Débat
Coordination de la mobilisation anti-CPE, Dijon, 2006
Confrontation des hypothèses d’une théorie
de l’action collective pragmatiste à des cas empiriques
Irène Pereira *
Il s’agit pour nous dans cette étude de confronter les hypothèses et les concepts de la théorie de l’action collective de Dewey[1] à plusieurs exemples d’action collective auxquels nous avons participé.
Les observations sociologiques que nous avons faites sur des actions collectives ont eu lieu soit avec Alternative libertaire, soit avec Sud Culture. Cela nous a permis d’observer des différents types de mobilisations. En effet, l’observation d’une section syndicale, nous permet d’aborder les mobilisations à un niveau micro-sociologique.
Au contraire, l’investissement dans une organisation politique permet de les aborder à un niveau macro-sociologique. En effet, vivre, par exemple, la mobilisation anti-CPE (Contrat de première embauche) du point de vue de sa section syndicale d’entreprise ou du point de vue d’une organisation qui réunit des étudiants et des salariés de divers secteurs conduit à avoir deux points de vue différents sur une même mobilisation.
Par ailleurs, le fait d’être dans une organisation politique conduit à s’investir davantage sur des mobilisations qui ont lieu en dehors du cadre du travail.
Nous avons suivi, en situation d’observation participante, pour l’instant trois actions collectives: deux dans un cadre syndical et une dans un cadre politique. Sur les deux actions collectives syndicales que nous avons suivies, nous ne nous appuierons, pour cette étude, que sur l’une dans d’entre elles[2]. Cette action collective concerne l’augmentation de la quotité de travail de contractuels. L’action collective suivie dans un cadre politique concerne la mobilisation autour de la revendication pour une loi-cadre contre les violences faites aux femmes.
Outre ces deux actions collectives, que nous avons suivies en tant que sociologue et que militante, nous nous appuierons sur deux autres actions collectives que nous avons suivies en 2006 en tant que militante. La première concerne le mouvement autour du retrait du CPE. Nous avons suivi ce mouvement à la fois en tant que militante syndicale et que militante politique. La seconde concerne une action collective locale autour d’un licenciement collectif que nous avons suivi en tant que militante politique.
L’hypothèse que nous allons chercher à tester et à affiner dans cette étude consiste à considérer que la théorie de l’action collective de Dewey nous permettrait de rendre compte, de manière relativement adéquate, de la construction des mobilisations collectives dans le cadre des deux organisations étudiées. Cette hypothèse s’appuie sur une hypothèse plus générale selon laquelle les pratiques militantes contemporaines, inspirées du syndicalisme révolutionnaire, peuvent être analysées à partir d’une grammaire philosophique pragmatiste.
Une situation indéterminée
La théorie de l’action collective de Dewey part de la notion de situation. La situation est, pour Dewey, «le tout contextuel [3]» dans lequel se déroule l’expérience. Nous avons vu que la situation à partir de laquelle se déclenche l’action collective est une «situation indéterminée». La situation indéterminée est une situation problématique et qui, de ce fait, exacerbe les dualismes sociaux. Nous allons donc décrire rapidement les situations qui ont déclenchées les actions collectives étudiées, sans analyser pour l’instant leur caractère problématique.
La mobilisation anti-CPE trouve son événement déclencheur dans l’annonce par le gouvernement De Villepin de la mise en place d’un nouveau contrat de travail réservé au moins de 26 ans. Ce nouveau contrat prévoit une période d’essai de trois ans.
En ce qui concerne l’action de soutien à un mouvement de lutte contre un plan de licenciement, cette action collective trouve son événement déclencheur dans l’annonce d’un plan de licenciement dans une entreprise qui fait d’importants bénéfices, mais qui choisit de délocaliser sa production dans un pays où elle paye moins d’impôts.
Donc nous constatons que dans ces deux cas, la situation de l’action collective naît à la suite d’un événement. Dans les deux cas, il s’agit d’une annonce: dans un cas de la mise en place d’un nouveau type de contrat de travail et dans l’autre d’un plan de licenciement.
Dans les deux autres actions collectives, la situation n’est pas événementielle, mais au contraire elle dure dans le temps.
Pour ce qui relève de la mobilisation autour d’une «loi-cadre contre les violences faites aux femmes», la situation qui perdure est celle des violences que subissent les femmes. En particulier, un chiffre revient régulièrement, c’est celui du nombre de femmes qui décèdent en France du fait de violences physiques subies: «En France, une femme meurt tous les quatre jours sous les coups de son compagnon.»
Dans le cas de l’augmentation de la quotité de travail des contractuels, la situation qui va être jugée problématique par les participants au mouvement de lutte dure depuis au
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