Nicaragua. Le gouvernement face aux divers fronts ouverts

Rassemblement de soutien aux médecins licenciés, le 4 août à Managua

Analyse du correspondant
au Nicaragua

1.- La résolution de l’OEA (Organisation des Etats américains) du 2 août 2018 (voir point 7) est une défaite politique pour Ortega sur la scène internationale. Toutefois, il a décidé de chercher à en finir avec le «front intérieur» par la répression. C’est son objectif principal. Sa tactique immédiate se concentre sur la situation intérieure, bien qu’il engage quelques initiatives au niveau international (entretiens avec différentes chaînes de télévision internationale, dont Fox News [sic], Telesur [Venezuela-Maduro], RT [Russie-Poutine].

Nous devons nous demander quel effet cela peut avoir sur les sentiments des gens qui considèrent que toute défaite politique internationale d’Ortega-Murillo contribue à la lutte politique interne. En ce sens, la résolution de l’OEA est préjudiciable à la stratégie d’Ortega de vaincre la protestation sociale interne.

2.- L’indignation de la population ne tiédit pas. Par conséquent, la détérioration de la situation économique va se poursuivre. L’économie devient – à court, moyen et long terme – le talon d’Achille du gouvernement. En supposant qu’il réussisse à désarmer le mouvement social, l’économie restera son problème interne central. Il ne pourra pas le résoudre sans négociations internes et externes.

3.- Aussi bien les «erreurs» du gouvernement – répression des médecins, attaques contre les évêques accusés d’être des acteurs d’un coup d’Etat, répression généralisée – que les défaites politiques subies au niveau international contribuent à empêcher que le reflux social temporaire devienne permanent. La preuve en est la poursuite des manifestations dans différentes régions du pays: les mobilisations à El Tule [où était censé passer le canal transocéanique, ce qui avait déclenché de fortes mobilisations des paysans], Managua, Masaya, León; les marches à la mine El Limón [à quelque 100 km au nord-est de la capitale]; les piquets étudiants à Managua et León, les appels à des protestations à Nueva Segovia [département du même nom], etc.

4.- Pour le gouvernement, le fait qu’il n’y a pas de barrages routiers est un succès. En outre, le binôme [Ortega-Murillo] au pouvoir est conscient – sous un angle opposé, certes, au même titre que nous – que le manque de leadership politique du mouvement social est un avantage puisque de nombreuses activités sont menées sans objectif politique stratégique à moyen terme.

5.- A l’échelle internationale, le gouvernement cherche à concrétiser certaines initiatives. Par exemple, il pense qu’avec Vinicio Cerezo, secrétaire général du SICA (Secrétaire à l’intégration de l’Amérique centrale), il peut obtenir que le Guatemala change son vote par rapport au vote précédent [en faveur de la résolution de l’OEA, puis abstention; et Ortega a cherché, y compris, de faire de Cerezo un médiateur, sans succès]. La même chose s’est produite avec El Salvador. Nous devons être conscients qu’il existe une alliance entre Cerezo et Ortega, une alliance qui a fonctionné dans les années 80 du XXe siècle avec les Accords d’Esquipulas [du nom de la localité sise au Guatemala] qui ont permis d’éviter un financement américain plus important pour les Contras. Ortega a maintenu cette relation de manière privilégiée avec Cerezo. Ortega mise aussi sur l’influence du Venezuela et de Cuba sur des pays de la Caraïbe. Ortega, pensait que, avec 20 ou 21 votes, «l’alliance internationale» contre le gouvernement ne gagnerait pas suffisamment de votes pour obtenir l’application la Charte démocratique; en effet, pour cela 26 votes sont nécessaires, sur les 34 pays qui composent l’OEA. Ce qui constituerait, aux yeux d’Ortega, un succès relatif.

6.- Cependant, pour les Etats-Unis, la résolution peut servir de cadre à des mesures unilatérales contre le gouvernement Ortega-Murillo. Il est clair que le gouvernement Ortega-Murillo est devenu problématique en Amérique centrale étant donné des effets directs et indirects: le ralentissement économique de la région pourrait causer plus de chômage, plus de pauvreté et une poussée migratoire accentuée en direction des Etats-Unis.

7.- Le Conseil permanent de l’OEA, le jeudi 2 août, a approuvé la création d’une Commission spéciale de suivi sur le Nicaragua. La motion a été soutenue par 20 pays sur 34 membres. La mission de la Commission consisterait à contribuer à des solutions pacifiques et durables pour le Nicaragua. En même temps, cette Commission spéciale devrait contribuer au processus de dialogue national, qui est actuellement bloqué en raison du manque de volonté de l’exécutif et du rejet du rôle de médiateur des instances de l’Eglise catholique. La session s’est déroulée face à la protestation du Nicaragua et de ses trois alliés (Venezuela, Bolivie et Saint-Vincent-et-les Grenadines).

Humberto Ortega (frère de Daniel Ortega) insiste sur le désarmement des paramilitaires

L’objectif du pouvoir reste d’éviter les sanctions unilatérales, de gagner du temps et, entre-temps, de poursuivre l’objectif de destruction du mouvement social avec plus de répression, plus de persécutions et plus de prisonniers.

8.- Les rapports finaux sur les droits de l’homme des Nations Unies, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), les enquêtes du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIIE) n’ont pas encore été produits. Ils devraient indiquer les responsabilités spécifiques pour les décès des 448 personnes, les milliers de blessés, les centaines de disparus et le nombre de prisonniers politiques sans procès transparents qui ont été condamnés lors de procès secrets et express.

Nous ne devons pas perdre de vue un élément: nous sommes dans une phase qui – pour établir une analogie, avec les limites des analogies historiques – ressemble à celle de la terreur développée par l’AAA en Argentine avant le coup d’Etat de 1976. Cela reste au centre de la stratégie du gouvernement.

9.- Pour le gouvernement Ortega-Murillo, il est très difficile de mener à bien un combat sur autant de fronts ouverts sur la scène internationale. Or, le Nicaragua n’a pas encore approuvé un programme de financement pour les cinq prochaines années (2018-2022) avec la Banque interaméricaine de développement (BID). Les gouvernements membres de l’OEA sont actionnaires de cette organisation multilatérale, ainsi que de la Banque mondiale (BM). L’OEA analyse la possibilité de bloquer l’accès du Nicaragua au financement par l’intermédiaire de la BID et de la Banque mondiale.

Jusqu’en mai 2018, la BID était le plus grand créancier du Nicaragua, endetté envers elle à hauteur de 1976,1 millions de dollars, soit 51 % du total des prêts des organisations multilatérales. Viennent ensuite la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) avec 764,9 millions de dollars et la Banque mondiale (BM) avec 613,7 millions de dollars. Ce front s’ajoute aux autres. C’est dans ce contexte d’ensemble qu’il faut examiner la résolution de l’OEA. (Managua, 2-3 août 2018; traduction et édition A l’Encontre)

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