Etats-Unis. Trump et son nationalisme économique au premier rang

Trump face à Merkel et Macron lors du G7

Par Barry Sheppard

Ces dernières semaines ont fait passer au premier plan deux principales questions concernant la politique de Trump.

D’abord, en mettant les bouchées doubles sur le nationalisme économique, un des thèmes centraux de sa compagne électorale, Trump prétend que le reste du monde est en train d’exploiter les Etats-Unis et déclare qu’il va combattre cela. Cette tendance, qui avait été mise en sourdine au cours des premiers mois de sa présidence, occupe à nouveau le devant de la scène.

La deuxième question, qui avait également été visible lors de sa campagne électorale, est sa volonté de s’établir en tant que président autoritaire, un homme fort capable de s’attaquer aux dysfonctionnements de l’establishment des deux partis capitalistes qui dominent la politique états-unienne. L’insistance de Trump sur le fait qu’il est l’homme fort qui peut défier le reste du monde est cohérente avec son nationalisme économique et donc son nationalisme politique.

Les évènements actuels prouvent cela: le fait que les Etats-Unis soient enchevêtrés dans des enquêtes congressuelles, les accusations selon lesquelles Trump aurait été et serait encore en collusion avec la Russie et que ce pays se serait immiscé dans la campagne électorale pour le soutenir, tout comme le renvoi par Trump de James Comey, le directeur de FBI [1]. Tout cela fait partie d’une lutte brutale au sommet pour le pouvoir, dont le résultat se reflétera, d’une manière ou d’une autre, sur les ambitions autoritaires de Trump. Il est trop tôt pour savoir quel en sera l’aboutissement et je ne traiterai pas de cette question dans cet article.

Lorsqu’il est arrivé en Europe au cours de son premier voyage international, le nationalisme économique de Trump est de nouveau apparu au premier plan. Il a réprimandé les pays membres de l’OTAN en les accusant de ne pas verser leur «juste part» pour financer cette alliance belliciste. Il a aussi manifesté sa colère parce qu’il estimait que les rapports économiques entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis étaient «inéquitables».

Il a particulièrement mis en exergue l’Allemagne, qui d’après lui était «bad, very bad» (mauvaise, très mauvaise) parce que l’Allemagne exporte davantage aux Etats-Unis que l’inverse [voir le graphique sur l’évolution de la balance des comptes courants de l’Allemagne – réd., voir note 2]. Il a maugréé qu’on ne voyait pas beaucoup de Chevrolet [voiture construite par GM] sur les routes allemandes.

L’attitude de Trump a été insultante à l’égard des représentants des pays européens présents, et surtout à l’égard d’Angela Merkel. A un moment donné, il a même bousculé le représentant du Montenegro pour se mettre au premier rang des «dignitaires» – comme on les appelle dans la presse capitaliste – assemblés.

Dans son discours expliquant pourquoi il se retirait des Accords de Paris sur le changement climatique, Trump a à peine abordé ce thème. Il n’en avait pas besoin dans la mesure où il avait déjà exprimé très clairement sa position en déclarant que le réchauffement climatique n’était qu’une «affabulation». La signification réelle et pratique de son déni du changement climatique avait d’ailleurs été concrétisée par ses ordres exécutifs donnant le feu vert au développement déchaîné de géants des énergies fossiles.

Le fait que les personnes qu’il a nommées à la tête de l’Agence pour la protection de l’environnement [Scott Pruitt nommé en décembre 2016] et d’autres agences concernées par le changement climatique soient aussi des négationnistes du changement climatique est un nouvel exemple qui montre bien sa position.

L’ancien secrétaire d’Etat John Kerry avait dit que Trump n’avait pas besoin de prendre la mesure provocatrice de se retirer des accords de Paris ceux-ci étaient purement volontaires et qu’il pouvait donc les ignorer. Alors pourquoi Trump a-t-il agi de la sorte?

Le long discours prononcé par Trump à cette occasion l’explique. C’était une diatribe sur le fait que le reste du monde exploitait les Etats-Unis et il a invoqué tous les prétendus exemples auxquels il pouvait penser, une fois de plus en insistant sur le rôle de l’Allemagne.

Dans ce discours, sa principale accusation contre les Accords de Paris (COP21) était qu’ils avaient été conçus pour attaquer les Etats-Unis sur le plan économique. Il a en particulier rejeté la clause des Accords qui stipule que les pays riches devraient aider les pays en voie de développement à gérer les émissions de gaz à effets de serre en leur versant des subsides. En réalité les subsides évoqués dans les Accords sont dérisoires en vue de l’importance du problème, mais Trump a rejeté toute participation états-unienne à de telles subventions.

Trump a répété à de nombreuses reprises qu’il représentait «non pas Paris», mais les villes états-uniennes qui avaient été durement frappées. C’était une pique non seulement contre les Accords, mais aussi contre le président français récemment élu, Emanuel Macron, contre lequel Trump avait mené campagne. (Oui, Trump s’est immiscé dans l’élection française en soutenant Marine Le Pen, et Obama a fait de même, en appelant à voter pour Emmanuel Macron!). Par implication cette pique visait également le reste de l’Europe, ainsi que la plupart des pays dans le monde qui ont signé les Accords.

Néanmoins, jusqu’à maintenant les glapissements et les rugissements de Trump n’ont pas été suivis de morsures. Ses attaques contre la Chine au cours de sa campagne électorale ont – au moins provisoirement – été mises de côté. Il n’a pas encore imposé de nouvelles taxes à des pays ni implémenté d’autres mesures protectionnistes.

