Dossier Brésil. Bolsonaro: un gouvernement militaire ou paramilitaire? Ainsi que la place du fondamentalisme

Le général Walter Souza Braga Netto et Jair Bolsonaro

Par André Freire

A une époque où il est de plus en plus difficile pour Bolsonaro de cacher les relations étroites de sa famille et son projet politique d’extrême droite avec d’anciens policiers qui font partie – et même dirigent – les milices de Rio de Janeiro, nous avons assisté à la forte possibilité de l’ascension d’un autre général au premier niveau de gouvernement, maintenant à la Maison civile [poste équivalent à celui de premier ministre], possibilité qui s’est confirmée par la nomination annoncée le jeudi 13 février sur Twitter par Bolsonaro du général Walter Souza Braga Netto].

La mort le 9 février d’Adriano da Nóbrega, supposé chef d’une ancienne milice, dans une action conjointe de la police militaire de Bahia et de Rio de Janeiro, a fait apparaître une fois de plus les relations étroites de Flávio Bolsonaro, fils de l’actuel président, et de Jair Bolsonaro lui-même, avec ce criminel bien connu, sorte de chef d’une organisation de «tueurs à gages». De cette même milice, connue sous le nom de «bureau du crime», est également membre l’ancien policier et milicien connu Ronnie Lessa, qui est en prison pour avoir été responsable des coups de feu qui ont brutalement exécuté le 14 mars 2018 la conseillère Marielle Franco (PSOL de Rio) et son chauffeur Anderson Gomes.

La question a non seulement gagné en importance dans une partie de la grande presse, mais elle a également été abordée par la Chambre des représentants. Le député fédéral Marcelo Freixo (PSOL, Rio de Janeiro), qui a présidé la CPI (Commission parlementaire d’enquête) à l’Assemblée législative de Rio de Janeiro, a fait un discours fort à la tribune de la Chambre démontrant pleinement les relations de la famille Bolsonaro avec ce crime organisé infâme.

Le même jour, Glauber Braga, également député fédéral du PSOL (Rio), a interrogé avec véhémence Sérgio Moro, ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro, lors d’une audition publique, sur la véritable protection blindée qu’il a instaurée afin d’éviter d’enquêter sur les relations de la famille Bolsonaro avec les milices. La commission a terminé ses travaux après que des parlementaires liés au bolsonarisme, et des partisans du ministre, ont quitté une fois de plus la commission pour freiner Glauber Braga.

Pendant la journée, le changement possible au sein de l’important ministère de la Maison civile a également été mis en lumière. Sans annonce officielle, il semblait presque certain que l’actuel ministre Onyx Lorenzoni (Parti démocrate, Rio Grande do Sul), un ancien homme politique de la droite traditionnelle, sera remplacé par le général Braga Netto, l’actuel chef de l’état-major général de l’armée, deuxième dans la hiérarchie militaire.

Un général à la Maison civile?

Braga Netto a récemment dirigé l’intervention fédérale et militaire dans le domaine de la sécurité publique à Rio de Janeiro, sous le gouvernement illégitime de Michel Temer (Mouvement démocratique brésilien, São Paulo), lorsque les assassinats perpétrés par les agents de sécurité ont fait un bond en avant. Il avait déjà été chef de la sécurité lors des Jeux olympiques de 2016 et attaché militaire aux Etats-Unis. Connu comme un général «dur», il est présenté comme une figure qui viendrait «discipliner» les actions du gouvernement Bolsonaro.

Outre la sidération de voir un général occuper la Maison civile d’un gouvernement fédéral, ce qui ne s’est pas produit depuis les temps sombres de la dictature, lorsque le général Golbery do Couto e Silva occupait la même position [du 15 mars 1974 au 6 août 1981], si ce changement de ministres est confirmé – ce qui est le cas –, ce fait démontre une fois de plus le renforcement de la direction des forces armées, en particulier de l’armée de terre [dont le rôle est clé pour le contrôle de la frontière amazonienne], dans la composition du gouvernement actuel.

Sur les 22 ministres, il serait le neuvième à avoir une origine directe dans le domaine militaire. Sans parler de ceux qui, à un moment de leur vie, ont déjà passé par les forces armées. Avec la nomination de Braga Netto à la Maison civile, tous les ministres de la dite «cuisine gouvernementale», présents directement à l’intérieur du Palais du Panalto [bâtiment du pouvoir exécutif à Brasilia], auraient leur origine dans une force militaire quelconque, que ce soit l’armée, la marine ou une unité de la Police militaire [1].

Si nous examinons superficiellement les deux thèmes mentionnés (la question des milices et celle de la place des militaires dans l’exécutif), il peut sembler qu’ils n’ont pas de relation. Mais en y regardant de plus près, nous verrons la démonstration évidente que face à une crise interne du gouvernement ou à des difficultés face à des questions délicates travaillant l’opinion publique, Bolsonaro a toujours recours à son origine militaire et à son alliance avec la haute sphère des forces armées, en particulier avec l’armée de terre.

Le Brésil ne vit pas une normalité démocratique. Quel est le rôle de la gauche?

Le grand poids de l’élite des forces armées dans le gouvernement actuel, hégémonisé par un projet néofasciste d’extrême droite, ne doit pas être considéré comme une normalité. Notre pays a connu, il y a un peu plus de trois décennies, la fin d’une dictature militaire qui a marqué notre histoire récente de façon profondément négative.

