Afghanistan


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Un pays à la dérive

Thalif Deen*

Le déploiement d’une vaste assemblée de dignitaires afghans (Loya Jirga) en juin 2002, afin de choisir un gouvernement transitoire, a été présenté comme une réussite de l’action conjointe de l’ONU, de son envoyé spécial Lakhdar Brahimi et dudit travail de pacification des forces militaires américaines et alliées (françaises, allemandes, etc.). Deux ans plus tard, les prévision les plus pessimistes semblent être confirmées. L’Afghanistan est devenu un des principaux centres de production d’opium (pavot), car aucune perspective de développement agricole, permettant d’assurer des revenus quelque peu satisfaisants, ne s’est concrétisée. Jamais la présence américaine n’a eu pour fonction de stimuler un projet de développement élémentaire de ce pays, gravement atteint par des décennies de conflits. La guerre en Afghanistan – qui est intervenue après le 11 septembre 2001, alors que l’intervention en Irak était déjà planifiée des mois avant – devait être avant tout un instrument du Pentagone et de Washington pour assurer une nouvelle présence dans l’ensemble de l’Asie centrale (avec ses ressources en gaz et en pétrole) et vérifier les nouveaux paramètres de déploiement militaire à longue distance. Aujourd’hui, la impasses rencontrées en Afghanistan et en Irak traduisent les contradictions mêmes de ces opérations de projection de l’impérialisme américain: au plan militaire, dans une première étape, la victoire semble aisée; puis, dans une seconde étape, l’instabilité perdure ou s’accentue, ce qui fait obstacle à une politique d’investissements et de captation stabilisée des ressources de ces pays. – Réd.

Les nouvelles concernant l'escalade des violences, de la torture et des tueries dans l'Irak sous administration états-unienne ont quelque peu occulté l'instabilité croissante en Afghanistan, pays qui est pratiquement occupé par les Etats-Unis et d'autres forces occidentales.Mais les analystes qui observent de près la région affirment que la sécurité en Afghanistan reste "fragile", et "n'a montré aucun signe d'amélioration". Et ils prédisent que la situation explosive qui règne actuellement dans ce pays pourrait bientôt - sur une plus petite échelle - devenir aussi désastreuse qu'en Irak.Les analogies sont frappantes. Comme en Irak, les insurgés en Afghanistan s'attaquent non seulement aux forces militaires multinationales mais également aux polices locales et membres étrangers d'associations humanitaires.Dans sa déclaration suite aux accusations de torture par des soldats américains, le Pentagone a indiqué, ce 5 mai, qu'au moins 25 prisonniers de guerre étaient morts alors qu'ils étaient détenus par les forces américaines en Irak et en Afghanistan.

Mais contrairement à ce qui se passe en l'Irak, la déstabilisation potentielle en Afghanistan a pris un nouvel élan suite à l'annonce, la semaine dernière, de possibles retraits de troupes américaines de ce pays politiquement tourmenté.Au cours d'une visite à Kaboul, capitale de l'Afghanistan, le général Richard Myers, chef de l'état-major interarmées américain, a laissé entendre que Washington pourrait, dès après les élections à échelle nationale prévues en septembre 2004, commencer à réduire les forces armées engagées en Afghanistan. Elles s’élèvent actuellement 15'500 hommes.Or, selon des analystes de la situation en Afghanistan, une telle mesure pourrait précipiter un désastre politique et militaire.

James Ingalls, du California Institute of Technology, précise: "Si les Etats-Unis réduisent leurs forces après les élections Afghanes, cela confirmera les craintes de ceux - nombreux - qui suspectent qu'en Afghanistan les Etats-Unis visent avant tout à assurer l'élection à la présidence de Hamid Karzai et de faire que l'Afghanistan apparaisse comme une réussite dans la "guerre contre le terrorisme" plutôt que de stabiliser le pays ou d'apporter une amélioration dans la vie des gens. "Ingalls, qui est le directeur fondateur de la Mission des Femmes Afghanes, se montre également sceptique quant à la capacité du gouvernement de Karzai à tenir des "élections équitables et libres", alors que ces élections, initialement prévues en juin, ont été repoussées jusqu'en septembre. Il a expliqué à l'Inter Press Service: "Les seigneurs de guerre soutenus par les Etats-Unis continuent à contrôler impunément des pans entiers du pays". Et il a ajouté: "Si on leur permet de participer au processus politique, ils vont probablement, comme par le passé, utiliser des brimades et acheter des votes pour obtenir des postes parlementaires (...) Et ceux qui n'y parviendront pas, utiliseront la force, car ils ont peu de raisons de se conduire autrement. Au mieux, les élections seront dépourvues de signification, parce que les gens n'auront pas de véritable choix, vu l'absence d'alternatives à Karzai. Au pire, les élections pourraient déclencher une nouvelle guerre civile."

Mark Sedra, un chercheur associé au Bonn International Center for Conversion [BICC, une ONG résidant en Allemagne et ayant pour but de donner la priorité à des investissements sociaux par opposition à des investissements militaires], où il dirige un projet pour la surveillance l'analyse de la sécurité en Afghanistan, se montre également pessimiste au