Etats-Unis. L’ordre exécutif de Trump est une escroquerie. Les protestations augmentent

Capture d’écran d’une vidéo du «Guardian». Près de 600 manifestantes
ont été arrêtées jeudi 28 juin après avoir organisé une action non violente
au cœur d’un bâtiment du Sénat américain à Washington contre la
politique de «tolérance zéro» de Donald Trump à l’égard des immigré·e·s
et la séparation des familles à la frontière.

Par Barry Sheppard

En réponse à la protestation publique massive contre sa politique de séparation forcée des enfants de parents demandeurs d’asile, Trump a publié le 20 juin un décret exécutif pour mettre un terme à ces séparations.

Une victoire? Pas si vite

Dans son décret exécutif, Trump a également réaffirmé sa politique de «tolérance zéro» à l’égard des demandeurs d’asile qui traversent la frontière du Mexique pour se rendre immédiatement aux agents de la patrouille frontalière afin d’entamer la procédure d’obtention de l’asile.

Ces mères et ces pères, ces êtres humains ainsi que leurs enfants, fuient des situations de danger extrême en Amérique centrale. Les dangers dont ils cherchent à s’éloigner sont en grande partie le résultat de la politique et des actions états-uniennes, mais c’est une autre question.

Ces demandeurs d’asile ne se «faufilent» pas de l’autre côté de la frontière avec leurs enfants. Par exemple, traverser le Rio Grande (qui marque la frontière entre le Mexique et le Texas) sur des pneus et d’autres radeaux bricolés sous les yeux des agents de la patrouille frontalière pour se rendre à ces mêmes agents n’a rien d’un subterfuge, étant donné les dangers

C’est la politique de «tolérance zéro» concernant l’immigration qui a conduit à arracher les enfants à leurs parents. En vertu de cette politique, quiconque traverse la frontière sans papiers, pour quelque raison que ce soit, est catalogué comme étant un «criminel», arrêté et emprisonné sans possibilité de verser une caution. Ceux qui ont des enfants en sont immédiatement séparés, puisque les enfants ne sont pas accusés d’un crime comme le sont leurs parents.

Mais les enfants sont envoyés dans différentes prisons, appelées «centres de détention», disséminées à travers tout le pays, souvent loin du lieu de détention de leurs parents. Certains ont été transportés par avion à New York, d’autres à Seattle, et dieu sait dans quelles autres localités entre ces deux villes.

L’administration Trump affirme que ces «contrevenants» auraient dû demander l’asile dans des sites situés à l’intérieur des Etats-Unis, juste après la frontière, mais les patrouilles frontalières ne leur permettent pas d’atteindre ces sites étant donné qu’ils n’ont pas les papiers leur permettant de traverser la frontière. Obtenir des visas dans les ambassades des Etats-Unis dans leur pays d’origine est presque impossible pour les familles ouvrières et paysannes, sans compter que dans ces pays il est peut-être dangereux de le tenter.

Il y a donc une contradiction flagrante entre la politique de «tolérance zéro» et la déclaration de Trump (le 20 juin) selon laquelle les enfants devraient être réunis avec leurs parents. Il n’est pas étonnant que les fonctionnaires chargés d’effectuer ces deux tâches tergiversent et émettent des affirmations discordantes, alors que la situation sur le terrain n’a guère changé depuis le décret de Trump.

Les quelques cas où les enfants ont été réunis avec les parents sont en grande partie le résultat des efforts d’un groupe d’avocats, de plus en plus nombreux, qui ont commencé à se battre en faveur de ces victimes de la «justice» états-unienne.

Dans ce décret, Trump propose une manière de résoudre la contradiction. Comme l’expliquent deux des avocats du groupe mentionné, Bred Karp et Gary Wingens, dans un éditorial paru dans le New York Times du 26 juin: «Le récent décret du président Trump mettant fin à la politique illégale et immorale qui consiste à séparer les enfants de leurs parents débouche sur une autre politique tout aussi illégale: celle de prolonger la détention des familles demandant l’asile.»

Pour ce faire, Trump propose de supprimer une décision de justice de 1997 selon laquelle les enfants ne peuvent être détenus durant plus de 20 jours. La seule manière de régler la question en cessant de séparer les enfants de leurs parents serait de garder les enfants avec leurs parents en prison, indéfiniment.

Le 24 juin, il a proposé une nouvelle solution: «Quand quelqu’un arrive, nous devons immédiatement, sans juges et sans tribunaux, les renvoyer d’où ils sont venus.»

Beaucoup ont souligné que ces deux «solutions» sont non constitutionnelles et violent le droit à une procédure normale (due process). Trump, qui n’en a rien à foutre de la Constitution ou de l’application régulière de la loi, va de l’avant.

Un arrêt de la Cour suprême datée 26 juin a déclaré que la position de Trump était constitutionnelle. En fait cette décision fait partie d’un jugement concernant un autre aspect de la politique d’immigration de Trump, celle du «travel-ban» qui interdit le territoire américain, de façon permanente, aux ressortissants de six pays, pour la plupart à majorité musulmane. Dans une décision prise par cinq contre quatre, la Cour a en effet confirmé cette interdiction. [La composition de la Cour suprême, qui tranche sur des grands «problèmes de société», soit la constitutionnalité des lois, est d’une grande importance politique. Trump va nommer un de ses partisans suite à la démission annoncée le 27 juin du conservateur modéré Anthony Kennedy.]

C’est la raison invoquée par la Cour pour cette décision qui est directement liée à cette affaire. La Cour a en effet déclaré que le président a une autorité illimitée pour décider comment contrôler les frontières. Maintenant cela a force de loi dans le pays. Cela signifie que si Trump va de l’avant en renvoyant immédiatement les demandeurs d’asile et leurs enfants dans leur pays d’origine sans aucun contrôle judiciaire, cela serait actuellement constitutionnel.

