Etats-Unis. Quand Sandy éclaire les inégalités de classes et réveille un mouvement social

Par Peter Rugh

Un mois après la monstre tempête Sandy [qui frappa entre autres New York fin octobre 2012], des clivages sociaux se dessinent dans les ruines qui jonchent encore les rivages de New York City.

Parmi les bénévoles qui se sont mobilisés sitôt après la tempête, parmi les équipes de recherche et des milliers de militants nouvellement radicalisés, la colère commence à gronder contre les effets de la crise du système sanitaire, de la crise du logement et de la crise écologique. Dans les secours qu’ils apportent, la rébellion est en germe.

Les vétérans du mouvement Occupy, rassemblés autour d’un nouveau nom, Occupy Sandy Relief , organisent la livraison de biens de première nécessité aux démunis, là où les secours institutionnels, à savoir les municipalités, l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA) et la Croix-Rouge, se sont avérés insuffisants. Pour Michael Premo, qui a rejoint Occupy Sandy le jour même de la tempête, si la campagne s’est développée fortement et largement à travers la ville, c’est grâce à l’engagement des militants qui ont cherché à nouer des liens avec les organisations déjà ancrées et actives dans les communautés.

«Dès le début, explique Premo, nous avons cherché à identifier les leaderships locaux en collaboration avec les structures communautaires, comme les paroisses, pour jeter les bases d’un pouvoir à l’échelle de la ville. Notre structure horizontale nous permet d’agir de façon vraiment dynamique, de nous répandre dans la ville et de nouer des contacts avec les gens.» En donnant rapidement aux bénévoles la possibilité de prendre les choses en main, ils ont pris un rôle important, en un rien de temps et avec très peu d’argent. Mais le mouvement Occupy ne peut pas faire de miracles.

Non loin de l’endroit où l’hélicoptère du président Obama a atterri jeudi dernier (Staten Island), la camionnette d’un vendeur ambulant de hot-dogs git sur un flanc dans le sable de la plage, plage qui se trouve normalement à 250 mètres, mais est désormais devant le perron de Robert Raimondi… «Personne ne touche à rien, explique-t-il. Les assureurs ne couvrent que les fondations. Ils vous disent d’aller à la FEMA, la FEMA vous dit de remplir une demande de prêt pour petite entreprise. Il n’y a rien à attendre de ce côté. Les bénévoles sont les seuls à nous aider.»

Lors d’une conférence organisée le 16 novembre par Healthcare for the 99% ainsi que d’autres groupes sur les marches de City Hall, la mairie de New York, des professionnels de la santé ont exhorté la ville, l’Etat et le gouvernement fédéral à renforcer les aides et à cesser de se reposer sur les efforts improvisés du mouvement Occupy. «Occupy Sandy apporte son aide sur le terrain depuis le début, a déclaré la psychiatre Sandra Turner aux côtés du groupe Physicians for a National Health Program. Ils ont envoyé du monde pour construire des réseaux et tenter de voir quels étaient vraiment les besoins des gens.» Mais, pour elle, il est évident que ces efforts ne devraient pas remplacer les ressources publiques nécessaires pour venir en aide aux victimes de la tempête.

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Cette prise de parole sur les marches de City Hall est une des campagnes de pression parmi de nombreuses autres qui ont émergé dans le cadre des activités de secours.

Le débat autour des revendications du mouvement Occupy, si tendu en 2011 dans le campement de Zuccotti Park, n’est plus aussi vif: il s’agit désormais de répondre aux besoins immédiats et concrets auxquels Occupy Sandy fait quotidiennement face, à présent que le mouvement est aux premières lignes des opérations d’aide.

Les organisateurs d’Occupy, reconnaissables à leur gilet orange fluo, qui s’activent dans le centre de secours situé dans une église au 520 Clinton Avenue à Brooklyn, débarrassent le sable qui a envahi les caves dans la zone de Rockaway, ou font du porte à porte et livrent des repas aux personnes âgées qui habitent dans les étages des logements sociaux. Ils font partie d’un mouvement de résistance qui arrive à maturité et s’ancre progressivement dans les communautés de la ville.

Dans certains cas, ils travaillent même en étroite collaboration avec certains des acteurs qui ont procédé, il y a un an, à l’évacuation du campement d’Occupy dans le quartier de Wall Street. Le militant Occupy Yoni Miller raconte avoir dernièrement participé à une réunion à laquelle assistaient un représentant du bureau de l’administration de Michael Bloomberg, le maire de New York, la police, la Garde nationale et un assistant de la présidente du conseil municipal de la ville de New York, Christine Quinn. «C’était vraiment bizarre, se rappelle Miller. Ils cédaient au point de rencontrer Occupy, le groupe pour lequel ils ont un tel mépris.»

