La rupture présage des problèmes accrus

Maradona et Chavez lors de l'annonce de "rupture" des relations avec la Colombie d'Uribe

Par Humberto Marquez

La rupture des relations diplomatiques entre la Colombie et le Venezuela, décidée le jeudi 22 juillet 2010 par le président vénézuélien Hugo Chavez, laisse présager une escalade qui, sans doute, pourrait prendre fin selon les décisions que va prendre le nouveau président colombien, Juan Manuel Santos [ex-ministre de la Défense], élu le 20 juin 2010.

«Aujourd’hui est un jour amer pour les peuples des deux pays, qui sont perdants avec la rupture des relations. Et le premier perdant est Santos», a déclaré à IPS Carlos Romero, professeur d’études postgrades en relations internationales de l’Université centrale du Venezuela.

A son avis, «la relation bilatérale va être marquée par une grande tension et Santos devra faire des efforts, peut-être même sacrifier certaines choses, afin de chercher à la rétablir. Pendant ce temps, dans le vide ainsi créé vont se multiplier les problèmes de sécurité aux frontières, de commerce et de transit des personnes entre les deux pays.»

De son côté, Adolfo Salgueiro, lui aussi professeur d’études internationales, estime que les événements qui ont conduit à la rupture ont été concertés entre Santos et le président colombien en exercice, Alvaro Uribe, afin que le nouveau titulaire réélabore à partir du 7 août 2010 les termes d’un rétablissement des relations.

La rupture a été annoncée par Chavez immédiatement après la clôture à Washington du Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) qui a vu la Colombie dénoncer la présence à l’ouest du Venezuela de camps des deux guérillas de Colombie.

Selon Bogota, se réfugient au Venezuela des commandants des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et de l’ENL (Armée nationale de libération), deux groupes armés qui, en tant que tels, luttent depuis 1964.

L’ambassadeur colombien à l’OEA, Luis Hoyos, a montré des photographies de prétendus camps ou refuges comptant jusqu’à 1500 combattants pour ce qui est des FARC.

«Par dignité, nous ne pouvons que rompre totalement les relations diplomatiques avec notre sœur la Colombie et cela fait pleurer mon cœur», a déclaré Chavez.

Le président Chavez a annoncé sa décision à la porte du Palais du gouvernement à Caracas, alors qu’il attendait la visite de la vedette du football argentin, entraîneur de l’équipe d’Argentine, Diego Maradona [ce dernier se trouvait aux côtés de Chavez lors de la déclaration publique du président].

Chavez a placé l’armée en état d’alerte parce qu’«Uribe est un mafioso capable de n’importe quoi», comme par exemple, «ordonner de construire un campement simulé, pour ensuite l’attaquer, le bombarder et attaquer le Venezuela».

Hoyos a demandé la collaboration du Venezuela pour démanteler les prétendus campements guérilléros et qu’une commission internationale vérifie ses dénonciations dans les 30 jours.

Mais son rapport a été dénoncé comme un «montage» et «une souris accouchée par une montagne», selon les termes de son homologue vénézuélien Roy Chaderton [ambassadeur du Venezuela aux Etats-Unis depuis avril 2009 et représentant ce pays auprès de l’OEA depuis la même date]. A Caracas, le même discours a été tenu par le ministre des Affaires étrangères Nicolas Maduro et la présidente de l’Assemblée nationale législative, Cilia Flores.

Le professeur Carlos Romero explique : «Uribe a tendu un piège à Chavez en annonçant haut et fort qu’il allait publier des preuves qui n’en étaient pas. Le président vénézuélien pouvait répliquer avec froideur en attendant que se clarifie l’inconnue du nouveau président Santos ou par une rupture pour souligner la fermeté de sa position, ce qui s’est produit finalement.»

L’ancien ministre vénézuélien des Affaires étrangères [mars 1985-janvier 1988] Simon Alberto Consalvi considère, lui, que la rupture «fut une réaction erronée, parce que c’est justement quand il y a une crise que les relations et le dialogue sont le plus nécessaires, alors que maintenant il faudra l’intervention de tiers».

Les analystes sont d’accord pour «se refuser à considérer, ni même à imaginer» que le climat actuel dégénère en incidents qui conduisent à un affrontement armé.

Les Etats-Unis déplorent la rupture, de même que le président uruguayen José Mujica qui a proposé ses bons offices comme médiateur, tandis que Hugo Chavez dit avoir reçu des appels de son homologue brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et de Nestor Kirchner, ex-président de l’Argentine et secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR).

Nicolas Maduro a demandé une réunion urgente du Conseil politique de l’UNASUR, qui réunit les ministres des Affaires étrangères des douze pays membres, «afin de dénoncer cette agression de la Colombie contre le Venezuela».

Dans l’Etat de Tachira, au sud-ouest du Venezuela, qui fait frontière avec la Colombie, le président de la fédération patronale régionale, José Rozo, a aussi déploré «ces mesures politiques qui créent des tensions dans la zone frontalière, avec ses nombreuses et diverses activités».

Depuis que les relations politiques et le commerce bilatéral se sont effondrés entre les deux pays, il y a une année, quand Chavez a dénoncé comme une agression la cession par la Colombie de sept bases militaires à l’armée des Etats-Unis, l’Etat de Tachira a perdu 25’000 emplois tandis que 35’000 disparaissaient dans le département colombien voisin, Norte de Santander.

Le commerce bilatéral, qui avait dépassé les 7 milliards de dollars annuels, s’est réduit rn 2009 à 1,2 milliard. L’ancien président colombien du Parti libéral Ernesto Samper (1994-1998) a déploré que «les commerçants et les habitants de la frontière sont ceux qui soufrent le plus de ces décisions des présidents des deux pays».

Les cabinets d’Uribe et de Santos n’ont pas encore réagi à la décision vénézuélienne. Seul le vice-président élu, Angelino Garzon, a déclaré : «Nous utiliserons tous les moyens pour améliorer les relations avec toute la région, y compris avec le Venezuela.»

Cependant, Hugo Chavez a laissé ouverte une fenêtre que Santos pourrait utiliser : «Dieu veuille que le nouveau gouvernement de la Colombie se remplisse d’esprit latino-américain et comprenne qu’ici nous pouvons faire cohabiter des gouvernements de droite et de gauche. Espérons que le 7 août nous puissions recommencer un processus de rapprochement.» [Les prochaines élections parlementaires se tiendront au Venezuela le 26 septembre 2010 ; 167 députés à l’Assemblée nationale devront être élus.]

* Humberto Marquez a écrit cet article de Caracas le 22 juillet 2010 pour l’agence de presse Inter Press Service (IPS).

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