Nicaragua. Appel de l’Association des mères d’avril (AMA)

Le président nicaraguayen Daniel Ortega a porté un nouveau coup au journalisme indépendant le vendredi soir 21 décembre 2018. Sa police a attaqué et occupé les locaux de la chaîne de télévision 100% Noticias, à Managua. Elle a arrêté son directeur, Miguel Mora, son épouse, également journaliste, Verónica Chávez, et la directrice, Lucía Pineda Ubau. Verónica Chávez a été libérée aux premières heures du samedi 23 décembre, heure locale; mais Mora a été transféré devant les «tribunaux» de la capitale: Managua. Quelques heures plus tard, il a été inculpé formellement pour des crimes liés au «terrorisme» et à «l’incitation à la haine». Les journalistes de cette chaîne d’informations ont raconté comment la police du régime est entrée par la force dans les studios. Quelques minutes plus tôt, la transmission avait été annulée par Telcor, l’organisme de régulation des télécommunications, également contrôlé par Ortega.

100% Noticias subit la même intervention de la dictature Ortega-Murillo que Confidencial et Esta Semana – site et aussi émissions très écoutées – deux médias animés par Carlos Fernando Chamorro, ancien responsable du quotidien du FSLN après 1979: Barricada.

Le gouvernement dictatorial Ortega-Murillo mène une politique répressive sélective face à tous les opposants et opposantes, liquide les médias indépendants et expulse du pays toutes les organisations de défense des droits humains. Les dénégations forcenées des rapports établis par les différents organismes de défense des droits humains sonnent, a contrario, comme une forme d’aveu. Ce qui n’étonnera aucun lecteur qui a «consommé», depuis des décennies, ce genre de fariboles. Quant à la propagande sur la «normalisation de la situation», elle ne peut que susciter plus qu’une interrogation: la dépression qui frappe l’économie du Nicaragua est attribuée par tous les observateurs à une autre forme de «normalisation»: l’imposition d’un pouvoir qui repose sur la répression, le contrôle des fonctionnaires et une armée qui reste dans l’attente.

Nous publions, ci-dessous, l’appel lancé le 21 décembre 2018 par l’organisation AMA: l’Association des mères d’avril. Pour rappel la mobilisation populaire contre le régime a commencé entre le 16 et 18 avril 2018. (Réd. A l’Encontre)

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Nous demandons à la société nicaraguayenne et à la communauté internationale de ne pas nous laisser seules et qu’elles nous accompagnent autour de l’exigence de Justice, de Vérité et de Réparation Intégrale.

Nous, membres de l’ASSOCIATION MÈRES D’AVRIL, «AMA», composée de l’union des mères et des parents des personnes assassinées par la répression de l’Etat au Nicaragua – que ces assassinats résultent d’une action ou d’un manque de soins et soient rapport avec la crise sociale en cours depuis le 18 avril 2018, plus connue sous le nom de Révolution civique – nous nous prononçons de la sorte sur le rapport final émis par le GIEI [Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) – organisme expulsé du Nicaragua, suite à sa démonstration très documentée de la responsabilité du régime dans les atteintes massives aux droits humains].

Nous soutenons absolument ledit rapport car il est catégorique, objectif et exact quant aux faits qui se sont déroulés entre le 18 avril et le 30 mai 2018. Nous soutenons également ses recommandations, en particulier la promotion de la proposition d’un plan de Réparation Intégrale qui définit l’obligation de l’Etat du Nicaragua de résoudre les problèmes engendrés par les violations des droits humains ainsi qu’en ce qui concerne les principes pour le combat nécessaire contre l’impunité; ces principes sont ceux de la vérité, de la justice et de la réparation intégrale, l’intégration des garanties de la non-répétition [d’actes semblables] ainsi que la préservation de la mémoire collective.

Nous considérons que parmi les constats les plus importants et démontrés du rapport figure l’information selon laquelle l’État du Nicaragua a adopté une conduite qui, selon le droit international, relève de crime de lèse-humanité, en particulier: assassinats, privation de liberté et persécutions. Le rapport a démontré la collusion entre diverses structures de l’État, la police nationale, les mairies et des groupes de choc, lesquels ont agi de manière coordonnée pour assassiner nos parents.

Nous réitérons le constat que l’impunité prévaut en ce qui concerne les cas faisant l’objet d’enquêtes. Des 109 personnes tuées enregistrées entre le 18 avril et le 30 mai, 100 ne font pas l’objet d’une enquête judiciaire. Seuls 6 cas sont examinés par la justice et il s’agit de victimes qui entretenaient des liens avec le gouvernement, pour tous les autres cas prévaut l’impunité, l’accès à la justice nous est refusé par le Ministère public, le pouvoir judiciaire lesquels sont une pièce de plus dans le mécanisme de la violation de nos droits humains.

 Nous demandons

  • Que les membres de l’Organisation des États Américains (OEA) exercent une pression visant à étendre le mandat du GIEI afin que les assassinats de juin, juillet, août et jusqu’à aujourd’hui fassent l’objet d’une même enquête. Au cours de cette période, le nombre d’assassinat a atteint 325 personnes. Ladite «opération nettoyage» doit faire l’objet d’une attention particulière. Au cours de celle-ci des éléments paramilitaires armés en collaboration avec la police nationale ont démantelés par une force meurtrière les tranques et barricades.
  • Nous approuvons la recommandation adressée aux États membres du système régional de l’OEA et international de l’ONU, afin d’éviter l’impunité des crimes de lèse humanité, et que soient mises en place les enquêtes afin de juger les responsables des crimes dans le cadre de la juridiction universelle et en conformité avec la législation intérieure.
  • Nous partageons la nécessité d’une enquête visant à établir la responsabilité dans ces faits du président de la nation, Daniel Ortega en tant que chef suprême de la police nationale, de ceux qui en furent les directeurs généraux (Aminta Granera et Francisco Díaz), les sous-directeurs Ramón Avellán et Adolfo Marenco, les autorités départementales, les commissaires Sergio Gutiérrez, Fernando Borge et Juan Valle Valle du département de surveillance et patrouille, le chef de la DOEP (Direction des opérations spéciales policières), Justo Pastor Urbina ainsi que les chefs des unités spécialisées appartenant à la DOEP, parmi d’autres fonctionnaires.
  • Nous soutenons la demande urgente de la création d’un ministère public spécial, dont les membres seront dûment choisis pour leurs qualités personnelles et professionnelles ainsi qu’en vertu de la reconnaissance de leur autonomie et indépendance dont ils jouissent afin de rétablir la confiance et la crédibilité du ministère public et garantir aux victimes, à nous autres leurs parents ainsi qu’à la société dans son ensemble qu’une enquête rapide, indépendante et impartiale sur les faits violents survenus depuis le 18 avril.
  • Nous exigeons du gouvernement qu’il ratifie le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ceci afin de garantir que les délits de lèse humanité ne restent pas impunis et comme garantie de la non-répétition de tels actes; de même, le gouvernement se doit d’accepter la compétence de la Cour pénale internationale sur les crimes de lèse humanité commis depuis le 18 avril 2018, conformément à ce qui établis à l’article 12, alinéa 3.
  • Nous demandons à la société nicaraguayenne et à la communauté internationale de NE PAS nous laisser seules et qu’ils nous accompagnent dans l’exigence de Justice, Vérité et Réparation Intégrale.

ASSOCIATION DES MÈRES D’AVRIL AMA
AMA LA VERDAD
AMA LA JUSTICIA
AMA Y NO OLVIDA
Managua, Nicaragua, 21 décembre 2018

(Traduction A l’Encontre)

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