Etats-Unis. Des assassinats inspirés par Trump et la contre-mobilisation à Portland

Par Barry Sheppard

Portland, Oregon. Le premier jour du Ramadan (le 27 mai 2017), deux assassinats et une tentative de meurtre ont été commis à Portland (dans un tramway) par un Blanc islamophobe, suprémaciste blanc, à l’idéologue fasciste, voilà le plus récent d’une série de crimes de haine inspirés par la rhétorique de la campagne de Donald Trump ainsi que des actions racistes depuis qu’il a entamé son mandat.

Heidi Beirich, directrice de l’Intelligence Project du centre de la Southern Poverty Law (SPLC), qui enregistre les crimes de haine, a déclaré sur le site Democracy Now: «Le président Trump, dont les propos au cours de la campagne électorale contre les immigrés, les musulmans et d’autres, ont déclenché une vague de crimes de haine et d’incidents discriminatoires, surtout juste après son élection. Le SPLC a récolté des données sur environ 900 au cours des 10 premiers jours après l’élection.»

Depuis lors, le rythme de ces crimes s’est accéléré

Les assassinats de Portland ont commencé lorsque Jeremy Christian, partisan de la Alt-Right (extrême droite) et connu pour sa violence raciste et armé d’un couteau, a accosté deux adolescentes noires dans un train de banlieue. Une des jeunes femmes était musulmane et portait un hijab, son amie était non-musulmane.

Christian a hurlé des insultes racistes et islamophobes contre les deux jeunes femmes, il criait qu’elles devaient descendre du train et quitter le pays. Trois hommes blancs sont intervenus et ont essayé d’arrêter Christian, qui a alors poignardé à mort deux d’entre eux et blessé grièvement le troisième.

Ces héros étaient Ricky John Best, un vétéran de l’armée, âgé de 53 ans, qui travaillait pour la ville de Portland; Taliesin Myrddin Namkai-Meche, un jeune homme de 23 ans récemment licencié du Reed College à Portland ; et Micah David-Cole Fletcher, un poète de 21 ans et étudiant à l’université d’Etat de Portland. Tous les trois ont été poignardés au cou. Best et Namkai-Meche en sont morts, et Fletcher a survécu, mais a été grièvement blessé et a été conduit à l’hôpital.

Dans une interview émouvante sur la chaîne CNN, Destinée Mangum, une des jeunes femmes agressées par Christian a raconté, en larmes :

«Il nous a dit de retourner en Arabie Saoudite, que nous n’avions pas le droit d’être ici et que nous devions quitter le pays. Au fond il nous disait que nous n’étions rien et que nous n’avions qu’à nous suicider….[Après que les trois héros blancs soient intervenus] mon amie et moi allions descendre du train. Nous nous sommes retournées alors qu’ils se battaient, et il a commencé à les poignarder. Il y avait du sang partout, et craignant pour nos vies nous avons fui en courant… Je voulais juste remercier les gens qui ont risqué leur vie pour nous, alors qu’ils ne nous connaissaient même pas. Et ils ont perdu leurs vies à cause de moi et de mon amie et de notre aspect. Je veux leur dire merci à eux et à leurs familles et leur dire combien je les apprécie, car sans eux nous ne serions plus en vie.»

L’amie musulmane de Mangum conserve pour le moment son anonymat, pour de bonnes raisons

Lors de sa mise en accusation, Christian a hurlé: «Liberté d’expression ou mort, Portland. Vous n’avez aucun lieu sûr. Ici nous sommes en Amérique. Si vous ne voulez pas de liberté d’expression, allez-vous en». Et un peu plus tard il a surenchéri: «Mort aux ennemis de l’Amérique. Mort aux antifascistes. Vous appelez cela du terrorisme. Moi je l’appelle du patriotisme. Mourez.»

Il a fallu plusieurs jours d’indignation avant que la Maison Blanche n’émette une déclaration de pure forme qui ne mentionnait même pas l’islamophobie ou le Alt-Right, un ramassis hétéroclite d’organisations ayant une idéologie fasciste et qui sont un des groupes périphériques qui soutiennent Trump.

Tout cela se passait alors que le principal édile républicain à Portland, James Buchal, expliquait au Guardian que les Républicains pouvaient assurer leur propre sécurité en faisant appel à des groupes de milice Alt-Right armés tels que les Oath Keepers et les Three Percenters plutôt que de dépendre de la police municipale ou de l’Etat.