Dans le quartier de Red Hook à Brooklyn, Occupy Sandy a aidé à remettre sur pied le Centre familial de santé Addabbo, la seule clinique du coin, en apportant des générateurs et du matériel médical. Les membres d’Occupy ont ensuite dû demander l’appui de la ville pour que ce centre médical vital reste en activité. «Les autorités municipales, explique Miller, n’arrêtaient pas de parler des différentes activités qu’ils menaient à Rockaway sur le plan médical. Mais quand nous demandions des choses plus basiques, comme un professionnel pour veiller sur une trentaine de patients alités, aucun de ces gens de pouvoir n’était capable de répondre.»

Avant la tempête, les services de santé de base étaient déjà saturés dans la ville de New York. Et ce n’est pas la seule crise que Sandy a amplifiée. Le 4 novembre, Bloomberg déclarait que 40’000 personnes étaient à la rue, ce qui a pratiquement doublé le nombre de sans-abri et n’a fait qu’aggraver le manque de logements dans la ville. «Il n’y a pas beaucoup de logements vides à New York, a-t-il dit, il est donc très difficile de trouver des structures en cas de besoin.»

Kendall Jackman, organisatrice au sein de Picture the Homeless, ne partage pas cet avis: «Nous savons très bien qu’il y a des logements vides dans cette ville, puisqu’il y en a là où je vous parle, dit-elle, devant une rangée de propriétés de la ville aux portes barricadées, sur la 129ème Rue, à Harlem.  Tous ces bâtiments où des gens pourraient vivre appartiennent à la ville. Mais elle préfère les vendre à des spéculateurs qui rendent les logements inaccessibles.»

Une étude récemment menée par Picture the Homeless et Hunter College a révélé qu’il y avait des propriétés vacantes dans les cinq subdivisions administratives de New York City pour loger 71’707 personnes. Et l’étude ne couvre qu’un tiers de la ville: 39 quartiers restent à étudier. Si l’on ajoute à cela les terrains non bâtis, on pourrait encore loger 199’981 personnes supplémentaires. Picture the Homeless exhorte la ville à saisir l’occasion de la crise actuelle pour résoudre le problème de pénurie de logements sociaux qui se posait bien avant Sandy.

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Pour Narlena Lunnon, l’administration Bloomberg s’est contentée jusqu’à présent de mettre «un pansement sur un pansement». Avec ses trois petits-enfants, Lunnon, qui habite une des résidences Red Hook qui appartiennent à la ville, s’est adressée à une salle de classe bondée, dans le cadre d’une réunion organisée par les militants Occupy, le 14 novembre 2012, à l’école publique 27 de Red Hook.

La New York City Housing Authority (NYCHA) s’est faite très discrète pendant ce désastre. Mais ses représentants ont récemment commencé à se manifester dans le quartier, déposant des avis de paiement de loyer sur les portes. Les personnes rassemblées dans la salle étaient unies et en colère. Comme le dit Lunnon: «Ces générateurs électriques de fortune mis à disposition ne vont rien résoudre. Dès que tout le monde branchera les appareils indispensables, les lumières s’éteindront à nouveau. Les pompiers interviennent à gauche à droite. Il y a des étincelles partout. Je sens l’essence dans toute la rue. Personne ne viendra nous dire quoi que ce soit… mais, ça ne les empêche pas de réclamer le loyer! »

Lunnon s’interrompt, saluée par des applaudissements, puis reprend: «J’en ai marre de recevoir leurs couvertures gratuites. J’en ai marre que mes petits-enfants se couchent dans le froid. J’en ai marre d’entendre des personnes âgées dire qu’elles ont mal à force de monter les escaliers.»

«Si vous n’arrivez pas à faire venir la municipalité ici, dit-elle aux militants d’Occupy Sandy qui organisent la réunion, c’est moi qui irai leur rendre visite à City Hall, et ils vont m’entendre!»

