Afghanistan – Etats-Unis

David Petraeus, le général de la contre-insurrection et de la manipulation médiatique

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La bataille à laquelle les médias ont cru

Gareth Porter *

Pendant des semaines, le public états-unien a suivi ce qui semblait être l’offensive la plus importante de leurs troupes en Afghanistan: celle contre Marjah, «une ville de 80'000 habitants» et le centre logistique du mouvement islamiste taliban dans la province du Helmand, au sud-ouest du pays.

L’idée – répandue en février 2010 – que Marjah avait 80'000 habitants était un élément clé pour donner l’impression que la localité représentait un objectif stratégique beaucoup plus important que d’autres districts du Helmand.

En réalité, l’image que les militaires ont fournie de Marjah, et qui a été fidèlement reproduite par les principaux médias des Etats-Unis, constitue l’un des exemples les plus dramatiques de désinformation de toute cette guerre qui a commencé en octobre 2001, apparemment dans le but de présenter cette offensive comme étant un tournant historique du conflit.

Marjah n’est pas une ville, ni même un vrai village, mais plutôt un groupe d’habitations de producteurs ruraux ou une zone agricole étendue comprenant une grande partie de la vallée du fleuve Helmand, au sud du pays.

Un fonctionnaire de la Force Internationale d’assistance et de sécurité (ISAF), qui a demandé de conserver l’anonymat, a reconnu auprès du journaliste de l’IPS (Inter Press Service) que cette localité «n’est absolument pas urbaine. Marjah est une communauté rurale. Il s’agit d’un groupe d’habitations paysannes de bourgade, avec des maisons familiales typiques». Le fonctionnaire a ajouté que les résidences sont relativement prospères dans le contexte afghan.

Richard B. Scott, qui a travaillé jusqu’en 2005 à Marjah en tant qu’expert dans le domaine des risques – pour l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID, d’après le sigle en anglais) – est d’accord sur le fait qu’il n’y a rien dans cette localité qui puisse la faire passer pour un site urbain.

Pendant un entretien téléphonique avec le journaliste de l’IPS, il a expliqué qu’il s’agissait «d’un site rural» avec «une série de marchés agricoles dispersés».

Selon le fonctionnaire de l’ISAF, ce n’est qu’en prenant compte de la population qui se trouve dispersée dans plusieurs bourgades et sur presque 200 kilomètres carrés, qu’il est possible d’arriver au chiffre de dizaines de milliers de personnes. D’après lui, Marjah n’a même pas été intégrée dans une communauté, même si maintenant il y a des projets de formaliser sa situation en tant que «district» de la province du Helmand.

Le fonctionnaire a reconnu que la confusion concernant la population de Marjah a été facilitée par le fait que ce nom a été utilisé pour désigner non seulement une zone agricole étendue, mais également la localité spécifique où se réunissent les producteurs ruraux pour tenir leurs marchés.

Néanmoins, la dénomination de Marjah «a été plus étroitement associée» à une localité spécifique, où il existe également une mosquée et quelques magasins.

C’est cette zone très limitée qui était l’objectif apparent de l’ «Opération Mushtarak» («Ensemble»), au cours de laquelle 7500 militaires états-uniens, afghans et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se sont engagés dans ce qui allait devenir la bataille entourée de la publicité la plus intense depuis le début de la guerre en territoire afghan.

Comment a pu débuter cette fiction que Marjah serait une ville de 80'000 habitants ?

L’idée a été divulguée aux médias par les «marines» (fantassins de la marine états-unienne) au sud du Helmand. Les premiers reportages mentionnant Marjah comme étant une ville avec une population importante font suite à un communiqué du 2 février par des sources militaires du Camp Leatherneck, la base états-unienne sur place.

Le même jour, un article de l’agence d’informations Associated Press (AP) citait des «commandants» des «marines» qui s’attendaient à trouver entre 400 et 1000 insurgés «cachés» dans cette «ville du sud de l’Afghanistan de 80'000 habitants». Le texte laissait penser qu’il y aurait des combats de rue dans un contexte urbain.

Ce même article caractérisait Marjah comme étant «la plus grande ville sous le contrôle des Talibans» et la qualifiait comme «axe logistique et de contrebande d’opium des insurgés». Il ajoutait que 125'000 personnes habitaient dans «la ville et dans des villages avoisinants».

Le lendemain, ABC News, qui fait partie de la chaîne de télévision états-unienne ABC, faisait référence à «la ville de Marjah» et assurait que celle-ci et les territoires environnants étaient «plus peuplés, urbains et denses (du point de vue démographique) que d’autres lieux que les ‘marines’ ont été capables de libérer et de contrôler».

A partir de là, les autres médias d’information ont adopté l’image d’une Marjah urbanisée et a