Colombie. Les FARC atterrissent en politique

Signature de l'accord au Théâtre Colon, à Bogota, par Santos et Timochenko
Signature de l’accord au Théâtre Colon, à Bogota, par Santos et Timochenko

Cela ne sera pas facile, mais c’est un point de non-retour. Les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) font déjà partie de la politique. Ils y ont atterri la dernière semaine de novembre lorsque, pour la première fois de l’histoire, le secrétariat de cette organisation, dans son ensemble, est arrivé à Bogota. Ils ont abandonné les t-shirts et les jeans qu’ils ont portés pendant quatre ans à La Havane. Les voilà guindés et tout propres avec leurs chemises, blazer et parfois même une cravate. En dépit des multiples incertitudes et difficultés qui planent sur le proche avenir de l’accord de paix, ils s’estiment heureux. Comme s’ils s’étaient libérés d’un poids. On sent qu’ils veulent cheminer dans les rues, saluer les gens, faire partie de cette société.

Jeudi [24 novembre], lorsqu’enfin a été signé le nouvel accord au Théâtre Colomb, Timoleón Jiménez [connu aussi sous le nom de Timochenko, il est le commandant en chef des FARC], qui devra se réhabituer à son nom de baptême, Rodrigo Londoño, était enthousiaste. Portant un costume bleu impeccable, la barbe parfaitement rasée, il a lu un discours bien plus délimité et rempli d’allusions politiques que celui qu’il avait prononcé à Carthagène lors de la signature de premier accord. Le premier message politique qu’il a fait entendre fut la salutation aimable qu’il a adressée au futur président des Etats-Unis, récemment élu, Donald Trump. Le deuxième, la branche d’olivier qu’il a offerte à ses adversaires «visibles». Le troisième, la «cerise» qui couronne son discours: l’idée selon laquelle il est nécessaire de mettre sur pied un gouvernement de transition auquel les FARC entendent participer.

Immédiatement, on a commencé à spéculer. Timochenko se porte-t-il candidat à la présidence? Les FARC participeront-ils au gouvernement de Santos? Ou souhaitent-elles seulement prendre les devants, invoquant une grande coalition pour les élections [législatives et présidentielles] de mars 2018? Quoi qu’il en soit, les FARC ont fait habillement usage de leurs cartes politiques et en ayant un œil sur l’avenir.

Le thème qui s’est révélé le plus difficile lors des négociations à La Havane, le plus lourd pour l’uribisme [allusion à Álvaro Uribe Vélez, président de la Colombie entre 2002 et 2010, figure de proue de l’opposition contre le référendum visant à sanctionner l’accord de paix, en octobre] et qui constituait en même temps un point d’honneur pour la guérilla, a été celui de l’éligibilité. C’est le seul point qui n’a pas été renégocié, le seul qui n’a pas été modifié. Il était intouchable. Il est clair, autant dans l’ancien accord [signé le 26 septembre à La Havane, mais qui a échoué lors du référendum du 2 octobre] que dans le nouveau, que rien n’empêche les chefs des FARC à se présenter à des élections ou à être nommés, bien qu’ils soient l’objet de sentences pour crimes graves. Toutefois, et c’est ce qui est surprenant, il est presque certain qu’ils ne se présenteront pas à des élections sur le court terme et qu’ils ne seront pas nommés à un quelconque poste, du moins au sein de l’actuel gouvernement. Ils ont, en vertu de l’accord, le droit de le faire, mais il est peu probable qu’ils l’exercent. En entrant en politique, ceci démontre qu’ils pensent sérieusement sur le long terme.

Afin de comprendre quel est leur pari, il est nécessaire de revenir à la dixième conférence [des FARC] qui s’est tenue à la fin du mois de septembre dans les plaines du Yarí. A cette occasion, les «insurgés» ont défini trois scénarios pour les batailles à venir. Le premier: disposer d’une meilleure image parmi l’opinion publique, en particulier auprès des classes moyennes et urbaines. Conscients que de nombreux secteurs les rejettent, les dirigeants des FARC ont commencé à changer d’image, de langage et d’esthétique, ce qui a porté des résultats appréciables.

Ce changement implique qu’ils comprennent qu’ils doivent demander pardon pour les crimes qui ont été commis, cela rapidement et de manière unilatérale. Ce n’est pas pour rien que Timochenko a mentionné ce terme lors de toutes ces interventions publiques. Cet objectif correspondait au ton conciliateur qu’ils ont utilisé au milieu des limbes provoqués par la victoire du Non lors du référendum, ce qui les avait renvoyés dans le pire des mondes.

Ce changement commence à porter ses fruits. Lors du dernier sondage Invamer-Gallup, les opinions favorables [aux FARC] sont passées de 6 à 18 points. Le terrain de leurs relations politiques et sociales, en outre, a commencé à s’étendre. Bien que le sénateur Armando Benedetti [membre du Parti social de l’unité nationale ] a été atteint par une vague de colère sur les réseaux sociaux pour s’être pris en selfie avec Timochenko au Théâtre Colomb le jour de la signature du nouvel accord, ce fait montre que pour de nombreux secteurs une photo avec les FARC n’est déjà plus un motif de honte. Plus encore, la guérilla a célébré la signature du nouvel accord par un cocktail au Club de Ejecutivos [club créé par des entrepreneurs et inauguré en 1963] au cœur de Bogota.

Le deuxième scénario définit par la dixième conférence portait sur la mise en œuvre des accords. On peut dire qu’après la signature du nouvel accord, cette bataille est reformulée dans la mesure où désormais les FARC ne participeront pas, à proprement parler, à sa mise en œuvre, mais à peine au suivi et à la vérification de ce processus.