Il est possible que Trump essaie d’imposer des taxes sur le sucre mexicain. Mais le Mexique est une chose, et l’Allemagne en est une autre.

Tous ces jappements sont-ils uniquement destinés à rassurer sa base sur le fait qu’il va «ramener des emplois aux Etats-Unis»? Ou s’agit-il d’un prélude à de vraies mesures protectionnistes? Cela dépendra probablement en partie des développements économiques et politiques à l’échelle mondiale.

Si Trump augmente les dépenses militaires pour accroître les menaces militaires dans le monde en général et en vue de confronter éventuellement la Chine dans la mer de Chine du sud et en Corée du Nord, cela entraînerait la nécessité de ramener l’industrie de base aux Etats-Unis. Il serait compliqué de construire des tanks aux Etats-Unis avec l’acier en provenance de la Chine. Si la classe dominante veut soutenir un nationalisme économique avec des menaces relevant du militaire, ce serait rationnel de leur point de vue, face à la rivalité économique accrue dans le monde. Mais une telle évolution se heurterait au fait qu’une grande partie de l’économie états-unienne est liée aux chaînes d’approvisionnement internationales.

Il est possible que cette situation soit en train de changer. Gillian Tett, chroniqueuse du Financial Times [actuellement spécialiste des marchés financiers] rapporte que «les cadres sont peu à peu en train de se détourner de la globalisation» en ramenant certaines chaînes d’approvisionnement aux Etats-Unis. Un des exemples qu’elle cite est que «3M, cet énorme conglomérat qui semblait jusqu’à tout récemment un modèle de mondialisation [quelques 100’000 salarié·e·s]…». «Mais voilà qu’il se passe quelque chose de curieux: si vous demandez actuellement à Inge Thulin, un cadre supérieur de 3M né en Suède, de décrire la stratégie d’entreprise, il ne parle pas de mondialisation. Il préfère parler de «localisation» – et des avantages à opérer dans les puissants Etats-Unis d’Amérique.» [3]

Enfin il faut noter que le nationalisme économique de Trump vis-à-vis du monde est en lien avec son nationalisme pro-Blancs. Ses appels au racisme blanc aux Etats-Unis contre les immigré·e·s du Mexique et de l’Amérique centrale, contre des immigrés musulmans qui fuient des guerres états-uniennes, sa réaffirmation du soutien de longue date des Etats-Unis à l’oppression israélienne des Palestiniens et des Arabes, ses menaces contre l’Iran, son opposition à Black Lives Matter et ainsi de suite, font tous partie de sa volonté de «Make [white] America Great Again», aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. (Article envoyé à A l’Encontre par Barry Sheppard; traduction de A l’Encontre)

____

[1] Selon AFP et Reuters: «A en juger par ses tweets de vendredi 16 juin, le président américain Donald Trump ne décolère pas. Il est revenu sur l’enquête consacrée à une possible ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016… en confirmant au passage qu’une enquête a été ouverte contre lui pour avoir renvoyé le directeur du FBI, James Comey. Déjà, un peu plus tôt, le président américain avait parlé de «chasse aux sorcières», puis: «Après sept mois d’enquête et d’audition devant des commissions à propos de ma collusion avec les Russes, personne n’a été capable d’apporter la moindre preuve. Triste!»

Le républicain sait également félicité de pouvoir «contourner» les «faux médias» grâce à ses «très puissants médias sociaux plus de 100 millions de personnes!».

Jeudi, il s’était déjà livré à une série de tweets rageurs après les révélations du Washington Post, selon lesquelles le procureur spécial Robert Mueller enquête désormais sur de possibles entraves à la justice du président des Etats-Unis.
L’affaire russe touche désormais les premiers cercles de la présidence. Les enquêteurs du FBI se concentrent notamment sur les finances et les affaires de Jared Kushner, gendre et proche conseiller du président, selon le New York Times.

Le vice-président Mike Pence a, de son côté, embauché un avocat personnel pour répondre aux éventuelles requêtes des enquêteurs dans cette affaire des liens avec la Russie.

Le procureur spécial Robert Mueller enquête sur des soupçons d’entrave à la justice de la part de Donald Trump dans le cadre des investigations menées dans ce dossier, a-t-on dit de source proche du dossier, confirmant un article du Washington Post. Robert Mueller pourrait décider d’interroger Donald Trump. (16 juin 2016, Réd A l’Encontre)

[2] Evolution de la balance des comptes courants de l’Allemagne en % du PIB, par rapport à l’ensemble de l’économie mondiale

(Définition: solde des flux monétaires d’un pays résultant des échanges internationaux de biens et services (balance commerciale), revenus et transferts courants.)

 

[3] Ce «nationalisme économique» de Trump est mis en cause par divers cercles puissants liés à des transnationales états-uniennes. Ainsi, le Wall Street Journal du 16-18 juin 2017 (p. A11) – sous la plume de Matthew J. Slaughter, qui a été de 2005 à 2007 membre du Council of Economic Advisers, sous George W. Bush – met en relief le rôle des transnationales dans la création d’emplois aux Etats-Unis, dans la masse salariale «distribuée» à ses salarié·e·s aux Etats-Unis (évidemment supérieure, en moyenne, au salaire moyen du secteur privé, ce qui n’est pas très étonnant), dans le développement de la R&D et des exportations. Le titre est explicite: The «Exporting Jobs» Canard (Le bobard de «l’exportation des emplois»). (Réd. A l’Encontre)

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