Evo Morales
Du colonialisme à l’indianisme
Christian Rudel *
La tradition analytique de la gauche radicale européenne ou d’Argentine sur «la situation sociale et politique» en Bolivie – confortée en partie par l’œuvre du marxiste bolivien de Guillermo Lora – est marquée par une approche unilatérale ou biaisée.
Pour faire image, elle ne voyait dans le mineur bolivien qu’un prolétaire et non pas un «indien» prolétarisé; c’est-à-dire un quechua ou un aymara qui a été «mobilisé» par les descendants de Francisco Pizarro (XVIe siècle), puis par la «bourgeoisie nationale» en formation, dès le XIXe siècle, afin d’extraire, au prix de son sang, de l’étain et de l’argent. Et être exécuté par l’armée lorsqu’il se révoltait.
Cette interprétation était d’autant plus dominante que les références écrites reconnues tendaient à confirmer les vœux de ceux qui fournissaient cette analyse «ouvriériste» épurée. Par exemple, les Thèses de Pulacayo – datant de 1946, rédigées par Guillermo Lora, avec en arrière-fond l’influence de marxistes-révolutionnaires européens – étaient présentées comme le produit direct, authentique, des mineurs membres de la Fédération des syndicats de mineurs de Bolivie. Ce n’étaient pas le cas.
En outre, une sorte de sous-culture trotskysante était largement répandue dans les cercles dirigeants – assez restreints et peu «indianisés» – des forces politiques marxistes militantes. Elles étaient effectivement actives et ont joué un rôle non-négligeable dans l’histoire des luttes de classes en Bolivie.
Toutefois, sous l’impact, d’une part, du recul socio-démographique des mineurs depuis le milieu des années 1980 (étant donné, entre autres, la crise des mines d’étain et d’argent) et, d’autre part, de la vague longue et complexe des mobilisations indigénistes – liées, en partie, à la profondeur de la crise socio-économique et à la décentralisation de structures étatiques, propres aux plans de réajustement structurel – un double statut va s’affirmer. Celui, «d’indien» ayant lutté, sous des formes très diverses, pour la réappropriation du territoire au même titre que contre l’exploitation et l’oppression et, celui, de travailleurs et travailleuses, de membre du paupériatat.
Nous publions, ci-dessous, un article de Christian Rudel. Toute approche politique et analytique comporte ses risques. Ici existe celui de mettre trop entre parenthèses les enjeux politiques et économiques issus, non seulement, de l’histoire récente de la Bolivie, mais aussi du contexte international et des politiques des impérialismes des pays du «centre», ainsi que des forces économiques dominantes du Brésil.
Néanmoins, c’est en tentant d’approcher de la manière la plus respectueuse possible des luttes quotidiennes protéiformes, visant à «transformer» la Bolivie, que l’on pourra, au mieux, saisir le processus en cours, qui n’obéit pas à la temporalité institutionnelle analysée par les politologues. Cet article apporte sa contribution à cette tâche. (cau)
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La «nouvelle Bolivie» issue des urnes en 2005 ne saurait être réduite à une simple victoire de la gauche politique comme l’ont qualifiée certains commentateurs occidentaux. Il s’agit bien plutôt de la victoire de «l’indianisme» sur plus de 500 ans de colonialisme et d’injustice.
Le 18 décembre 2005, par des élections parfaitement démocratiques, la Bolivie se donnait, pour la première fois de son histoire, un président d’origine indigène. Le fait est d’autant plus remarquable que ces indigènes – les descendants des peuples vivant dans ce pays avant la «découverte» de l’Amérique et l’arrivée des Européens – forment au moins 70 % de la population. Important événement donc, mais surtout annonce et amorce d’un changement profond de la vie politique, économique et sociale de la Bolivie.
Car, selon le programme du nouveau président Evo Morales et de son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS), il s’agit de bâtir une nouvelle nation où tous les hommes seront égaux dans la diversité de leurs origines ethniques, de leurs langues, de leurs coutumes et de leurs croyances, alors que l’attitude héritée des temps de la colonisation et qui a prévalu jusqu’à maintenant était de considérer les «Indiens» comme des hommes inférieurs.
