Amériques

 

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IIIe Rencontre hémisphérique sur les politiques migratoires. Déclaration finale

Alliance sociale continentale

Les organisations de la société civile d’Amérique latine, d’Amérique du Nord et des Caraïbes se sont réunies pour la IIIe Rencontre hémisphérique sur les politiques migratoires dans la ville de Quito, Equateur, les 17, 18 et 19 septembre 2009, à l’occasion de la IXe Conférence sud-américaine sur les migrations et pour préparer le IVe Forum mondial des migrations ainsi que le IIIe Forum mondial sur les migrations et le développement.

A cette occasion nous déclarons:

1. Nous assistons à une nouvelle dynamique migratoire découlant de la façon dont le capitalisme s’est restructuré à l’échelle planétaire, en accentuant l’asymétrie entre les pays, en approfondissant les inégalités sociales et en exacerbant l’exode massif de travailleurs et travailleuses en provenance des pays du Sud. Ce phénomène, qui débouche sur l’actuelle crise multidimensionnelle (financière, de surproduction et environnementale), a eu comme toile de fond l’abaissement des coûts du travail du gros de la population mondiale au profit d’une étroite élite associée aux intérêts des grandes firmes multinationales et du capital financier spéculatif.

2. Même si cet exode massif de travailleurs intègre de plus en plus de nouvelles catégories professionnelles et des scientifiques, il affecte tout particulièrement les segments vulnérables de la population, qui sont contraints de chercher ailleurs leur propre subsistance et celle de leur famille. Les déplacements qu’imposent les migrations forcées frappent très durement les femmes, les jeunes, les enfants et les adolescents, les peuples indigènes, les communautés rurales et les communautés afrodescendantes [issues de la traite esclavagiste].

3. Sans sous-estimer la contribution des migrants à leurs familles, communautés et régions, il est indispensable de mettre en relief le fait que ce sont principalement les sociétés d’accueil qui bénéficient de cet apport, qui représente en même temps une saignée importante pour les sociétés d’origine, saignée qui n’est pas compensée par le flux des versements, quelle qu’en soit son ampleur. Il est crucial de dépasser la vision unilatérale dominante concernant le lien entre migration et développement, vision qui tente d’escamoter l’importante contribution des migrant·e·s aux pays d’accueil, ainsi que les coûts significatifs – matériels et humains – liés au phénomène migratoire. Outre le fait d’alimenter les pratiques xénophobes et discriminatoires qui prédominent dans les pays d’accueil, cette conception empêche la possibilité d’avancer vers des politiques de responsabilité partagée et de coopération pour le développement, fondées sur le principe de la réciprocité.

4. Les versements des migrants à leurs proches dans leurs pays d’origine ont évité une croissance encore plus importante des indices de pauvreté dans l’hémisphère. Néanmoins, contrairement à ce qui est souvent affirmé, ces versements à eux seuls n’ont pas été – et ne deviendront pas – la clé pour le développement des pays d’origine, tant que de nouvelles politiques de «développement intégral» n’entrent pas en vigueur dans nos pays.

5. Les traités de libre-échange valident des subsides accordés aux produits agricoles des pays les plus développés, ce qui provoque la ruine de milliers de paysans des pays de la périphérie, avec de graves conséquences en termes de souveraineté alimentaire; sans compter qu’ils entraînent une escalade accrue de flux migratoires dans le continent [les Amériques].

6. Les processus asymétriques d’internationalisation de la production qui prévalent actuellement, dominés par les grandes firmes transnationales, entraînent de nouvelles formes d’exploitation de la force de travail qui suscitent la résurgence d’économie de type zones franches dans le contexte latino-américain. Cela a favorisé à la fois le démantèlement et la réintégration [dans la chaîne productive internationalisée] des appareils productifs de nos pays et a plongé de larges secteurs de la population dans la sphère informelle, ce qui entraîne l’exode massif de travailleurs et travailleuses dans des conditions de précarité et de vulnérabilité très fortes.

7. L’Accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté andine continue à escamoter la question des migrations et des droits humains, en privilégiant la libre circulation des capitaux et des marchandises alors que la libre circulation des personnes est restreinte. Il en va de même avec les traités de libre-échange (TLC) promus par les Etats-Unis avec divers pays de la région.

8. Dans certains pays d’Amérique du Sud il existe des avancées importantes et indéniables dans la reconnaissance de normes et l’application de politiques publiques garantissant les droits des migrants et de leurs familles. Ces avancées devraient servir d’exemple et être mises en pratique dans l’ensemble des pays latino-américains, pour faire la démonstration d’une cohérence digne de foi dans l’application de bonnes pratiques qui assurent la jouissance effective des droits humains des migrants et des migrantes.

9. Il est important de reconnaître l’émergence de nouvelles formes d’organisation des migrants et de leurs familles dans les pays d’origine et dans les pays d’accueil, ainsi que la configuration de nouveaux réseaux d’organisations de la société civile qui luttent pour les droits humains, pour l’interculturalité et la participation politique.

