Chili: le gouvernement ment en faveur du profit

Par José Ancalao

José Ancalao

Nous publions ci-dessous un article de José Ancalao, porte-parole de la Fédération mapuche des étudiants, FEMAE (Federacion mapuche de estudiantes) et membre du conseil exécutif de la Confech (Federacion de estudiantes Universidad de Chile).  Ce texte éclaire une dimension peu souvent mise en relief dans le cadre de la mobilisation étudiante au Chili, celle de la revendication spécifique des étudiants mapuches. (Rédaction)

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Il était une fois un général romain qui a décidé d’apporter la paix aux provinces rebelles en massacrant tous leurs citoyens. Même ses compères romains en avaient été choqués, et l’un d’entre eux a écrit: «Que signifie le fait de créer la dévastation et l’appeler la paix

Les événements actuels au Chili nous montrent un gouvernement qui crée la dévastation: il frappe, il tue des enfants et il appelle cela «maintenir la paix». Il les laisse mourir pour permettre à son économie de vivre, et dans le cas présent, pour maintenir le profit dans l’éducation.

Les pauvres devraient être admis dans les universités étatiques. Il est immoral pour un gouvernement démocratique de bloquer l’entrée à l’université pour des raisons économiques. Cela s’appelle ségrégation économique, et dans notre cas également raciale. Sous prétexte que les 17 millions de Chiliens ne peuvent pas payer les frais d’éducation qui profitent aux 3000 personnes les plus riches du Chili, ils veulent continuer à punir le pays. Mais Monsieur le Ministre de l’Education, sachez que depuis de nombreuses années, nous, les plus pauvres, payons en fait l’éducation des plus riches. En effet, nous vous rappelons que nous payons plus d’impôts que n’importe laquelle de vos entreprises.

Ici nous finançons depuis des années le profit des plus riches millionnaires et les maisons qu’ils ont en territoire mapuche. Il n’est pas tolérable qu’un petit groupe s’approprie tout ce que produit le pays. Mon père est ouvrier forestier. Plus il travaille, plus il est malade. Par contre les entreprises forestières s’enrichissent de plus en plus. Pouvez-vous prétendre le contraire?

Il n’est pas possible à un pauvre de recevoir une éducation gratuite dans une université publique qui est pourtant financée par des impôts payés par tous les Chiliens. Sachez, Monsieur l’avocat qui porte plainte que l’éducation n’est pas gratuite. Elle a toujours été payée par nos impôts. Le problème c’est que vous en profitez doublement.

Vous prétendez qu’on ne peut laisser entrer cette majorité de pauvres à l’université. Vous estimez sans doute que ce serait un gaspillage d’argent de laisser une majorité changer ce qu’elle est condamnée à être. Que cela risquerait de rétrécir l’univers de l’exploitation.

Est-ce pour cela qu’il vous paraît impossible que nous recevions une éducation adéquate?

Le pire c’est qu’à défaut de trouver des arguments pour soutenir leur refus ils veulent faire croire au Chili que ce sont les «encapuchados» (encagoulés) qui sont le problème de l’éducation. C’est aussi malin que de dire que s’il y a un problème de pauvreté c’est à cause des pauvres. On va devoir expliquer au pouvoir exécutif que ce ne sont pas les pauvres qui créent la pauvreté, que celle-ci est la conséquence d’actions commises par l’Etat qui a encouragé l’enrichissement de quelques-uns au détriment de la majorité des pauvres. Pour le cas où il l’ignorerait, l’on naît pauvre, on n’a pas le choix de le devenir ou non.

On devra leur expliquer que le problème du profit dans l’éducation n’est pas la faute des étudiants. Nous sommes les victimes d’un système mal ficelé qui bénéficie à un petit groupe pour lequel tout le reste de la population doit se sacrifier.

Mais pour tenter résoudre le problème ils promeuvent une loi qui criminalise la protestation sociale pacifique, comme si le fait de manifester son mécontentement était un délit. Selon notre gouvernement, nous devrions dire «Oui Monsieur» à chaque illumination de sa divine providence. Nous serions ainsi très appréciés et pacifiques. Or nous vous rappelons que c’est en s’appuyant sur l’argumentation légale de Kelsen que Hitler a pu tuer légalement des centaines de milliers de Juifs. Cette loi était légale mais immorale et injuste. Maintenant ils veulent utiliser le même type d’argument que les partisans de Hitler. Je trouve qu’au moins le ministre de l’Intérieur [d’origine juive] devrait s’y opposer.

Ce qui est immoral et injuste ne devrait pas devenir une loi. Je serais le premier à prôner l’obéissance à des lois justes. Il ne s’agit pas d’avoir un simple cadre juridique. On a aussi la responsabilité morale de s’opposer à des lois injustes. En fait cette loi injuste est l’arrêté d’un groupe minoritaire qui ne compte sur l’appui que de 20% des citoyens [les sondages et un référendum informel indiquent que 80% de la population du Chili est en faveur de la revendication du mouvement étudiant pour une éduction gratuite et de qualité]. Cette minorité a le pouvoir d’obliger la majorité de la population à obéir alors qu’elle n’exerce pas le pouvoir en sa faveur, tant s’en faut. C’est ainsi que l’on légalise l’injustice.

Ces jours [fin octobre], divers médias m’ont qualifié de dur, d’ultra. Je suis accusé d’être un extrémiste pour avoir commis le péché d’être un dirigeant mapuche et un étudiant. C’est ce que décrète notre gouvernement. Et je leur demande: le libérateur du Chili n’a-t-il pas été un extrémiste de la liberté? Jésus n’a-t-il pas été un extrémiste de l’amour du prochain? Mon cher juriste et président, comme l’a dit Thomas Jefferson: «Nous soutenons que ces vérités sont évidentes et se suffisent à elles-mêmes, que tous les hommes ont été créés égaux.»

Nous avons besoin des mêmes possibilités que celles dont vous bénéficiez. Peu m’importe d’être traité d’extrémiste. D’ailleurs, quel genre d’extrémistes serions-nous? Qui se montre réellement intransigeant dans cette histoire? Ce n’est pas nous qui, comme ces extrémistes de la haine, tirent contre des jeunes et des enfants, punissent les manifestations justes et s’imposent par la force du pouvoir politique et économique en utilisant l’Etat de droit!

La question sensée que vous pourriez poser est celle de savoir si la négociation ne serait pas une meilleure voie. Vous auriez raison, la négociation serait la meilleure voie. C’est la raison pour laquelle nous avons fait pression et manifesté pour négocier. Mais nous n’avons encore rien reçu. Alors, qui sont les violents et les intransigeants? Qui sont les durs? (Traduction A l’Encontre)

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José Ancalao donne deux conférences en Suisse, à Genève et Fribourg, les 22 et 23 novembre.

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