Venezuela. Les quatre «erreurs stratégiques» de Juan Guaidó

Brésil-Venezuela: une déclaration conjointe le 28 février à Brasilia, signée Jair Bolsonaro et l’auto-proclamé président du Venezuela Juan Guaidó (Crédit: Lucio Tavora/AP)

Par Rafael Croda

Jusqu’à il y a peu, le président autoproclamé en fonction du Venezuela, Juan Guaidó, était un jeune opposant politique peu connu dans son pays et inconnu dans le monde. Aujourd’hui, deux circonstances ont fait de lui un acteur central dans le processus politique vénézuélien.

La première a été son élection à la présidence de l’Assemblée nationale. Il est arrivé à cette position parce qu’elle revenait à son parti, Voluntad Popular [les principaux partis se partagent sa présidence à tour de rôle, ndlr], et que le principal dirigeant de cette organisation, Leopoldo López, est assigné à résidence et que son second, Freddy Guevara, est reclus à l’ambassade du Chili de Caracas où il s’est réfugié.

La deuxième circonstance qui a fait de Guaidó une personnalité politique qui attire aujourd’hui l’attention du monde entier est qu’il a été investi à la présidence du Parlement au moment où Nicolás Maduro était sur le point de commencer son second mandat de président du Venezuela, suite à un processus électoral entaché d’irrégularités.

Le 15 janvier, cinq jours après le début de ce second mandat, l’Assemblée nationale l’a déclaré comme un « usurpateur » et a ouvert la voie à la prestation de serment de Guaidó comme président par intérim, ce qu’il a fait sur une place publique le 23 janvier.

Depuis lors, l’ancien leader étudiant de 35 ans est devenu le principal protagoniste d’une stratégie politique qui en fait le leader incontesté de la très diverse opposition, l’adversaire numéro un de Maduro et l’incarnation de l’espoir d’un changement pour des millions de citoyens las de la faim, de la corruption et des abus de pouvoir.

Le peu d’exposition publique dont bénéficiait Guaidó avant cette année le dote d’une certaine fraîcheur dans la situation agitée du Venezuela. Ce n’est pourtant pas un novice en la matière – il a 12 ans d’expérience politique, dont trois en tant que membre du Parlement – même si on le voit encore hésitant et anxieux dans son rôle, celui de « président en fonction » d’un pays qui a un autre président qui contrôle le territoire et les armes.

Guaidó, qui a déjà été reconnu comme président par intérim par une cinquantaine de pays, est le plus grand défi auquel ait été confronté le chavisme en 20 ans de pouvoir. Et c’est un fait politique d’une énorme importance au Venezuela, où jusqu’à il y a quelques mois, Maduro semblait contrôler totalement la situation alors que l’opposition apparaissait plus affaiblie et divisée que jamais.

Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que le facteur Guaidó et la non-reconnaissance du second mandat de Maduro par plusieurs pays a fait pencher la balance en faveur de l’opposition.

Mais nombreux sont les alliés et conseillers de Guaidó qui s’inquiètent de quatre décisions du président du Parlement qui pourraient s’avérer contre-productives à long terme.

Même certains leaders de l’opposition, dont deux ont été consultés, parlent de « quatre erreurs stratégiques » qu’il faudrait rectifier autant que possible pour qu’elles ne se révèlent pas contre-productives à terme.

La première erreur a été l’auto-proclamation de Guaidó en tant que président par intérim au cours d’un acte sur une place publique, au lieu d’une investiture devant l’Assemblée nationale. Dans les milieux diplomatiques circule l’explication selon laquelle Guaidó n’a pas prêté serment devant le Parlement faute d’accord entre les partis d’opposition qui dominent le pouvoir législatif. Face aux divisions, il a préféré doubler ses propres alliés politiques sur la place publique.
Ce fait, qui a d’abord été relégué au second plan après l’avalanche de soutien international en faveur du chef de l’opposition, peut contribuer à remettre en question la validité juridique de sa proclamation en tant que président intérimaire. Certains conseillers du chef de l’opposition insistent pour « officialiser » sa « présidence intérimaire » en prêtant serment officiellement devant l’Assemblée nationale.