10. Avec l’annonce de la mise en place de bases militaires états-uniennes en Colombie [au nombre du sept], le conflit armé interne menace de déborder dans la région. Il est indéniable que ce conflit continue à provoquer l’exode de millions de personnes à l’intérieur et à l’extérieur de ce pays frère andin, ajoutant aux files des migrants économiques des millions de personnes déplacées, réfugiées et demandeuses d’asile, entraînant une crise humanitaire et des droits humains d’ampleur énorme, ce qui ne peut, ni ne doit être sous-estimée et négligée.

11. En Europe, aux Etats-Unis et dans d’autres pays d’accueil, on encourage et on met en pratique des politiques restrictives à l’égard des migrants et des migrantes, politiques qui violent leurs droits humains. Elles entraînent: la mort de milliers de personnes qui cherchent à entrer dans ces pays; des détentions massives; des déportations illégales; et la prolifération de formes de stigmatisation, de xénophobie et de criminalisation. Dans ce contexte, la militarisation des frontières et la construction de murs sont l’expression d’une vision réductionniste et myope du phénomène migratoire, qui cherche à le réduire à une affaire de sécurité. La honteuse directive européenne concernant le retour [voir sur ce site la lettre ouverte d’Evo Morales concernant la «directive de la honte», en date du 16 juin 2008, ainsi que l’article publié en date du 20 juin 2008], la militarisation de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et toutes les formes de persécution et de criminalisation des migrants et des migrantes s’inscrivent dans cette orientation.

12. La crise globale que traverse l’humanité démontre l’échec du paradigme capitaliste néolibéral qui s’est imposé durant ces trois dernières décennies et demie, mettant en doute les «bontés» supposées du «libre marché» en tant que mécanisme par excellence pour réduire les inégalités sociales et ouvrir la voie au développement de nos peuples. Devant cette évidente débâcle, il est indispensable de privilégier l’élan vers un nouveau modèle de développement intégral et soutenable dans la région, modèle propre à réaliser nos aspirations légitimes de justice et de bien-être social.

Sur la base de ce qui précède, nous proposons et revendiquons:

1. Un nouveau dialogue politique Nord-Sud et Sud-Sud sur les thèmes migratoires, qui accorde une place centrale aux droits humains et au développement. Pour ce dialogue, il est indispensable de déplacer le centre de gravité des politiques migratoires des pays du Nord qui mettent actuellement l’accent sur le thème de la sécurité nationale – aspect qui a trait surtout à certaines conséquences du phénomène – pour concentrer l’attention sur le développement des pays d’émigration et s’attaquer ainsi aux raisons de fond de la migration forcée. Le dialogue doit se dérouler dans des espaces publics multilatéraux qui favorisent une perspective d’intégration alternative entre les pays d’Amérique latine, les Etats-Unis et l’Union européenne

2. Dans le cadre de ce dialogue, il est impératif que la société civile participe activement et fasse des propositions pour la construction collective de politiques publiques en matière de migration et de développement. La participation effective de la société civile, la pleine jouissance des droits et les approches différenciées doivent devenir les axes centraux pour articuler les débats sur la sécurité, les droits humains (en matière de travail et de citoyenneté) et de migrations, de manière à ce que la sécurité des migrant·e·s soit placée au centre de la politique.

3. Nous sommons les gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes de maintenir une position digne et ferme en ce qui concerne l’exigence du respect des droits fondamentaux des migrants et migrantes en Europe et aux Etats-Unis. En particulier, nous demandons aux gouvernements latino-américains de rester vigilants et de ne pas avaliser la proposition des pays du Nord mondialisé – proposition qui sera sûrement présentée durant le IIIe Forum global sur la migration et le développement, à Athènes, en Grèce (les 2 et 3 novembre 2009) – d’imposer les programmes d’emploi temporaire en tant qu’axe de la politique migratoire.

L’expérience internationale démontre que ce type de programme viole les droits en matière de travail des travailleurs et des travailleuses migrants et entretient des formes de servitude qui n’ont rien à voir avec les règles les plus élémentaires de libre circulation des êtres humains. Dans le meilleur des cas, ce genre de programmes répond à des intérêts et des besoins partiels du marché du travail dans le pays d’accueil, mais il ne pourra jamais devenir le pilier d’une politique intégrale sur la migration et le développement. De plus, il risque de justifier une nouvelle vague de criminalisation à l’égard de ceux qui ne peuvent accéder à ce type de programmes.

4. Nous appelons toutes les organisations et réseaux à continuer à mettre en avant l’ouverture des frontières, la citoyenneté universelle et l’interculturalité comme références pour construire une politique de libre circulation des êtres humains dans une perspective à long terme. Nous les invitons à participer activement au Forum social mondial des migrations dans la mesure où celui-ci constitue un cadre adéquat pour un dialogue politique orienté vers la réalisation des droits des migrants et migrantes et de leurs familles. Nous les incitons à soutenir avec une énergie renouvelée notre exigence de voir et de traiter les personnes migrantes à partir de leur identité fondamentale d’êtres humains, porteurs de droits inaliénables, universels et indivisibles, et à réaffirmer que les lois nationales d’immigration et celles qui concernent les personnes migrantes doivent être pleinement en accord avec ce principe.