La décision de la Cour suprême codifie un grand pas en avant pour la consolidation du gouvernement autoritaire voulu par Trump, soit un gouvernement portant encore les apparences de la démocratie bourgeoise, tout comme l’actuel gouvernement hongrois de Viktor Orban, qui est également un raciste qui déteste les immigrants. Pas étonnant qu’il considère cela comme une grande victoire pour lui-même.

Si la première solution de Trump est adoptée, sa concrétisation a déjà été prévue avec l’ordre de Trump aux forces armées de se préparer à mettre en place des centres de détention sur des bases militaires équipées pour héberger 20’000 personnes. Ces bases pourraient abriter des familles d’immigrants et leurs enfants. Une version encore plus sinistre serait que Trump ignore simplement sa propre décision et soit prêt à loger dans ces installations les enfants – séparés de leurs parents – alors que ces derniers seraient expulsés.

Camp pour enfants à Tornillo, Texas

Quelles que soient les décisions que prendra Trump, les enfants restent enfermés et ne sont pas réunis avec leurs parents. Certains parents ont déjà été déportés alors que leurs enfants restent aux Etats-Unis.

La Maison-Blanche affirme que les autorités ont minutieusement enregistré quel enfant appartenait à qui, mais à part la base raciste blanche de Trump, peu de gens croient à cette fiction. Compte tenu de l’opacité du gouvernement, de ses mensonges et de ses déclarations contradictoires sur cette question, cette incrédulité est justifiée.

De plus, il est très peu probable que de tels registres aient jamais été tenus, puisque l’administration a déclaré au départ que son objectif de séparer les enfants de leurs parents visait à décourager les demandeurs d’asile et qu’elle espérait éventuellement placer les enfants dans des familles d’accueil – aux Etats-Unis.

Depuis son ordonnance du 20 juin, Trump a intensifié sa rhétorique anti-immigrés, affirmant qu’ils «envahissent» les Etats-Unis, «infestent» le pays, sont des tueurs, des violeurs et des trafiquants de drogue. Pour faire admettre son point de vue, il a organisé un événement médiatique avec des personnes qui étaient – selon lui – des victimes de crimes commis par des immigrants.

En outre, l’offensive plus généralisée contre les immigrants menée par l’Immigration Customs Enforcement (ICE) s’est accélérée, avec des raids sur les lieux de travail et d’autres endroits pour rafler les immigrants sans papiers et les déporter.

Au cours des deux dernières semaines, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes à travers le pays devant les bureaux de l’ICE. Ces manifestations sont de plus en plus nombreuses et militantes. Des campements «Occupy ICE» bloquent les installations de l’ICE à New York, à Los Angeles, à Portland et à Tacoma [banlieue de Seattle].

Une manifestation a eu lieu dans le village de tentes de Tornillo, au Texas, lieu d’hébergement d’enfants de migrants. Des milliers de personnes ont rejoint une marche à San Diego, en Californie, près de la frontière mexicaine. A McAllen, au Texas, des manifestants ont temporairement bloqué un bus transportant des enfants migrants vers un lieu inconnu, en scandant «libérez les enfants!».

Une revendication qui n’a pas été souvent entendue jusqu’à maintenant devient de plus en plus populaire: celle de supprimer l’ICE. A la consternation de l’establishment démocrate, dont les membres du Congrès ont régulièrement voté pour financer l’ICE, cette revendication est même reprise par certains démocrates.

Une autre manifestation de la colère croissante est le fait que des fonctionnaires de l’administration Trump ont été houspillés spontanément lorsqu’ils apparaissent en public. Un journaliste a écrit dans le New York Times du 26 juin:

«Ces derniers jours, alors que les démocrates institutionnels se désolaient tout au plus… [des activistes en colère] et les citoyens ont pris les choses en main en ne respectant pas les couleurs du pouvoir.

Les progressistes ont chahuté Kirsten Nielsen, la secrétaire à la Sécurité intérieure, et Stephen Miller, l’assistant de la Maison-Blanche, dans les restaurants de Washington. Ils ont éjecté la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Huckabee Sanders, d’un restaurant de Lexington, en Virginie. Et ils ont apostrophé dans une salle de cinéma le procureur général de Floride, qui est l’un des principaux représentants des annonces de Trump sur les réseaux câblés.

La représentante Maxine Waters, démocrate de Californie, a déclaré, lors d’un rassemblement à Los Angeles: “Et si vous voyez quelqu’un de l’équipe [de Trump] dans un restaurant, dans un grand magasin, dans une station-service, sortez et organisez un rassemblement. Et vous les éloignez. Et dites-leur qu’ils ne sont plus les bienvenus, nulle part.”»

Inutile de dire que ces remarques de Waters, qui est Afro-Américaine, n’ont pas été bien accueillies par l’establishment démocrate. Nancy Pelosi, leader démocrate à la Chambre, et Chuck Schumer, le leader démocrate au Sénat, se sont dépêchés de dénoncer ses propos.

Pour trouver une solution à cette crise il ne s’agit pas de se tourner vers les partis démocrate et républicain, tous les deux liés au capital: ils n’ont pas de solution. Il s’agit maintenant de soutenir, d’étendre et d’élargir les protestations. Rejoignez celles et ceux qui lancent le cri de ralliement «Honte! Honte! Honte!» contre les représentants de Trump suite à cette attaque cruelle et exécrable contre les demandeurs d’asile et leurs enfants. (Article envoyé par l’auteur le 28 juin 2018 ; traduction A l’Encontre)

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