales et internationales». La façade de cette entreprise était constituée par les firmes du grand publicitaire Marcos Valerio de Sousa qui assurait les besoins financiers du PT depuis la fin de 2002. Le groupe de cet entrepreneur au cours des dernières années avait la main sur 870 millions de dollars. Selon Genro, seule une petite partie de cette somme a servi réellement à payer les activités du PT et des autres partis, parmi lesquels le Parti social-démocrate du Brésil (de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso), le parti travailliste brésilien (PTB), le parti libéral (du vice-président Alencar) et le parti progressiste (PP).
Tout ceci, dit Tarso Genro, devrait aboutir à produire un grand changement au sein du PT. Par exemple, il faudrait changer les méthodes sophistiquées utilisées pour les campagnes électorales en faveur de «méthodes plus artisanales, cela va être bon pour nous. Nous allons retrouver notre réalité». Le porte-parole du PT prévoit «des défaites électorales importantes» résultant de la sanction que lui infligera son électorat traditionnel.
Eleonora
Gosman: Qu’est-ce
que vous avez trouvé, lorsque vous avez pris la présidence du parti ?
Tarso Genro: Dans le PT, s’est développée une structure parallèle de pouvoir qui outrepassait les limites des instances politiques du parti et qui s’occupait du financement des activités. Cette structure s’est transformée en un instrument de pouvoir d’un groupe, avec des intérêts personnels.
Tous les jours vous devez faire face à de nouvelles dénonciations contre le PT. Il y a un concours dans la presse brésilienne, ce qui est sain, pour savoir qui va émettre la dénonciation la plus forte et découvrir le fait le plus spectaculaire. Nous pensons que cela est démocratique et favorise la liberté de presse, même si cela rend plus difficile l’éclaircissement des faits.
E. G.: Comment fonctionnait le «pouvoir parallèle» dans le PT ?
T. G.: L’ex-trésorier, Delubio Soares, a mis en place un schéma de financement parallèle qui s’appuyait sur des prêts bancaires, effectués à des firmes du grand publicitaire Marcos Valerio de Sousa. Toutefois, cela représente un montant petit comparé aux volumes des ressources non-identifié et qui n’était pas destiné à financer seulement le PT. Nous avons là la pointe d’un iceberg, qui est une structure financière illégale qu’il faut mettre à jour. Pour cela, il faut chercher les origines de l’argent, les 870 millions de dollars. L’enquête ne peut se limiter uniquement à la petite partie (environ 24 millions de dollars) qui fut allouée au PT et au PSDB (de Cardoso). Je me pose une question. N’existerait-il pas une mégastructure de blanchiment d’argent qui pourrait être lié à des groupes nationaux et internationaux, légaux et illégaux ?
E. G.: Qu’en est-il de l’accusation selon laquelle le PT a soudoyé des parlementaires ?
T. G.: Il y a eu des transferts d’argent des parlementaires qui ne sont pas effectués dans le cadre de la loi. Mais, c’était pour payer des dépenses de campagne électorale. Jusqu’à maintenant, il n’existe pas de preuve de transfert systématique d’argent qui pourrait démontrer l’existence du versement [a des parlementaires] de mensualités [c’est le terme officiel, utilisé au Brésil, pour acheter le vote]. Je ne peux pas dire que cela ne s’est pas passé, car dorénavant plus rien ne me surprend.
E. G.: Pourquoi le PT a-t-il payé ses alliés dans le gouvernement ?
T. G.: Ce que je peux confirmer, c’est qu’il y a eu des transferts d’argent en faveur des alliés du PT et que cela c’est traduit par un type de relations abâtardies. Il y a des éléments qui déterminent ce type de comportement. Le premier, l’absence de loyauté dans les relations avec le parti, qui supprime la possibilité de dialogue formel et institutionnel entre les partis [il est traditionnel au Brésil qu’un élu change de parti durant la législature, en vue de l’obtention d’avantages matériels]. Le second, le fait que le Congrès national brésilien représente une composition d’intérêts régionaux fragmentés et non une représentation institutionnelle fédérale [les négociations entre partis dans l’intérêt d’un Etat, d’une région, les négociations sont très fréquentes].
Tout cela affaibli le Congrès comme institution et les partis.
E. G.: Ainsi le Congrès du Brésil serait un grand marché ?
T. G.: Je ne dirai pas cela, parce qu’au Congrès il y a une majorité de parlementaires respectables. Mais il existe aussi une partie du Parlement qui est soumise à un rapport de dépendance économique avec le pouvoir.
E. G.: Comment est-il possible que dans le PT, personne n’a réussi à voir qu’existait ce groupe «parallèle» ?
T. G.: Je crois que c’est la faute du pragmatisme que nous avons adopté dans notre système d’alliance pour assurer la gouvernabilité du centre-gauche. Le Parti, comme institution n’a pas eu une relation ouverte, transparente, de collaboration au moment où nous sommes arrivées au pouvoir. Avec le gouvernement Lula on s’est noyé dans le pragmatisme, ce qui a conduit à une décomposition de notre base.
* Cet entretien a été réalisé par la correspondante Eleonora Gosman à Sao Paulo du quotidien argentin Clarìn, le 5 août 2005. La présentation de l’entretien est celle de E. Gosman.
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