Venezuela. Limoger Luisa Ortega Diaz; replacer Leopoldo Lopez en résidence surveillée

Luisa Ortega sur Telesur, début juin 2017

Par Véronique Kiesel

Que l’Assemblée nationale constituante (ANC) soit un nouvel instrument de pouvoir de la bolibourgeoisie de type maduriste, le doute n’est pas permis. Par contre, que l’ANC serve, conjointement, d’instrument de sanction ou d’étouffement et de carte pour négocier avec des secteurs de l’opposition, cela relève d’une logique politique dans la configuration actuelle.

On peut l’appréhender, sous un angle réduit, avec, d’un côté, le limogeage de la procureure Luisa Ortega Diaz ainsi que son remplacement, de suite, par Tarek William Saab (ex-Défenseur du Peuple) qui a prêté serment devant la nouvelle «Constituante» et, de l’autre côté, avec la remise en résidence surveillée (emprisonné à nouveau il y a cinq jours) d’un des dirigeants de l’opposition Leopoldo Lopez. Il en alla de même avec le maire du Grand Caracas: Antonio Ledezma.

Egalement peut être «utilisée» une rébellion dite militaire, comme à Valencia, le 6 août, pour qu’une sorte d’état d’urgence, étayé formellement sur la Constituante, soit renforcé pour «la lutte contre le terrorisme».

Toutefois, il est utile d’avoir à l’esprit que le pouvoir reste tributaire de la situation économique qui fait qu’un ménage sur deux se trouve dans la catégorie d’extrême pauvreté. Or, les besoins de base ont leur urgence qui n’est pas la même que la temporalité de l’ANC. (Rédaction A l’Encontre)

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C’est une fidèle de l’ancien président Hugo Chávez, qui l’avait fait nommer en 2007 procureure générale de la République bolivarienne du Venezuela, poste qu’elle devait, après avoir été reconduite, occuper jusqu’en 2021. Et c’est précisément pour défendre l’héritage de l’ancien président, mort d’un cancer en 2013, que cette femme décidée de 59 ans est devenue une des plus farouches opposantes de son successeur, Nicolás Maduro. Il y a quelques semaines, brandissant le petit livre bleu de la Constitution mise en place en 1999 par Chávez, elle a promis de défendre ce texte majeur et la démocratie vénézuélienne «même si cela me coûte ma vie». Le 5 août 2017, elle n’a pas été tuée, mais bien limogée.

Pendant des années, cette avocate en droit pénal et professeure d’université qui avait rejoint le Ministère public en 2002, a soutenu les profondes réformes sociales lancées par Hugo Chávez. Elle est d’ailleurs la sœur d’un militaire, Humberto Ortega Diaz, qui avait participé en 1992 à la tentative échouée de coup d’Etat menée par Chávez, et qui a été plus tard son ministre de la Banque publique. Et son mari, German Ferrer, est député du PSUV, le parti fondé par Chávez.

Selon son époux, c’est en 2016 qu’elle commence à perdre confiance dans le gouvernement Maduro, mais sa première intervention critique contre le pouvoir remonte au 31 mars 2017: alors que la Cour suprême vient de s’arroger les pouvoirs du Parlement, contrôlé par l’opposition depuis les élections de décembre 2015, elle dénonce une «rupture de l’ordre constitutionnel».

Et face à la répression souvent brutale qui s’abat contre les manifestants d’opposition, protestant tous les jours contre cette confiscation des pouvoirs par le camp du président Maduro, elle affirme que «des groupes armés ne doivent pas attaquer des manifestations pacifiques» et annonce des investigations contre les groupes paramilitaires contrôlant les quartiers populaires.

Lorsque, le 1er mai, le président Maduro annonce la convocation d’une Assemblée constituante citoyenne, dont une partie des membres sera désignée par des groupes sociaux et non élus au suffrage universel, l’opposition dénonce une manœuvre politicienne pour se débarrasser de ce Parlement dans lequel elle a la majorité. Luisa Ortega affirme alors que la convocation de cette Assemblée «aggraverait la crise». Elle déposera plus tard un recours contre cette convocation, qui sera rejeté.

Et le 3 mai, alors que les manifestations ont fait 30 victimes en un mois – on en est aujourd’hui à 1997… –, elle déclare au Wall Street Journal: «On ne peut pas exiger des manifestations pacifiques de la part de citoyens si l’Etat ne respecte plus la loi.» Et dans une autre interview, elle donne l’estocade: «Le Venezuela n’est malheureusement plus un Etat de droit mais un Etat de terreur.»

La rupture est consommée: le 20 juin, la Cour suprême lance la procédure pour destituer la procureure rebelle après qu’un député l’a accusée de faits graves dans l’exercice de sa charge». Problème: c’est le Parlement qui a seul la compétence de le faire. Mais comme la Cour suprême a privé ledit Parlement de tous ses pouvoirs [1]. La Constituante, élue le 30 juillet au grand dam de l’opposition, fera elle-même le travail… (Article publié Le Soir le 7 août 2017).

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[1] La mesure a été prise à l’unanimité par les élus de la Constituante, après la lecture de la décision rendue par le Tribunal suprême de justice. La plus haute autorité judiciaire a donc suspendu, le samedi 5 août 2017, Luisa Ortega Diaz à la tête du Ministère public pour de dites «fautes graves dans l’exercice de ses fonctions».

La Constitution de 1999 donne à l’Assemblée nationale la fonction de destituer la procureure générale de la République. Or les députés, majoritairement, soutiennent – puisque les membres du législatif, élu en 2015, adhèrent aux divers courants de l’opposition anti-gouvernementale – tactiquement Luisa Ortega Diaz. Le constituant Diosdado Cabello, numéro deux du régime, a contourné l’obstacle en invoquant le statut de «souveraineté» de la Constituante par rapport aux autres pouvoirs. Luisa Ortega ne peut sortir du pays. (Réd. A l’Encontre)

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