Attentats. La stigmatisation fait florès

Manifestation à Lille le 14 novembre, avant la tentative repoussée d'intervention des identitaires
Manifestation à Lille le 14 novembre, avant la tentative, repoussée, d’irruption des identitaires avec leur slogan «Expulsons les islamistes»

Par Rédaction A l’Encontre
et Thomas Cluzel

Dès les attentats meurtriers du 13 novembre à Paris, la campagne politique visant «la communauté musulmane» s’est développée. Le Front national a matraqué ses trois thèmes anti-immigré·e·s et anti-musulmans. Le premier est formulé de la sorte: «Nous devons retrouver des frontières nationales. Nous devons arrêter les flux de migrants qui arrivent.» Autrement dit, migrants=réfugiés=terroristes potentiels.

Le second: «Il y a 11’000 fichés S qui auraient dû faire l’objet d’une perquisition.» Selon la pratique et le droit français la fiche S est un élément de surveillance, pas de culpabilité. D’après les experts du droit constitutionnel français, une personne ne peut pas être arrêtée au motif qu’une fiche S a été établie sur elle. Laurent Wauquiez, député des Républicains (ex-UMP) et coutumier de la surenchère, «a proposé la création de camps pour toutes les personnes ciblées par une fiche S, soit plus de 11 000 personnes», comme l’expliquent entre autres sur Mediapart (18 novembre 2015) Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix. Ils ajoutent: «François Hollande a indiqué lundi que le gouvernement allait saisir le Conseil d’Etat pour examiner la faisabilité juridique d’une telle disposition.» Même si Hollande estime que le Conseil d’Etat jugera qu’une telle disposition est anticonstitutionnelle, «il ne veut surtout pas laisser un millimètre à la droite sur le terrain sécuritaire», comme le soulignent les deux journalistes.

Le troisième leitmotiv du FN: «Le code de la nationalité doit être intégralement refondé.» Autrement dit, le FN demande la déchéance de nationalité de «ceux qui participent de la mouvance islamiste». Le quotidien Le Monde, dans sa rubrique en ligne signée «Les Décodeurs», le 17 novembre, écrit à ce propos: «Le Conseil constitutionnel rappelait dans une étude de 2008 qu’en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, elle-même basée sur la déclaration universelle des Droits de l’homme, “les nationaux ont un droit général et absolu à entrer, séjourner et demeurer en France”». Le droit international reconnaît en effet à chacun “le droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant”. Dans son allocution au Congrès réuni à Versailles, le président François Hollande a lui affirmé souhaiter une modification de la loi afin qu’elle permette de retirer la nationalité française aux binationaux nés Français, en plus des binationaux naturalisés.» L’escalade sécuritaire, qui peut servir d’humus à la stigmatisation des musulmans, est sans limites.

Face à cette situation, dans un billet envoyé à la rédaction d’A l’Encontre, le 16 novembre, Jacques Chastaing indiquait à juste titre un élément concret pour fonder une riposte politique: «Les gens qui sont dans la rue pour se recueillir en silence sont aussi les mêmes, comme à Metz ou Lille, qui ont crié «Dehors les Fascho», «A bas les racistes» et qui les ont repoussés. Malgré la confusion, nous pouvons nous appuyer sur ce sentiment d’un mouvement anti-raciste et anti-fasciste et lui offrir une possible représentation, surtout si l’extrême droite identitaire ou le FN continuent leurs provocations et attaques.»

Nous publions ci-dessous un compte rendu de la presse internationale qui met en lumière, de manière crue, une propagande islamophobe dont des médias, significatifs, sont les vecteurs. (Rédaction A l’Encontre)

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Quand elle a vu sa photo dans la presse, sa mère s’est mise à vomir. C’était lundi soir, un Français d’origine maghrébine de 28 ans, habitant Bruxelles, découvrait avec stupeur son visage à la Une de deux journaux, DH (Belgique) et LAATSTE NIEUWS. Sous sa photo, la légende le présente comme Brahim Abdeslam, l’un des terroristes responsables des attentats de Paris. Sauf qu’il n’est pas, évidemment, Brahim Abdeslam, lequel s’est fait exploser trois jours plus tôt sur le boulevard Voltaire. En revanche, il a effectivement «le tort» de porter le même prénom: Brahim. Mais lui s’appelle Brahim Ouanda. Aussitôt, le jeune homme a porté plainte. «J’ai été choqué, dit-il, après les attentats et notamment par le fait que cela venait de Molenbeek, la commune de mon enfance. Mais là, je suis encore plus sous le choc, après l’association qu’on a faite entre ces attaques et moi.» Une tragique mésaventure, donc, longuement racontée sur le site de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) et qui témoigne du risque facile qui existe aujourd’hui de stigmatisation à l’encontre de la communauté musulmane.