C’est dans des assemblées comme celle-ci qu’une volonté de relance d’activités sociales commence à émerger. Dans une réunion de suivi, cinq jours plus tard, les résidents de Red Hook ont appelé à ne pas payer les loyers de novembre et se sont lancés dans la préparation d’un rassemblement pour forcer NYCHA d’entendre leurs revendications. Même si ces efforts sont largement portés par la communauté de Red Hook, toutes les personnes qui habitent dans les logements sociaux de la ville et qui n’ont plus de courant, de chauffage et de gaz à cause de la tempête sont invitées à participer.

Ce soir-là, des représentants des groupes concernés par les questions d’environnement, de logement, de santé, etc. ont discuté avec plusieurs syndicats et Occcupy Sandy autour d’une grande table à l’étage du centre de distribution d’Occupy Sandy au n°520 de Clinton Avenue. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils se rencontraient. La réunion s’est à la fois concentrée sur les besoins immédiats du terrain et sur les bases nécessaires à une relance du mouvement social afin que les travailleurs soient mieux payés et que les besoins sociaux fondamentaux de la population de New York soient satisfaits. Cette réunion était une première, mais ne sera pas la dernière.

«Il faut qu’il y ait une certaine forme de responsabilité», dit Juan Carlos Ruiz, organisateur au sein de la communauté et pasteur à la St. Jacobi Church de Sunset Park, Brooklyn – église qui a accueilli le premier centre de distribution d’Occupy Sandy. Ruiz craint que la FEMA et la Croix-Rouge se retirent bientôt de Coney Island et des autres régions touchées par la tempête: « Avec tout l’argent et toutes les ressources qu’ils ont, ils ont été incapables de répondre aux besoins fondamentaux. Il y a des gens dans le quartier qui n’ont pas de chauffage, ni de gaz.»

Il soulève d’autres questions, qui dépendront certainement de la réponse que la ville voudra apporter à la crise: «Et les énergies renouvelables? Nous pourrions équiper les toits de panneaux solaires. Nous avons la possibilité d’apporter des solutions réelles, qui s’inscrivent dans une vision sur le long terme.» A Staten Island, Robert Raimondi partage cet avis: «Mettons-nous à l’énergie solaire, à l’énergie éolienne, trouvons des soutiens!»

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Dans le Queens, dans le centre de formation de travailleurs et travailleuses YANA (You Are Never Alone), qui a été détruit par la tempête, Occupy Sandy a déjà commencé à mettre en œuvre la vision sur le long terme que Ruiz évoquait. Une semaine après que le Centre a été inauguré pour aider la communauté de Rockaway, l’avant-boutique du Centre a fait les frais de l’inondation provoquée par Sandy. YANA a rouvert plus tard, mais sous la forme d’un centre de secours.

Les militants lancent maintenant un projet pour le rétablissement de YANA, le «Restore YANA Project», et œuvrent pour que cette reconstruction soit un exemple de conception durable qui pourrait être suivi à New York, ainsi que dans les régions du New Jersey. Ils traitent le bâtiment contre la moisissure et posent des panneaux de cuivre au sol pour capturer la chaleur. L’éclairage fonctionne à nouveau, grâce aux panneaux solaires fournis par Greenpeace.

Jeremy Brecher, historien spécialiste du travail et de l’environnement, estime que «l’auto-défense sociale» dans laquelle Occupy Sandy est actuellement engagée est en train de jeter des ponts entre, d’une part, un ensemble de valeurs et d’objectifs politiques et, d’autre part, les problèmes concrets que les gens rencontrent au quotidien.

Brecher se lance dans une parabole: «Deux personnes se promènent le long d’un cours d’eau et voient un corps flotter dans leur direction. Elles le sortent de l’eau et commencent à lui faire du bouche-à-bouche quand un deuxième corps arrive. Une fois qu’elles les ont réanimés, un troisième corps arrive, porté par le courant. Un des secouristes se met alors à remonter le courant à toutes jambes. L’autre lui lance: «Mais où vas-tu ? Et si un autre corps arrive?» Il lui répond: «Je vais voir qui est en train de balancer tous ces corps.»

Ainsi, le mouvement Occupy Sandy non seulement s’échine pour réanimer la ville, mais remonte également le courant jusqu’à City Hall et à Wall Sreet, qui sont à ses yeux les premiers responsables des malheurs actuels de la ville. Au lieu de rester éparpillées à cause de la tempête, les communautés s’unissent pour se soutenir réciproquement. Les liens qui se nouent à travers le soutien apporté seront mis à l’épreuve dans la lutte qui s’annonce pour la réanimation de la ville. (Traduction A l’Encontre)

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Cet article a été publié en date du 26 novembre 2012 sur le site Waging Non Violence

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