Nicaragua. «La recherche de l’unité dans la Concertation bleue et blanche»

Mónica López Baltonado lors de l’entretien dans l’émission
Esta Noche, fille de Mónica Baltonado et de Julio López, active dans l’AMS, au même titre que Léa Guido

Entretien avec
Mónica López Baltodano

L’Articulation des mouvements sociaux (AMS) et les organisations de la société civile ont récemment présenté une proposition visant à former une Concertation nationale bleue et blanche (Concertación Nacional Azul y Blanco). Ce serait un espace dans lequel pourraient se rassembler toutes les forces organisées qui «sont convaincues que la lutte est civique et non-violente». Son objectif premier est de discuter des initiatives à prendre pour contraindre le gouvernement de Daniel Ortega et Rosario Murillo à quitter le pouvoir.

Mónica López Baltodano, avocate et membre de l’AMS, a expliqué dans un entretien lors de l’émission de télévision Esta Noche (27 septembre 2018), que depuis un mois et demi l’AMS discute, de manière non publique, avec des représentants paysans, des écologistes, des défenseurs des droits humains, des dirigeants de divers départements du pays, des représentants des peuples autochtones et d’origine africaine, et d’autres collectifs, sur la façon de contribuer à la construction d’une jonction entre plusieurs des protagonistes qui, pour l’essentiel, ont surgi suite à l’insurrection civile du 18 avril.

«Il y a l’Alliance Civique, l’AMS, le Mouvement du 19 avril (étudiants universitaires) présents dans différentes parties du pays. De nouvelles structures, à caractère professionnel, apparaissent telles que l’Unité Médicale, composée de médecins licenciés [pour avoir soigné des manifestants, sans exclure des blessés du «camp gouvernemental»]. Nous avons besoin, en ce moment, après cinq mois, que ces différentes forces se coordonnent et que les actions soient concertées», explique Mónica López Baltodano.

L’avocate a déclaré que la Concertación Nacional Azul y Blanco est, en tant que telle, une reconnaissance de la pluralité et de la diversité, des origines différentes qui sont le propre de chacune des organisations. Le document récemment rendu public n’est pas un effort intellectuel ou académique. Selon Monica López Baltodano, ce document cherche à donner une expression aux revendications de la population, dont les objectifs prioritaires se concentrent sur le départ du régime Ortega-Murillo dans les plus brefs délais, l’arrêt de la répression et la construction d’une force qui permettra d’avancer vers une nouvelle phase qui marquerait l’ouverture d’un processus de démocratisation au Nicaragua.

Mónica López Baltodano a souligné que l’une des caractéristiques de cette initiative réside dans la pluralité des participants. Toutefois, les conditions de cette d’insurrection civique, telle qu’elle a été vécue [sa «dispersion», sa non-coordination], a été une faiblesse dont le régime a profité pour réprimer avec violence la rébellion, car bien que la population soit prête à marquer une rupture avec cette dictature, il n’y existe ni cohésion ni organisation.

«Dès lors, nous sommes en train d’essayer de renforcer les processus organisationnels au plan territorial et nous croyons que le temps est venu pour beaucoup d’autres courants de s’unir. Et, je tiens à le dire très clairement: nous sommes ouverts à toutes les tendances anti-dictatoriales qui existent dans le pays, de la manière la plus démocratique possible, afin que nous nous rencontrions et que nous construisions ensemble une stratégie qui puisse donner une nouvelle impulsion à la lutte bleue et blanche; cela toujours dans le cadre de la lutte civile, pacifique, non-violente, qui est un des piliers essentiels de cette insurrection. Et afin que nous puissions discuter les projets politiques qui nous permettent de fixer un horizon pour le pays», a souligné Mónica López Baltodano.

L’avocate a insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de la construction d’un sujet politique pour rompre avec la dictature, mais aussi de la formation d’une entité qui puisse extirper les racines du régime dictatorial, c’est-à-dire recomposer toutes les institutions de l’Etat, afin d’ouvrir un processus de démocratisation au Nicaragua qui permettra, à terme, au travers de processus électoraux, de donner une voix aux différentes options politiques.

«Mais en ce moment, ce dont nous avons besoin, comme le disent les gens lors des marches [1] et dans les rues: soit nous combattons ensemble, soit nous nous faisons avoir séparément, et nous devons nous battre ensemble et construire cette unité.»

Une seule ligne de démarcation

Jusqu’à présent, selon Mónica López Baltodano, les plus grandes «confluences» se sont traduites dans le contexte des mouvements sociaux et au sein de la société civile. Mais la proposition de Concertación Nacional Azul y Blanco est d’être ouverte à la participation de différents courants politiques, pour autant qu’ils ne collaborent avec le régime ou qu’ils ne situent pas dans le cadre des forces qui ont soutenu le terrorisme d’Etat de ce régime.

«Les camarades importants et les dirigeants du mouvement auto-convoqué de la côte atlantique nous ont dit. “Tu sais ce qu’est une ligne?” C’est celle qui nous délimite des partis participant aux élections régionales. Ce sont des collaborateurs du régime et non les alliés du bleu et du blanc. Pour nous, il y a une distinction claire à faire face à certaines directions partisanes qui ont pactisé avec le régime, qui ont été à la base de onze années de dictature. Notre base réside dans toutes les forces qui se disent libérales, conservatrices; elle réside aussi dans les personnes qui viennent du sandinisme et qui se sont toutes réunies dans la rue; nous devons avoir la maturité politique afin de converger dans un espace politique commun.»