5. Dans le même ordre d’idées, nous appelons les gouvernements de la région qui défendent ce principe et qui l’ont élevé au rang constitutionnel à le mettre en pratique dans l’ensemble de leur politique et de leur action, qu’ils mettent sur pied des mécanismes de vérification et de suivi pour assurer le passage du formalisme des normes à la concrétisation effective des droits humains des migrants et migrantes et de leurs familles.

6. Nous demandons instamment à la communauté internationale de soutenir la convocation d’une Conférence humanitaire et des droits humains pour les personnes déplacées et réfugiées de la région andine, afin de donner une visibilité à la crise humanitaire que provoque le conflit armé intérieur en Colombie et pour y trouver des issues.

7. Nous appelons toutes les organisations et réseaux de migrants à condamner le coup d’Etat en Honduras, à exiger le retour immédiat de la démocratie dans ce pays frère et à exprimer toute notre solidarité avec la résistance du peuple hondurien.

8. Nous reconnaissons l’importance et soutenons la création de nouvelles organisations et réseaux ayant à leur tête des femmes, structures qui confortent les femmes migrantes dans leur rôle de sujets et combattantes sociales qui promeuvent leurs droits et ceux d’autrui.

9. Nous refusons énergiquement l’approbation, par le Sénat italien, de la «loi de sécurité» qui a caractérisé comme délit l’entrée et le séjour irréguliers des migrants et migrantes, en violation expresse des normes et des standards internationaux en matière de droits humains, en particulier la Convention européenne pour la protection des droits humains et ses Protocoles.

10. Nous condamnons le processus de révision à la Loi sur les étrangers en Espagne, dont le projet criminalise les migrants et les migrantes en situation irrégulière. Ce processus ne respecte pas la Convention des droits de l’enfant lorsque les «mineurs étrangers non accompagnés» sont traités – pour certains délits – avec la même dureté et rigidité que les adultes. Il transforme l’internement en un instrument de répression et non en une mesure préventive, et restreint le droit au regroupement familial, parmi d’autres aspects fondamentaux.

11. Nous condamnons également les rafles, les expulsions et les déportations qui ont lieu systématiquement, surtout aux Etats-Unis, et qui provoquent une situation dramatique en séparant les pères et les mères immigrants de leurs fils et filles possédant la nationalité états-unienne. Nous voulons aussi exprimer notre profonde préoccupation face à la privatisation des centres de détention pour les migrants et les migrantes en situation irrégulière.

12. Nous demandons instamment la mise en place d’une alliance stratégique avec les institutions nationales de droits humains afin de permettre plus efficacement d’impulser et de renforcer, entre autres, l’établissement de programmes de protection juridique spécialisés dans la promotion et la protection des droits humains des migrants et des migrantes et de leurs familles, aussi bien dans les sociétés d’accueil que dans les pays de transit, telles les propositions de l’Accord de protection juridique adopté lors de la «Première Rencontre de défenseurs et de défenderesses du peuple de la région andine et d’Amérique centrale pour la protection et promotion des droits humains des personnes déplacées et de leurs familles», effectué dans le cadre de la IIIe Rencontre hémisphérique sur les politiques migratoires.

13. Enfin, nous réaffirmons une fois de plus l’urgence de favoriser les authentiques processus d’auto-organisation, d’empowerment (prise en charge, responsabilisation, capacité de choix) dans la reconnaissance de leurs droits, l’autogestion de leur développement et l’intégration dans les sociétés d’accueil des populations migrantes et réfugiées. Nous les appelons respectueusement à unir leurs forces pour construire un monde meilleur et faire du sujet migrant un citoyen universel dûment autorisé à participer aux processus de prise de décision et à la conception de politiques publiques qui affectent la vie des migrants et des migrantes ainsi que de leurs familles. (Traduction A l’Encontre)

Quito, 19 septembre 2009

Comité Organisateur International: Alianza Social Continental (ASC), Comisión Andina de Juristas (CAJ), Confederación Sindical de Trabajadores / as de las Américas (CSA), Espacio Sin Fronteras (ESF), Grito de los Excluidos Continental, Mesa de Trabajo sobre Migraciones Laborales del Ecuador (MTML), Migrants Rights International (MRI), National Alliance of Latin American and Caribbean Communities (NALACC), Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo (PIDHDD), Red Andina de Migraciones (RAM), Red Internacional de Migración y Desarrollo (RIMD), y Red Regional de Organizaciones Civiles para las Migraciones (RROCM)

Delegaciones de sociedad civil de Argentina, Bolivia, Brasil, Chile, Colombia, Ecuador, El Salvador, España, Estados Unidos, Guatemala, Haití, Honduras, México, Nicaragua, Países Bajos, Panamá, Paraguay, Perú, República Dominicana, Uruguay y Venezuela

(6 octobre 2009)

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