La deuxième « erreur stratégique » selon un secteur de l’opposition est sa proximité avec l’administration du président américain Donald Trump, dont le racisme, les préjugés de classe et les politiques anti-immigrés touchent des millions de Latino-américains dans ce pays, notamment les Mexicains et les Centraméricains.
Guaidó a suivi au pied de la lettre un scénario écrit par des « faucons » belliqueux, comme Elliott Abrams et John Bolton [respectivement envoyé spécial pour le Venezuela et conseiller à la Sécurité nationale de l’administration Trump, ndlr]. On entrevoit que chacun ses mouvements se fait sous la houlette de fonctionnaires ultra-conservateurs aux douteux mérites pour s’ériger en défenseurs de la démocratie continentale, comme le vice-président, Mike Pence, et le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. L’épouse de Juan Guaidó, Fabiana Rosales, a d’ailleurs déclaré que les États-Unis « ont été les garants de tout cela ».
Cela saute aux yeux dans chacune des mesures prises par le chef de l’opposition, qui a déjà été averti des coûts que sa synchronisation évidente avec Washington et les collaborateurs de Donald Trump peut engendrer. D’autant plus que le conseiller à la Sécurité nationale du président américain, John Bolton, a davantage parlé de l’intérêt de son pays à investir dans le secteur pétrolier vénézuélien que d’un engagement en faveur de la restauration de la démocratie et du respect des droits humains.

Une troisième erreur stratégique ou point critique pour Guaidó est qu’il s’est montré ouvert à soutenir une invasion militaire américaine du Venezuela pour renverser Maduro. La position de Guaidó est que personne ne veut d’une invasion à cause du coût social élevé qu’elle aurait, mais il est prêt à utiliser « n’importe quelle option » qui rendrait le pays gouvernable et permettrait de répondre à l’urgence humanitaire et d’organiser des élections libres. C’est un pari très risqué pour un homme politique se disant « président en fonction » d’un pays dont la majorité rejette une invasion étrangère.

Et la quatrième « erreur stratégique » attribuée à Guaidó par certains de ses alliés est l’instrumentalisation politique qu’il a fait de la question de l’aide humanitaire au Venezuela, toujours en totale harmonie avec l’administration Trump.

Le lendemain de sa proclamation comme « président en fonction », le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé un don de 20 millions de dollars d’aide humanitaire au Venezuela. M. Guaidó a immédiatement déclaré que cette aide était sa première réalisation en tant que président par intérim. Et depuis lors, il s’est évertué à présenter cette aide aux Vénézuéliens comme le fruit de son travail. Maduro a déclaré qu’il interdirait l’entrée de cette aide dans le pays parce qu’il la considère que c’est le début d’une invasion militaire. Il a même ordonné que des conteneurs soient placés à travers les routes qui traversent la frontière avec la Colombie [sur le pont Tienditas, ndlr] pour empêcher les envois de nourriture et de médicaments qui ont été amassés en Colombie.

Guaidó a affirmé que c’était l’occasion pour les Forces armées de « se ranger du côté du Venezuela » et de permettre l’entrée de marchandises qui atténuerait l’urgence sociale dans le pays. Le président autoproclamé avait même fixé au 23 février la date d’entrée de cette aide humanitaire.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les Nations Unies (ONU) ont critiqué la politisation de cette aide humanitaire et indiqué qu’ils ne participeraient pas à sa distribution tant qu’il n’y aurait pas un accord entre les parties, c’est-à-dire entre Guaidó et Maduro. Le chef de l’opposition aurait pu laisser la gestion de l’aide internationale entre les mains du CICR et de l’ONU, bien que dans le passé, le gouvernement de Maduro ait empêché ces organisations d’entrer au Venezuela avec une aide humanitaire. Selon le discours officiel, il n’y a pas d’urgence sociale dans le pays.

En fait, l’aide internationale fait désormais partie de la confrontation politique. Guaidó veut que dans un pays où la faim et les décès dus au manque de nourriture et de médicaments sont monnaie courante, les dirigeants militaires finissent par désobéir à Maduro et laissent passer ces fournitures. Si cela s’était produit, Guaidó aurait ouvert la voie à sa reconnaissance comme « président en fonction » par au moins une partie du haut commandement militaire et certaines des « erreurs stratégiques » qui lui sont attribuées auraient été considérées comme des réussites. Quant à sa proximité avec Trump, elle continuera de peser sur lui dans tous les scénarios. (Article publié par Barril.info, le 1er mars 2019; traduction F.L., Barril.info. Rafael Croda est journaliste)

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