Il s’agit aussi d’assurer la base économique de la nouvelle Bolivie et la vie digne de tous ses citoyens par le retour sous sa souveraineté des ressources naturelles actuellement exploitées à leur profit par de grandes compagnies internationales.
Le MAS avait ainsi rassemblé et systématisé les demandes et revendications populaires exprimées par les divers mouvements, syndicats, organisations paysannes et autres associations de quartier.
Celles-ci luttaient (marches, grèves, coupures de routes, etc.) contre la persistance du vieil esprit colonial, la ségrégation raciale et les conséquences de la mise en pratique, au milieu des années 80, du modèle économique néolibéral: privatisation des entreprises nationales suivies de licenciements massifs, hausse du coût de la vie, arrêt de la nécessaire réforme agraire et concentration des terres au profit des grandes exploitations agro-industrielles, saccage de la forêt subtropicale pour l’exploitation des bois et le développement de l’élevage, destruction de l’environnement et de l’habitat des peuples indigènes de la forêt…
Au même moment, les producteurs de feuilles de coca étaient en butte au programme de destruction des plantations de cocaïers élaboré par les États-Unis pour lutter contre la drogue et appliqué par la Bolivie avec le soutien financier, technique et militaire de Washington. Or, les champs de cocaïers avaient été le refuge de nombreux travailleurs licenciés après les privatisations ainsi que de petits paysans de l’Altiplano fuyant pénurie de terres, sécheresses et pénibles conditions de vie. De plus la coca, présente dans la vie quotidienne des Andes depuis la nuit des temps, est un de ses plus forts signes identitaires: s’attaquer à elle c’est s’attaquer directement à «l’âme» des peuples andins.
Révoltes et soulèvements indigènes
En fait, le peuple bolivien, et au premier rang les indigènes, n’a jamais accepté le joug des vainqueurs, aussi bien sous l’empire inca que pendant la colonisation espagnole et sous la république indépendante qui n’était que la continuation du système politico-économique de la colonie. Nombreux ont été, au long des siècles, les révoltes et les soulèvements indigènes et, plus récemment, les grèves et manifestations violentes des mineurs, accompagnées de tentatives ou de débuts de véritables organisations de résistance. Dans le monde indigène des dernières décennies du 20ème siècle il faut d’abord mentionner le «réveil» aymara du début des années 1970 qui, en quelque sorte, préparera la venue du MAS. A cette époque étaient apparus les premiers partis politiques aymaras: le Mouvement révolutionnaire Tupac Katari (MRTK) et le Mouvement indien Tupac Katari (MITKA), tous deux se référant à Tupac Katari, le héros aymara du grand soulèvement des années 1780-1782. Ces partis dénonçaient l’exploitation économique, l’oppression culturelle et la discrimination raciale dont étaient victimes les peuples autochtones. Ils revendiquaient leurs traditions et leurs cultures, la démocratie communautaire et l’autonomie. Ils ont participé à quelques élections, obtenu quelques élus et ont pu ainsi présenter les thèmes de la renaissance et les revendications ethniques.
Les «kataristes» contrôlaient la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB), confédération indépendante qui avait mis fin à la mainmise des militaires sur le monde paysan. A la fin des années 1990, l’Aymara Felipe Quispe Huanca était arrivé à la tête de la Confédération paysanne. Associé à des secteurs de la gauche urbaine alors dirigés par Álvaro García Linera (aujourd’hui vice-président de la République), il avait participé à la formation de foyers de lutte armée de style cubain, les ayllus rouges, d’où était sortie l’Armée de guérilla Tupac Katari (EGTK) rapidement démantelée et dont les chefs furent emprisonnés. A sa sortie de prison Felipe Quispe avait créé le Mouvement indien pachakuti (MIP) et lancé le projet d’une république aymara indépendante.
De leur côté, les peuples autochtones de la vaste zone amazonienne – quelque 800 000 personnes – confrontés depuis longtemps au vol continuel de leurs terres par les grands propriétaires de l’agroindustrie et de l’élevage extensif, et au saccage de l’environnement, avaient mis sur pied la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB) pour la défense et la reconnaissance des droits des peuples originaires.