D’après le SPLC, les Oath Keepers sont une organisation d’extrême droite comportant 10’000 ex-officiers de police et des vétérans de l’armée. Les Three Percenters avaient été organisés pour combattre le gouvernement fédéral après l’élection du président (noir) Obama.

Buchal a récemment conçu une vidéo contre «Nos ennemis», qui «veulent ouvrir les frontières parce qu’ils savent que s’ils gardent les frontières ouvertes cela attirera toutes sortes de gens du Tiers-monde qui n’ont aucune conception de la liberté… ce qui changera ce pays pour toujours, et détruira tout ce qu’il y a de spécial en Amérique.»

Ensuite il a fait l’éloge de Trump en tant que rempart contre ces «ennemis». Dans socialistworker.org, des reporters qui avaient été des témoins oculaires à Portland ont expliqué: «Mais il y a un autre côté de l’histoire, qui va au-delà des terribles attaques au couteau: des centaines de milliers de personnes qui habitent aussi dans cette ville, qu’ils partagent avec Ricky Best et Taliesin Namkai-Mechein, ont été horrifiées par leur assassinat et elles sont nombreuses à vouloir faire quelque chose pour s’opposer à cette haine Le lendemain après les assassinats, un millier de personnes ont participé à une veillée, organisée à la hâte, en honneur aux héros qui ont essayé d’arrêter le raciste. Des gens de tous les âges et races, y compris beaucoup de femmes en hijab, ont tenu des bougies et laissé des fleurs à un autel de fortune, dans une gare, près de l’endroit où les attaques au couteau avaient été perpétrées.» Ceux qui s’engagent pour la justice sociale à Portland n’oublieront pas cette horreur.

Malgré la tuerie, les organisations de l’Alt-Right préparent une mobilisation le 4 juin pour la «liberté d’expression». Cependant une coalition des organisations de gauche en voie de s’accroître se prépare pour une contre-manifestation avec le mot d’ordre «Portland est uni contre la haine». Les manifestants entendent montrer par le nombre de participant·e·s que «les habitants de Portland s’opposeront à la violence et au racisme».

C’est en effet la meilleure manière de combattre l’extrême droite. Certains soutiennent la proposition du maire de Portland d’interdire la manifestation de l’Alt-Right, mais ceci n’est pas la meilleure décision pour une série de raisons.

D’abord, nous ne pouvons pas faire confiance à cet Etat pour combattre la droite. Pour cet Etat, ses ailes armées qui sont des terrains propices à des groupes tels que les Oath Keepers, constituent un élément clé. En outre, le système capitaliste lui-même profite de l’islamophobie et la soutient, y compris depuis le pouvoir exécutif situé à Washington qui l’utilise pour «justifier» ses guerres interminables au Moyen-Orient et an Afrique du Nord.

Black Lives Matter a mis en évidence le fait que le racisme institutionnalisé est bien vivant aux Etats-Unis, et qu’il est promu et protégé par l’Etat capitaliste. C’est le capitalisme et son Etat qui crée et alimente l’extrême droite. Lors d’une crise importante, les capitalistes soutiendront même le fascisme, comme ils l’ont fait en Italie, en Allemagne, en Espagne et au Portugal.

Ensuite, la gauche ne devrait soutenir aucune interdiction de l’Etat capitaliste contre la liberté d’expression. L’histoire mondiale et celles des Etats-Unis ont largement démontré que de telles interdictions, même lorsqu’elles étaient à l’origine conçues contre la droite, sont toujours utilisées au centuple contre les travailleurs, les travailleuses et les opprimé·e·s. Dans ce cas, cela fait le jeu de la Alt-Right, dont la manifestation du 4 juin est appelée pour défendre «leur libre expression» afin de détourner l’attention de leur discours haineux.

La meilleure manière de s’opposer aux propos haineux de l’Alt-Right et de sa violence telle qu’elle a éclaté à Portland, consiste non pas à faire confiance à ceux qui nous exploitent et oppriment et à leur Etat, mais en une mobilisation de masse par en bas, de la part des exploité·e·s, des opprimé·e·s et de leurs allié·e·s. (Envoyé par l’auteur au site A l’Encontre le 1er juin 2017; traduction A l’Encontre)

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