Environnement-santé. Le Roundup mis en cause aux Etats-Unis, approuvé en Suisse

Par Stéphane Foucart

Ce n’est pas encore un jugement définitif mais déjà, pour Bayer une fort mauvaise nouvelle. [La fusion entre le groupe Bayer et Monsanto s’est opérée effectivement en juin 2018; la somme en jeu: 63 milliards de dollars; la taille du nouveau groupe en a fait le premier producteur de glyphosate du monde et le champion mondial de l’agrochimie; Bayer a donc fait disparaître le nom de Monsanto dont l’odeur était plus infecte que le glyphosate, ne serait que pour les 7800 proècs intentés à Monsanto ce qui équivaut à plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts potentiels].

Au terme de plusieurs jours de délibérations, un jury fédéral américain a estimé, mardi 19 mars 2019, que l’herbicide Roundup avait été un «facteur substantiel» dans le déclenchement du cancer d’Edwin Hardeman.

Ce septuagénaire californien attribue son lymphome non-hodgkinien (LNH, une hémopathie maligne du système lymphatique) à l’utilisation régulière sur sa propriété et pendant près de trente ans du célèbre désherbant commercialisé par Monsanto, société que l’Allemand Bayer a acquise en 2018.

C’est le premier procès du genre devant la justice fédérale américaine. En août 2018, c’était un tribunal de l’Etat de Californie qui avait condamné la firme agrochimique à verser 289 millions de dollars (253 millions d’euros) à Dewayne Johnson [1], un jardinier également atteint d’un LNH, jugement dont Bayer a fait appel.

Dans le cas de M. Hardeman, la décision du jury clôture la première phase du procès. Celle-ci était destinée à n’évaluer que les éléments scientifiques apportés par les experts des deux parties, afin de statuer sur la responsabilité éventuelle du Roundup dans la maladie du plaignant. La seconde phase, elle, examinera les manœuvres alléguées du fabricant pour influencer les agences réglementaires, peser sur la «science» et cacher la dangerosité du glyphosate, le principe actif du Roundup. Le jugement ne sera rendu qu’une fois cette seconde phase achevée.

Référence pour plus de 700 affaires similaires

«Nous sommes déçus de la décision du jury, mais nous continuons à croire fermement que la science confirme que les herbicides à base de glyphosate ne causent pas de cancer, a déclaré un porte-parole de la firme. Nous sommes confiants dans le fait que les éléments présentés au cours de la seconde phase du procès montreront que la conduite de Monsanto a été appropriée et que la société ne devrait pas être tenue pour responsable du cancer de M. Hardeman. »

La décision intermédiaire du jury américain est potentiellement dangereuse pour l’agrochimiste. En effet, le procès en cours devrait servir de référence à plus de 700 affaires similaires, regroupées au tribunal fédéral de San Francisco, et qui attendent d’être jugées.

En outre, les avocates de M. Hardeman plaidaient avec de lourds handicaps. D’abord l’âge de leur client, plus de 70 ans, est en lui-même un facteur de risque pour les LNH. Ensuite, M. Hardeman a contracté une hépatite C, une maladie virale qui est également un facteur de risque supplémentaire pour le cancer spécifique dont il est affecté.

De nombreux plaignants seront ainsi plus faciles à défendre que M. Hardeman. Et ils sont nombreux. Au total, selon les chiffres transmis par Bayer aux investisseurs, plus de 11’000 actions en justice sont en cours aux Etats-Unis, devant des juridictions d’Etat ou des tribunaux fédéraux.

«Manipulant l’opinion publique»

Le travail des avocates de M. Hardeman était encore compliqué par la décision du juge fédéral Vince Chhabria de scinder en deux phases le procès: au cours de la première phase, les avocats devaient s’en tenir à la science et avaient interdiction de citer dans leurs plaidoiries les éléments – comme les Monsanto Papers, ces documents internes de la firme désormais dans le domaine public – suggérant selon eux une volonté de Monsanto de dissimuler la dangerosité de son produit phare. Au premier jour des auditions, le juge Chhabria a même vertement rabroué l’une des avocates du plaignant, lui infligeant une amende pour avoir enfreint cette règle.

Bayer suite: la vérité mature («reif»)

Si, au terme de cette première phase, le jury avait estimé peu plausible que le Roundup ait pu jouer un rôle substantiel dans le déclenchement de la maladie de M. Hardeman, le procès n’aurait connu aucune suite.

«Maintenant, nous allons pouvoir nous pencher sur les éléments de preuve montrant que Monsanto n’a pas adopté une approche responsable et objective dans l’évaluation de la sûreté du Roundup, déclarent Aimee Wagstaff et Jennifer Moore, les deux avocates de M. Hardeman. Au contraire, il est clair que Monsanto a agi sans se soucier de savoir si son produit est susceptible de donner ou non le cancer à des gens, en manipulant l’opinion publique et en attaquant toute personne manifestant des inquiétudes légitimes et fondées sur le sujet.»

Hasard malheureux pour Bayer, la veille de la décision du jury, une étude d’ampleur inédite, menée sur plus de 300’000 agriculteurs suivis pendant une dizaine d’années en moyenne, pointe un risque légèrement accru de lymphome diffus à grandes cellules B, le type le plus courant de LNH, et précisément celui dont souffre M. Hardeman… Cependant, selon les avocates du plaignant, ce nouvel élément est intervenu trop tardivement pour avoir pu être pris en compte par le jury. Nul doute qu’il le sera à l’avenir. (Publié dans Le Monde du 20 mars 2019 à 6h35; titre de A l’Encontre)

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[1] Le glyphosate est classé «cancérigène probable» depuis 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais pas par les agences européennes, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques). En novembre 2017, le gouvernement du pays «propre en ordre», le Conseil fédéral de la Suisse, s’affirmait opposé à une interdiction du glyphosate, «jugé inoffensif pour la santé» (sic), cité dans Le Temps, le 26 novembre 2017. «En 2018, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a examiné 243 échantillons de denrées alimentaires prélevés dans le commerce de détail en Suisse. Soixante pour cent des échantillons étaient exempts de glyphosate [sic].» Et les 40% autres pour cent? Mieux, le 6 septembre 2017, l’émission Rundschau, qui a eu accès à un rapport interne, affirme que cette «étude» confirme que le «Conseil fédéral veut augmenter massivement la valeur limite de 25 pesticides. La limite supérieure absolue pour certaines substances toxiques dans l’eau pourrait être de 10 microgrammes par litre contre 0,1 aujourd’hui; soit une augmentation massive .» Ce qui démontre certainement le peu d’influence du lobby du secteur de l’agrochimie! (Réd. A l’Encontre)

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