Il faut ajouter que, déclenchée au niveau continental en réaction à l’annonce des festivités officielles devant marquer, en 1992, le cinquième centenaire de la «découverte» de l’Amérique par Christophe Colomb, la campagne «500 ans de résistance» avait été pour tous les peuples originaires l’occasion de découvrir ou de redécouvrir les sociétés et les civilisations précolombiennes dont ils sont les descendants, d’en tirer orgueil, de prendre la mesure de leur place et de leur situation dans les sociétés et les États actuels, et de demander avec fermeté respect et reconnaissance de leurs droits.
Une nouvelle organisation populaire
Le coup de génie d’Evo Morales – qui avait pris la tête des syndicats de défense des cocaleros du Chapare – est d’avoir senti que les temps changeaient et, surtout, d’avoir su rassembler les diverses organisations et leurs revendications pour en faire la base d’une nouvelle organisation populaire, porteuse de toutes les revendications, de tous les projets de changement, certes d’abord axée sur les peuples indigènes, mais ensuite proposée au pays tout entier.
Ainsi était né le Mouvement vers le socialisme – le MAS – qui s’était d’abord appelé, au début des années 1990, Instrument pour la souveraineté des peuples (IPSP), car il s’agissait alors de dénoncer et de s’opposer à l’ingérence des États- Unis ouvertement engagés dans la lutte contre la coca et la drogue. Et le MAS, pour faire aboutir les revendications de ses multiples composantes, s’engage rapidement sur la voie de la conquête directe du pouvoir en participant aux compétitions électorales.
Une nouveauté qui, ainsi que le note Álvaro García Linera, l’actuel vice-président de la République, marque «une rupture avec les stratégies antérieures… Auparavant, les stratégies de lutte des classes subalternes étaient construites autour d’une avant-garde unie qui réussissait à mettre sur pied des mouvements qui lui servaient de base sociale. D’autres fois, il s’agissait d’une avant-garde politique, légale ou armée, qui réussissait à entraîner ou à se connecter à des mouvements sociaux qui, ensuite, la propulsaient…». De fait, la plupart du temps, syndicats et mouvements sociaux ne servaient que «d’échelles politiques» aux partis luttant pour le pouvoir et le parti victorieux oubliait ces mouvements et leurs revendications dès le soir des élections.
Cette nouveauté – l’auto-représentation des populations et des classes oubliées et marginalisées – et cette rupture sont l’un des points centraux de ce que l’on appelle là-bas «l’evismo» – un néologisme formé à partir de Evo – qui n’est pas un corps de doctrine, mais plutôt un ensemble de mesures et de démarches pragmatiques dictées par les circonstances. Une autre nouveauté de «l’évisme» est la reconnaissance de l’incontournable réalité des indigènes, massivement présents aussi bien dans la population nationale – plus de 70 % – que dans tous les mouvements sociaux. Que ces indigènes soient Quechuas, Aymaras, Guaranis, Chiriguanos ou originaires de la forêt et du bassin amazonien – au total, trente-six groupes ethniques – tous demandent la fin de la colonisation et la fin de 500 ans d’injustice. Les deux allant de pair, la colonisation, son appareil politique, son système économique et ses exclusions sociales ayant duré bien au-delà de la fin de l’empire colonial espagnol.
La nation que proposent Evo Morales et le MAS, «la nouvelle Bolivie» doit donc prendre racine sur la présence indigène, présence physique renforcée par les revendications et luttes identitaires de ces dernières décennies. Ces revendications et luttes ont remis au grand jour les facteurs identitaires (langues, religions, coutumes, etc.) oubliés et niés par les divers pouvoirs qui se sont succédés depuis l’arrivée des Européens, lesquels d’ailleurs avaient fourré dans un même sac étiqueté «indien» tous les peuples indigènes. Aussi la nouvelle Bolivie doit-elle être une nation ouverte à tous, pluriethnique et pluriculturelle, et mettant en valeur l’unité dans la diversité.
En d’autres termes, la Bolivie nouvelle abandonne la «tradition» d’un pays tournant sur l’axe de la seule élite blanche pour l’avenir d’une nation organisée autour des pôles multiples des peuples originaires. Le 21 juillet 2005, faisant le bilan de ses six premiers mois de pouvoir, le président Morales déclarait: «Chaque mesure du gouvernement a pour objectif l’inclusion des majorités nationales dans un projet de renaissance de la patrie. Nous allons y arriver, dans un total attachement à la liberté d’expression et à la démocratie». Certains diront que les combats et les idées de Bartolomé de Las Casas (mort il y a 440 ans, le 31 juillet 1566) trouvent enfin leur accomplissement.