Et que dire, encore, de l’attitude de ces deux journalistes de CNN (chaîne d’information des Etats-Unis). Dimanche dernier, les deux présentateurs en plateau interrogent Yasser Louati, le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, qui se trouve lui sur la place de la République, à Paris. Les journalistes s’inquiètent notamment du fait que la communauté musulmane ne dénonce pas davantage les massacres de masse perpétrés par des individus «de ses rangs» (sic). Aussitôt, Yasser Louati les reprend: «Ils ne sont pas de nos rangs. Notre camp est le camp français, dit-il. Ne faites pas d’erreur à ce propos.» Réponse du journaliste: «Si votre camp, c’est la France, comment se fait-il que personne au sein de la communauté musulmane en France n’ait su ce que ces personnes étaient sur le point de faire? Parce qu’il me semble que c’était un plan d’envergure, et il y avait forcément des gens au-delà des sept terroristes tués qui savaient quelque chose, et si quelqu’un savait c’était probablement au sein de votre communauté. Et pourtant personne n’a rien dit.» Interrogé sur le site Big Browser (blog du Monde), Louati n’en revient toujours pas et s’insurge de telles questions: «C’est de la folie. L’Etat n’a pas fait son travail mais nous, nous aurions dû savoir et prévenir ces événements! Je suis extrêmement déçu par CNN, comment peuvent-ils avoir une approche aussi simpliste?» Toujours est-il que les deux journalistes, eux, n’en démordent pas. Et voici comment se conclue l’entretien, avec les deux présentateurs en plateau: «Même si ce n’est pas leur faute, ça vient quand même de la communauté musulmane. Ils ne peuvent pas se dérober».

Quoi qu’il en soit, depuis les attentats de vendredi, les amalgames font florès. Deux jours seulement après les tragiques évènements, le candidat aux primaires républicaines, Jeb Bush, expliquait, notamment  sur CNN, que le gouvernement américain devrait concentrer ses efforts pour aider les réfugiés syriens chrétiens, mais pas les musulmans.

Le prestigieux magazine américain TIME a, lui, ouvert ses colonnes à Marine Le Pen. Une tribune dans laquelle la présidente du Front National écrit notamment: «Trop souvent, nous avons confondu hospitalité et aveuglement. Tous ceux que nous avons accueillis ne sont pas venus avec un amour de la France et de son mode de vie.»

Ou quand les attentats de Paris conduisent à un spectaculaire virage à droite

Le terrorisme qui a frappé aveuglément la capitale française joue en faveur de l’extrême droite, s’inquiète notamment le journal d’Alger EL-WATAN, avant de préciser qu’Arabes et musulmans qui vivent en France risquent d’en faire les frais.

Dessin du «Daily Mail»
Dessin du «Daily Mail», le 17 novembre 2015

Et puis au sein de l’Union européenne, cette fois-ci, les amalgames entre réfugiés et terroristes refont surface. Récemment, le tabloïd anglais DAILY MAIL, le deuxième journal en nombre de ventes quotidiennes, a publié un dessin qui lie très clairement réfugiés syriens et terroristes. Intitulé «Les frontières ouvertes de l’Europe», on y voit des réfugiés, à l’évidence musulmans. Parmi eux, l’un porte une kalachnikov, un autre une tenue de camouflage et une dernière un voile intégral. Et tous traversent les frontières avec une nuée de rats à leurs pieds. Une association, entre rats et réfugiés, qui n’est pas sans rappeler la propagande nazie antisémite.

En Allemagne, le journal de Berlin DIE WELT, l’un des trois plus grands quotidiens du pays, ne laisse là encore que peu de doute quant au message qu’il entend véhiculer: nombre d’immigrants et leurs enfants ne chérissent pas vraiment l’idée de s’intégrer dans une société dont ils n’apprécient pas les traditions culturelles et dont le mode de vie les choque. C’est dans leurs rangs, dit-il, que sont recrutés les terroristes. Et d’en conclure: «il ne s’agit pas de les montrer du doigt, il s’agit d’une évidence».

De son côté, son confrère de Munich SÜDDEUTSCHE ZEITUNG est là tout de même pour rappeler une évidence et expliquer que faire des parallèles entre migration, islam et terrorisme mène à des amalgames dangereux. Oui, concède le journal, une communauté a une responsabilité, un rôle à jouer dans la société. Mais elle ne peut pas être rendue responsable, surtout lorsqu’il s’agit d’une communauté définie aussi sommairement que «les musulmans».

Quoi qu’il en soit, dans ce contexte, on peut d’ores et déjà prédire que la politique d’asile commune et d’immigration de l’Union européenne risque d’être fortement mise à mal. Et cette tentation du repli sur soi qui étreint l’Europe tout entière inquiète notamment THE NEW YORK TIMES. Verrouiller hermétiquement les vannes est souvent, dit-il, la solution de facilité politiquement opportune brandie après des attaques terroristes. Or ces réponses sont fausses. Freiner l’exode des réfugiés de Syrie doit faire partie du plan global pour mettre un terme à la guerre en Syrie. En revanche, construire de nouvelles barrières pour les laisser dehors, sous le prétexte absurde que les musulmans sont intrinsèquement dangereux offrira une propagande de choix à l’organisation Etat islamique. (Intervention de Thomas Cluzel sur France Culture à 7h24, le 19 novembre 2015)

1 Commentaire

  1. Oui, rappeler avec Jacques Chastaing que les gens qui se recueillent dans la rue en silence ont crié « Dehors les Fascho », « A bas les racistes » et les ont repoussés à Metz ou à Lille. Nous pouvons sans doute et malgré la confusion, nous appuyer sur ce sentiment anti-raciste et anti-fasciste pour offrir une possible représentation à un mouvement et surtout si l’extrême droite identitaire ou le FN continuent leurs provocations et attaques. Mais comment ne pas aussi chercher à rassembler contre l' »union nationale » et les va-t-en guerre qui s’en réclament? On l’a bien vu, ce sont des camps de concentration (c’est ce que signifie « centre d’internement ») que certains et même à l’UMP ont proposé et dont Hollande assure vouloir examiner la faisabilité?

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