Nicaragua. Les scénarios qui se dégagent

Le nombre d’assassinats, selon les lieux, en date du 10 juillet
(Source: CDIH)

Par Oscar-René Vargas

1.- Le gouvernement Ortega-Murillo suit un scénario de type Pinochet (morts, blessés, prisonniers politiques, disparus, bandes semant la mort, etc.), quel qu’en soit le coût. Cela signifie plus de morts, de prisonniers, de blessés et l’effondrement de l’économie ainsi que l’augmentation de la pauvreté comme du chômage. Ortega agit pour son maintien au pouvoir et met en pratique cette formule de Tomás Borge [1]: «Quoi que vous fassiez, l’important est de ne pas perdre le pouvoir.»

Ortega a parfaitement saisi l’impossibilité de revenir en arrière. Il a donc décidé de risquer le tout pour le tout: en réprimant. De plus, il prend en compte son isolement politique international.

Dans la logique d’Ortega-Murillo, ils ne participeront pas au «dialogue national» et ne négocieront pas, car ils jugent qu’ils sont en train de gagner. Ils ont démantelé les barrages; ils ont éliminé de nombreux dirigeants de ces barrages; la population est terrorisée. Il n’y a pas de pression internationale effective, à l’exception de certaines déclarations et résolutions de l’OEA, de l’Union européenne, des Etats-Unis et de certains présidents latino-américains. Pour eux, ce type de prises de position ne les heurtent pas, ne les intimident pas. Il poursuivra sa stratégie: réprimer, assassiner, violenter la population.

Pour Ortega-Murillo, ce n’est qu’une question de temps avant que la crise sociopolitique soit maîtrisée. En d’autres termes, le binôme juge que les forces gouvernementales sont en mesure de détruire les barrages (tranques), parce qu’elles disposent de la puissance militaire. Mais, elles ne pourront pas gouverner.

2.- Le deuxième scénario est celui d’un «atterrissage en douceur». Jusqu’au 30 mai, tous les secteurs visaient cette solution et c’était l’option des Etats-Unis et de l’OEA, des évêques et du grand capital (représenté par le COSEP: Consejo Superior de la Empresa Privada, qui est membre de l’Alianza Cívica por la Justicia y la Democracia).

Suite au massacre qui a eu lieu le jour de la fête des mères (30 mai), tout a changé. Les gens ont commencé à exiger le départ immédiat du gouvernement Ortega-Murillo. Il y avait dès lors deux options: rester au gouvernement jusqu’à la date d’élections [officiellement prévues pour 2021; ou une proposition, jamais entérinée, d’élections anticipées en mars 2019]; se retirer et rester dans le pays avec des garanties. Le gouvernement devait être assumé par un gouvernement de transition. Ortega n’était pas d’accord parce qu’il ne croyait pas aux garanties. En 1990, il y avait une autre corrélation de forces. Maintenant, il a perdu une importante base sociale et les conditions internationales sont différentes. Il n’a donc aucune confiance dans cette proposition. Elle n’est pas acceptable pour lui.

3.- Le troisième scénario: un gouvernement de transition restait encore possible après le 30 mai 2018, mais l’indécision politique était forte et propre au type de soulèvement civique «décentralisé». De plus, Ortega et Murillo considéraient (et considèrent) comme un piège le deuxième scénario et veulent éviter à tout prix le troisième scénario. Ils décident d’augmenter la répression.

Le gouvernement Ortega-Murillo comptait sur le déclin du mouvement social et conjointement de pouvoir ainsi former son armée de paramilitaires, avec d’anciens militaires, des troupes liées au ministère de l’Intérieur, d’anciens maires et des membres des Jeunesses sandinistes. Avec cette force (une «armée irrégulière»), il vise à mettre en œuvre le premier scénario.

Le gouvernement Ortega-Murillo n’a PAS gagné la bataille, même s’il a réussi à contrôler, à mon avis temporairement, les principaux barrages (Monimbó, Matagalpa, Sébaco, Sutiaba, etc.), l’isolement international est plus grand, la crise économique commence à faire des ravages et la protestation socio-politique continue.

Le défi pour le mouvement socio-politique est de changer sa stratégie pour que la résistance puisse dépasser le blocage auquel elle fait face en raison de la répression tous azimuts.

Il s’agit de poursuivre à l’échelle nationale les marches sociales (comme le 12 juillet et le 14 juillet), les grèves et les piquets doivent être maintenus. Constituer une alternative politique, une sorte de conseil, composé de personnes qui doivent clairement affirmer que son caractère est transitoire. Etant donné l’isolement international du gouvernement Ortega-Murillo, il est donc temps de former un gouvernement de transition pour isoler davantage le gouvernement, stimuler le mouvement social et donner l’espoir à la population que nous pouvons arriver au bout du tunnel.

A quels dilemmes doit faire face Ortega. A quel moment devrait-il quitter le pouvoir? Partir en maintenant une crédibilité pour s’inscrire dans l’histoire, il ne peut le faire. Il va devoir le faire quand il aura perdu toute crédibilité, toute confiance. L’histoire ne lui pardonnera pas et il portera la marque d’un dictateur semblable à Somoza ou Pinochet. (Managua, 19 juillet 2018; traduction A l’Encontre)

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[1] Tomás Borge (1930-2012), en 1961, a été avec Carlos Fonseca le fondateur du Front de libération sandiniste (FSLN). Il fut arrêté en 1976 par la dictature de Somoza, terriblement torturé. Il sera libéré en 1978 suite à une initiative du FSLN. Il occupera le poste de ministre de l’Intérieur de 1979 à 1990. Auteur de nombreux ouvrages. (Réd. A l’Encontre)

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