Une action de décolonisation
Cet avenir passe par la reconnaissance et le soutien des peuples originaires et de leurs facteurs identitaires. Ainsi s’entend un des versants de l’action de décolonisation dont le nouveau gouvernement se veut l’agent. Par exemple, les nombreuses langues originelles (toujours vivantes bien que les exodes ruraux aient contribué à une expansion de l’espagnol) doivent être respectées – présence d’interprètes dans toutes les administrations et milieux de vie – enseignées et employées quotidiennement.
Ainsi, la religion originelle – celle des Andes et celles des peuples de la forêt – qui a dû se cacher derrière les symboles du catholicisme apporté par les Espagnols entend reprendre ouvertement sa place. De cette reconquête bruissent les discussions autour de la réorganisation de l’enseignement.
De même, la justice communautaire devra être reconnue. Cette justice, rendue au grand jour, oralement devant la communauté réunie, en vertu de règles millénaires, a pour objectif de maintenir et de promouvoir la paix dans la communauté et de faciliter le «retour» de ceux qui ont violé les règles élémentaires de vie en société.
Autre coutume communautaire à reconnaître, la prise de décisions par consensus après de plus ou moins longues discussions auxquelles la communauté tout entière est appelée à participer et qui réduit le rôle du chef de la communauté (une charge jamais confiée à vie, mais soumise à renouvellement dicté par les circonstances) à «commander en obéissant».
Devra aussi être rétablie et respectée l’ancienne autonomie des peuples indigènes sur leurs territoires traditionnels ; une autonomie qu’il ne faut pas confondre avec l’autonomie départementale actuellement au centre de fortes discussions ni avec l’autonomie d’autres entités administratives issues de la colonisation ou des temps actuels.
Ainsi se dessine l’indianisme proposé par Evo Morales, un indianisme qui ne doit pas laisser de côté la Bolivie non indigène ni la rejeter dans une situation de mépris, au nom d’une quelconque revanche historique ou d’un retour excluant aux traditions et coutumes des peuples andins. Cette politique aurait sans doute vite fait de provoquer la partition de la Bolivie en deux parties: une «indienne» et pauvre sur l’Altiplano et l’autre «blanche» et riche dans l’Oriente. Aussi, «l’évisme» offre-t-il à la Bolivie non indigène la situation et les mêmes droits que ceux des nations natives et l’associe au partage et à l’exercice du pouvoir.
L’indianisme, ainsi complété, a été qualifié de «flexible» et «culturel», par opposition à un certain indigénisme intransigeant et excluant qui a eu naguère ses partisans. D’ailleurs les «500 ans de colonialisme et d’injustice», auxquels le nouveau gouvernement veut mettre fin, ne s’étaient pas abattus sur les seuls indigènes mais sur l’ensemble de la population. En somme, au nom de l’indianisme, c’est un véritable contrat social – le premier dans l’Histoire bolivienne – qui est proposé aux multiples composantes de la nation.
D’autre part, au plan économique, le nouveau gouvernement va mettre fin au colonialisme qui avait fait du pays un simple exportateur de matières premières brutes, fonction dont il ne tirait aucun profit. Pour cela, il doit récupérer les ressources naturelles nationales – processus déjà en cours – et, par leur exploitation industrielle, les mettre au service du développement et de l’amélioration des conditions de vie de toute la population.
Si, pour cette exploitation, il faut faire appel aux techniques et aux capitaux étrangers et donc se rapprocher du monde globalisé, le réalisme a commandé de conserver, de protéger et même de développer la petite économie traditionnelle de base, celle des paysans, des artisans, des micro- entreprises familiales et de tous les travaux de l’économie informelle. Une économie de base régie par le socialisme communautaire andin – solidarité et réciprocité – auquel le président Evo Morales est fort attaché. Ainsi, l’économie, appuyée à la fois sur les traditions indigènes et sur l’apport extérieur participe du même esprit d’indianisme flexible et ouvert.