L’avocate affirme qu’au sein de l’AMS, s’exprime un sentiment d’urgence pour le lancement officiel de la Concertación, car existe une conscience forte qu’il y a un grand nombre de prisonniers politiques et qu’ils sont soumis à la torture; ils doivent être libérés. Il est également clair que la prolongation de cette crise peut coûter nombre de vies humaines.

Mónica López Baltodano déclare «qu’il n’est pas possible de prévoir si la Concertación sera une sorte d’Union Nationale d’Opposition (UNO), à laquelle Daniel Ortega s’est affronté dans le passé» [l’UNO était alliance de partis qui s’est constituée en 1989 pour l’échéance présidentielle de 1990, en présentant la candidature de Violetta Chamorro; alliance avec laquelle, par ailleurs, D. Ortega a négocié]. «En effet, dans cette phase doit être mis en place un processus de confiance mutuelle et de respect.»

«L’angle d’approche adéquat pour aborder cette question a été proposé par Carlos Fernando Chamorro» [militant sandiniste, ancien directeur du quotidien sandiniste Barricada; il fut écarté de cette responsabilité en 1994;en 1996 il lance l’hebdomadaire Confidencial, et en 2006 deux programmes TV intitulés Esta semana et Esta Noche].

Mónica López Baltodano poursuit: «Il est encore possible de construire une solution politique avant 2021 [échéance formelle du mandat d’Ortega-Murrilo]. Cela dans la mesure où l’unité est atteinte par l’action de trois forces fondamentales. La force politique de mobilisation sociale de l’Alliance Civique et de l’Articulation des Mouvements Sociaux; le ressort économique et la pression de secteurs du patronat; et la prise de distance d’une fraction importante du Front sandiniste par rapport à la famille Ortega-Murillo, c’est-à-dire les employés du secteur public et des membres de la bureaucratie d’Etat. C’est en prenant appui sur ces trois piliers que peut se dégager le potentiel pour sortir de ce régime.»

Elle a insisté sur le fait que la proposition de la Concertación Nacional Azul y Blanco vise à intégrer cette dynamique de pluralisme. Pour que se constitue un espace légitime, il faut assurer la participation des acteurs qui disposent d’une reconnaissance publique. Autrement dit: l’Alianza civica, l’AMS, des chambres du commerce, des syndicats ou des figures socioprofessionnelles. De plus, ces dernières se doivent de disposer de leaderships départementaux dans l’ensemble du pays.

«Nous devons parier sur le fait que nous allons sortir de la dictature par des processus démocratiques qui incluent et n’excluent pas. L’’esprit de la Concertación Nacional est d’unir. Parfois, il est difficile de se situer dans le panorama complexe actuel. Il existe un certain sentiment de désespoir, parce que cinq mois se sont écoulés et que nous n’avons pas écarté le régime. Néanmoins, au cours de ces cinq mois, nous avons compris qu’Ortega n’a aucun avenir, l’avenir est du côté du bleu et blanc», conclut Mónica López Baltodano. (Résumé de l’entretien télévisé et publié dans Confidencial, en date du 27 septembre 2018; traduction A l’Encontre)

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[1] La répression et la «surveillance policière» serrée, les délations organisées, les menaces, les arrestations en nombre, l’exil marquent une phase de récupération du régime, certes dans un contexte de crise économique accentuée et d’isolement au plan «géopolitique». Toutefois, les marches continuent et seul le déploiement agressif des forces policières bloque leur développement, mais ne peut les arrêter. La peur existe, mais ne paralyse pas, d’autant plus que la revendication de libération des prisonniers politiques s’affirme avec détermination. (Réd. A l’Encontre)

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Mónica López Baltodano, sur la photo, est la fille de Julio Lopez et deMónica Baltodano. C’est elle qui est interviewée. Julio Lopez était responsable des relations extérieures du FSLN. Il a fait une partie de ses études en Suisse.Mónica Baltodano est sa compagne. Nous rappelons ci-dessous sa biographie.  Elle a adhéré au Front sandiniste en 1972 à Léon. En 1974, elle en charge d’une activité clandestine. Elle fut arrêtée en 1977, emprisonnée et torturée durant neuf mois. Par la suite, elle fut active à Managua et participa à l’offensive de 1979. En tant que «Commandante de la révolution», elle a été par la suite responsable des Organisations de masse. De 1982 à 1990 à la tête d’un ministère, elle se consacre à la décentralisation régionale et au renforcement de municipalités. En 1994, elle est élue à la direction nationale du FSLN. Par la suite, elle fut exclue des organes de direction à cause de ses critiques. Elle a pris ses distances avec l’«ortéguisme» en 2005, en dénonçant les traits autoritaires du fonctionnement du FSLN. Elle s’intègre alors à la direction du Movimiento por el Rescate del Sandinismo. (Réd. A l’Encontre)

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