Afghanistan

Karzai et son «seigneur de la guerre»

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Le président des seigneurs de guerre

Eric Ruder *

Hamid Karzai s’est assuré un deuxième mandat en tant que président de l’Afghanistan. Au début novembre le président sortant Hamid Karzai a été déclaré vainqueur, après que son rival, Abdullah Abdullah se soit retiré d’un deuxième tour fixé au 7 novembre 2009, mettant ainsi un terme grotesque à la farce électorale afghane.

Karzai a tenté de voler le résultat des élections qui se sont tenues en août 2009 et cela au moyen d’une fraude massive des suffrages. Cette fraude était tellement grossière – plus d’un million de votes en sa faveur au cours du premier tour ont été disqualifiés – que les observateurs internationaux ont fait pression pour qu’il admette qu’il n’avait pas la majorité requise. Le deuxième tour devait se tenir début novembre, mais Abdullah s’est retiré une semaine avant cette échéance.

Il semble que dans un premier temps Karzai ait voulu s’opposer à l’annulation du deuxième tour, dans l’espoir qu’une victoire, même dans une élection sans opposant, aiderait à redonner un semblant de légitimité à son règne soutenu par les Etats-Unis.

Mais les officiels états-uniens se sont rapidement déclarés satisfaits du résultat, apparemment dans l’espoir d’éviter une nouvelle opération de fraude électorale et d’échapper à la difficile tâche d’assurer la sécurité pour les électeurs et observateurs dans les lointaines provinces afghanes. Karzai a finalement cédé et a accepté la victoire.

Dans un discours larmoyant, Abdullah a expliqué que sa décision de se retirer était dictée par des raisons personnelles en lien avec sa préoccupation au sujet de la fraude. Mais ce vernis émotionnel cachait un froid calcul politique.

Abdullah avait exigé le remplacement d’Azizullah Ludin, le président de la Commission Indépendante électorale choisi par Karzai ainsi qu’une série de réformes électorales que Karzai a catégoriquement refusé d’appliquer. Mais Abdullah a sans doute estimé qu’il conserverait mieux ses chances pour une prise de pouvoir ultérieure en se retirant qu’en perdant le deuxième tour.

Abdullah, qui avait été ministre des affaires étrangères après le gouvernement afghan «intérimaire» en décembre 2001 et qui est resté à ce poste après la première élection de Karzai en 2004, n’a pas jugé utile d’appeler ses partisans à boycotter l’élection ni à protester.

Abdullah a également annoncé qu’il ne se joindrait pas au gouvernement de Karzai, mais dans un système politique marqué par des allégeances très mouvantes parmi les seigneurs de guerre, les trafiquants de drogue et les différents dirigeants ethniques et religieux, les ennemis sont rarement irréconciliable à jamais.

Par exemple: les différents seigneurs de la guerre qui formaient l’Alliance du Nord ont servi d’opposition parlementaire à Karzai jusqu’à ce qu’ils fassent la paix avec lui – et lui aident à réunir les votes, à la fois réels et faux – le 20 août.

Il est possible qu’Abdullah tente de remplir le vide d’opposition laissé par les seigneurs de la guerre. Ou peut-être devra-t-il conclure un accord avec Karzai ou avec les Etats-Unis, même s’il insiste sur le fait qu’il n’a rien reçu de leur part pour sa décision de ne pas contester l’élection.

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Les nouvelles des derniers rebondissements de l’élection présidentielle sont  arrivées au moment où la guerre que mènent les Etats-Unis en Afghanistan s’intensifiait: le mois d’octobre a amené le bilan le plus élevé de militaires états-uniens tués, entraîné notamment par des attentats à la voiture piégée et deux accidents d’hélicoptère qui ont coûté la vie à 22 membres du personnel états-unien dans les derniers jours du mois.

L’intensification de la lutte entre les forces états-uniennes et de l’OTAN d’une part et les rebelles insurgés d’autre part a entraîné non seulement un pic dans le nombre des troupes tuées au cours des combats mais également une forte augmentation du nombre des militaires blessées. Selon le Washington Post: «Plus de 1000 troupes américaines ont été blessées au combat au cours des trois derniers mois en Afghanistan, et ce nombre correspond à un quart des blessés au combat depuis l’invasion de 2001 dirigée par les Etats-Unis».

Les engins explosifs improvisés (Improvised Explosive Device – IED) sont actuellement l’arme de choix pour les combattants talibans, et certains sont tellement puissants qu’ils peuvent détruire des véhicules ultra-modernes censés pouvoir résister aux mines que le Pentagone avait déployées pour protéger les troupes. Le Washington Post rapporte que:«L’unité 57 du Centre Médical Walter Reed (du Centre Médical de l’Armée) fournit une preuve déchirante de l’efficacité dévastatrice des bombes, avec des patients souffrant d’amputations, de lésions de la moelle épinière, des traumatismes du cerveau et des fractures».

Or, le Président Barack Obama est en train d’examiner une demande du Général Stanley McChrystal, le plus haut gradé du Pentagone responsable en Afghanistan, d’envoyer entre 40'000 et 80'000 troupes états-uniennes supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 68'000 hommes déjà sur place. On peut donc s’attendre à ce que le nombre de victimes augmente encore davantage.

En même temps, la guerre menée par les Etats-Unis et l’OTAN continue à infliger un nombre fort grand de victimes afghanes, mais ce n’est que rarement que les grands médias s’intéressent à cette réalit&