En fait, le projet de «nouvelle Bolivie» d’Evo Morales est une vraie révolution: pour la première fois depuis l’indépendance – 6 août 1825 – les peuples originaires, les descendants des conquistadors et des premiers colons, les fils du métissage racial et les derniers immigrés sont tous invités, sur un pied d’égalité et sans rien renier ou oublier de leurs héritages culturels, à ériger une patrie enfin indépendante, juste et digne. Jamais la Bolivie blanche officielle n’avait voulu intégrer ses indigènes. La tentative la plus proche avait été celle de la révolution de 1952. Les classes moyennes, protagonistes de cette révolution, pensaient alors avoir résolu le problème en accordant le droit de vote à l’ensemble de la population, alors qu’auparavant ce droit était réservé à une petite élite de Blancs fortunés. Mais ce droit, vite contrôlé et étouffé par les nouveaux partis, n’avait pas permis aux indigènes et au peuple en général de se faire entendre.
Cinquante ans plus tard, Evo Morales, le MAS et le nouveau gouvernement entreprennent la difficile tâche de construire une vraie nation sous la bannière de l’unité dans la diversité. Encore que la partie soit loin d’être gagnée, la Bolivie se sent à l’aube d’un nouveau pachakuti – un mot quechua-aymara qui peut se traduire par les termes opposés et complémentaires de renversement, révolution, renouveau, renaissance, mais qui désigne aussi une nouvelle période historique. Un pachakuti qu’attendent aussi toutes les populations originelles des Andes.
* Christian Rudel a publié cet article dans la revue Développement et Civilisations. Il est journaliste, grand reporter, spécialiste de l’Amérique Latine. Il a publié une vingtaine d’ouvrages consacrés aux divers pays et problèmes de cette partie du monde.
Annexe 1: Le problème de la terre
Un des grands problèmes que la nouvelle Bolivie doit résoudre au plus vite est celui de la réforme agraire. Les paysans, indigènes dans leur grande majorité, n’ont que 15 millions d’hectares sur les 60 millions de terres cultivables dont dispose le pays, face aux 40 millions aux mains des grands propriétaires et 10 millions soustraits au profit des grandes compagnies minéralières, gazières, forestières et autres.
Résultat, des dizaines de milliers de tout petits propriétaires, au moins 200 000 familles sans terre et les communautés indigènes demandant depuis des siècles la restitution des terres traditionnelles volées. La réforme agraire lancée le 3 juin dernier a d’ailleurs débuté par la restitution de ces terres à diverses communautés des départements d’Oruro, Pando, Potosi et Santa Cruz. Geste symbolique car le vieux principe du travail en commun est toujours en honneur dans ces communautés. (CR)
Annexe 2: Une «révolution culturelle»
Depuis 1992, date des 500 ans de résistance, la cause indienne s’est considérablement développée. Le feu indigène, en Bolivie comme en beaucoup d’autres pays d’Amérique latine, couvait sous la cendre depuis longtemps, entretenu par une puissante continuité culturelle clandestine. L’indianité est désormais à visage découvert, soutenue par l’exercice d’un pouvoir démocratiquement conquis.
Une révolution ? Oui, mais plus que politique. Elle est culturelle: les modes de vie et de pensée indigènes, si méprisés par les Blancs, peuvent désormais s’exprimer sans complexe, grâce à cet avènement politique. Le pouvoir politique est ici l’indice d’autre chose de plus profond et de plus décisif pour l’avenir de la cause indienne: le droit d’exister selon sa culture.
La cause indigène, souvent traitée d’archaïque, fait alliance avec la modernité. Les propos d’Evo Morales et du MAS n’invitent pas à un retour en arrière. On y trouve au contraire des idées partagées par la frange la plus ouverte de la modernité politique, mises au service de finalités typiquement indigènes: ainsi, pour ne retenir qu’un cas, la nationalisation des hydrocarbures, comprise dans l’horizon du vieux rêve indien de l’utilisation collective des richesses naturelles.
La victoire indigène en Bolivie n’est pas repliement, mais déploiement identitaire. Elle est ouverture à l’universel au sein même de sa particularité. C’est pourquoi tant d’indigènes ont raison de dire que, pour le monde actuel, leur cause n’est pas un problème mais une partie de la solution. Pouvons-nous l’entendre ? - Alain Durand
(17 avril 2007)
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