En outre, dans la mesure où c’est le Congrès qui approuvera les accords [ce qui fut fait le 29 novembre par le Sénat –75 voix contre 0 – et par la Chambre le 30 novembre – par 130 voix contre 0, ce qui s’explique par la non-participation au vote du parti de l’ex-président Alvaro Uribe et d’autres opposants], la réalité fait que le pays devra mettre en place le nouvel accord au milieu d’une grande bipolarisation et d’une campagne électorale agressive.

Au cœur de celle-ci, l’uribisme a déjà annoncé qu’il tentera de faire aboutir un référendum contre les accords. Cela signifie que la mise en application des accords sera une véritable bataille politique. Les FARC ont déjà averti qu’ils sont venus pour faire œuvre de pédagogie ce qui, quelles que soient les nuances du terme, signifie inévitablement faire de la politique. Il convient de se rappeler que le président a annoncé que le jour J de la remise des armes est celui de l’approbation des accords, en théorie la semaine prochaine. Ensuite, un délai de 180 jours devra permettre le rassemblement et le désarmement [remise de leurs armes à une instance de l’ONU]. Durant cette période, 60 dirigeants des FARC disposent de la liberté de se déplacer dans tout le pays pour faire de la «pédagogie», plus de dix par zone dite de transition. Ce qui veut dire que la semaine prochaine, la politique débute sérieusement pour les FARC.

Le troisième scénario, le plus important, la conférence des FARC a défini comment elle entendait établir une unité des secteurs nécessaires à un programme de réconciliation. En français, cela signifie un vaste programme de coalitions politiques pour 2018 qui garantisse que celui qui accédera à la présidence respecte et développe les accords de paix. Les FARC sont réalistes. Ils savent qu’ils doivent habituer à leur présence au sein de la vie politique avant de se mesurer dans des élections. Il est possible qu’aucun membre du secrétariat n’occupe, en tout cas en 2018, les dix sièges qui sont leur sont assignés par l’accord. Il est tout aussi peu probable que Timochenko se porte candidat aux élections présidentielles. Ainsi qu’il l’a lui-même déclaré par le passé à Semana, il n’envisage pas non plus de réaliser une alliance de gauche pour se présenter avec pour objectif un gain important au Congrès. Il mise plutôt en faveur d’un sancocho national [soupe combinant différents ingrédients, tels que légumes et viandes] ainsi que l’avait proposé à l’époque le fondateur du M-19, Jaime Bateman [le M-19 est issu d’un mouvement de guérilla qui a déposé les armes et qui s’était lancé en politique au début des années 1990].

Un gouvernement de transition signifie que les FARC sont convaincus que la durabilité des accords de paix dépend de la victoire d’un président favorable à ceux-ci lors des prochaines élections ainsi que d’un Congrès qui, dans sa majorité, les soutiennent. Comme chacun le sait, le plus facile d’un accord de paix est sa signature. Les difficultés viennent de la mise en œuvre et elle sera particulièrement ardue en raison de la forte opposition.

Alors même que pour de nombreux secteurs il est scandaleux que les FARC évoquent la possibilité de faire partie d’un gouvernement de transition, il ne s’agit que de la première répercussion d’une réalité évidente: une fois qu’ils auront déposé les armes, ils participeront aux élections, avec leurs propres candidats ou en alliance avec d’autres partis.

L’expérience internationale a montré, en outre, que la viabilité d’un accord de paix dépend de ce que les parties qui le signent peuvent agir conjointement dans les premières années qui succèdent au conflit. Il s’agit là d’un message de réconciliation plus puissant que de passer de la table de négociations à l’opposition acharnée.

L’Irlande est un bon exemple. Le vice-président, Martin McGuiness, est un ancien militant de l’IRA. En Colombie, cela n’est pas non plus un phénomène exotique. Suite aux négociations avec le M-19, le président César Gaviria a nommé Antonio Navarro comme ministre de la santé – qui s’est en outre porté candidat quelques jours seulement après la signature de la paix avec le gouvernement – et un groupe important de ce groupe guérillero assuma très vite des responsabilités diplomatiques.

Il se peut que cette fois-ci on aboutisse pas à un tel résultat, car le président Santos a déclaré samedi 12 novembre, lorsqu’il a annoncé le nouvel accord de paix, qu’il ne nommera aucun membre des FARC dans son gouvernement. Cela peut, bien entendu, changer dans les prochaines années, selon comment se développe la prochaine bataille électorale.

Enfin, Timochenko n’a rien dit de plus de ce qu’un grand nombre de membres du gouvernement et des partis pensent: afin de faire face à l’assaut d’Uribe, avec son artillerie bien chargée par le résultat du référendum, il sera nécessaire de constituer un front très large dont le drapeau sera la défense des accords de paix. Pour 2018, les FARC n’existeront déjà plus comme guérilla et seront un parti politique. Il n’y aura pas de raison pour qu’elles ne fassent pas partie de cette grande coalition dont ils sont, pour l’instant, les seuls à mentionner l’existence. Une coalition qui sans aucun doute ira du centre vers la gauche et à laquelle participera des personnes comme Humberto de la Calle [membre du Parti libéral et chef de l’équipe gouvernemental de négociation pour la paix, dès 2012], Sergio Fajardo [du parti Vert, a animé la Commision pour la paix dans le département d’Antioquia], Claudia López [sénatrice, membre du parti Vert], Clara López [ministre du Travail dans le gouvernement Santos et membre du Pôle démocratique] et Iván Cepeda [sénateur, Pôle démocratique, vice-président de la Commission pour la Paix du sénat]. (Article publié le 26 novembre 2016 par la publication colombienne Semana. Traduction A l’Encontre)

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