Plusieurs des généraux et autres militaires qui composent actuellement le gouvernement s’identifient à la défense de l’héritage autoritaire et pervers des années de plomb de la dictature et aux pires crimes de cette période. A commencer par le président Jair Bolsonaro lui-même, qui est un adorateur explicite – au même titre que le vice-président général Hamilton Mourão – du tortionnaire et criminel colonel Brilhante Ustra [responsable du Système de renseignement interne et du Centre des opérations de défense interne, de 1970 à 1974; il a été reconnu en 2008 par un tribunal civil comme tortionnaire durant la dictature, ce qui était une nouveauté].

Face à ce fait, nous ne devrions pas accorder peu d’importance aux menaces constantes des représentants des gouvernements et des milieux universitaires d’utiliser une sorte de nouvelle «AI-5» [Acte constitutionnel n° 5 décrété par la dictature militaire durant le gouvernement d’Artur da Costo e Silva le 13 décembre 1968, qui ouvre une période très dure de la dictature et qui est considéré comme «un coup au sein du coup» d’Etat de 1964] pour réprimer violemment d’éventuelles protestations populaires. Récemment dans plusieurs pays d’Amérique latine, nous avons vu ce processus lorsque sont remises en question l’application des programmes économiques néolibéraux et les attaques constantes contre les libertés démocratiques.

Les grandes entreprises et les banques, ainsi que leurs représentants politiques de l’ancienne droite, peuvent même se plaindre des exagérations autoritaires de Bolsonaro et de sa classe, mais ils soutiennent fondamentalement ce gouvernement néofasciste, en particulier pour le programme ultra-néolibéral d’attaque aux droits sociaux, de privatisations et de dénationalisation de l’économie. Un grand symbole de ce fait est le soutien enthousiaste que la FIESP (Fédération des industries de l’Etat de São Paulo) a apporté au Bolsonaro.

De la même manière, la Justice a démontré son rôle réactionnaire, en s’attaquant systématiquement aux mobilisations et aux grèves qui ont eu lieu, comme nous le voyons dans la criminalisation brutale de la grève héroïque des pétroliers [qui dure depuis 14 jours et subit des menaces de criminalisation], menée par les ministres du TST (Tribunal supérieur du travail) et du STF (Tribunal suprême fédéral).

Il appartient donc sur le fond aux travailleurs et travailleuses, aux exploité·e·s et des opprimé·e·s, de défendre non seulement les droits sociaux mais aussi les libertés démocratiques minimales.

Les secteurs de la gauche qui parient sur une nouvelle alliance politique avec le prétendu «centre politique», pour établir un front progressiste très large, se trompent, répétant de la sorte l’orientation réchauffée de conciliation de classe qui ne fait que préparer de nouvelles défaites.

La lutte s’impose maintenant. C’est une grave erreur d’attendre simplement les élections de cette année [municipales en octobre] et de 2022 [présidentielle] pour renforcer l’opposition à Bolsonaro et à ses alliés. Malgré toutes les difficultés, il n’y a pas de raccourcis: la solution est de miser sur l’organisation et la mobilisation de la majorité de la population.

En plus de soutenir les grèves et les mobilisations, Lula, le PT, la CUT et d’autres syndicats et mouvements sociaux devraient convoquer une réunion nationale de la classe ouvrière, des jeunes et des opprimés, pour armer et renforcer les luttes de résistance contre le gouvernement néofasciste: pour vaincre le gouvernement Bolsonaro dans la rue. (Article publié sur le site Esquerda Online, en date du 13 février 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

André Freire, historien et membre de la Coordination nationale du courant Resistência/PSOL

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[1] Il faut y ajouter la nomination le 14 février de l’amiral Flavio Viana Rocha au poste de Secrétaire des Affaires Stratégiques, attaché au chef de l’Etat pour les «questions internationales». En outre, selon la Folha de São Paulo, des militaires ont été placés à des postes de direction: à la Présidence du Conseil d’administration de Petrobras ou encore à la gestion du barrage stratégique d’Itaipu. Au sein même du bâtiment (Planalto) de l’exécutif opèrent: à la Sécurité Institutionnelle le général de réserve Augusto Heleno; au Secrétariat général de la Présidence le capitaine à la retraite de la Police militaire Jorge Antonio de Oliveira; au Secrétariat du Gouvernement, le général d’active Luiz Eduardo Ramos. (Réd. A l’Encontre)

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Ce que signifie la désignation d’un fondamentaliste religieux pour coordonner la Capes

Par Frederico Jorge Ferreira Costa

Nommé par le gouvernement Bolsonaro président de la Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur (Capes)

Benedito Guimarães Aguiar Neto vient d’être désigné par le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro pour présider la Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur (Capes) au sein du ministère de l’Education (MEC), sous la direction d’Abraham Weintraub [nommé ministre en avril 2019 en remplacement de Ricardo Vélez Rodríguez]. Benedito est un chrétien protestant, qui a été recteur de l’Université presbytérienne Mackenzie [à São Paulo], de 2011 à 2020. Pour rappel: en avril 2019, le Rectorat de cette université avait décidé d’interdire la participation des maisons d’édition considérées à gauche Boitempo et Contracorrente à la Foire du livre organisée par le Centre académique João Mendes Jr.

Au-delà de son caractère droitier, la direction de cette université encourage ostensiblement l’obscurantisme, et cela sous un vernis scientifique. Plusieurs symposiums internationaux ont déjà été organisés sur des sujets tels que «le darwinisme aujourd’hui» (2008, 2009, 2010 et 2012), afin de faire la propagande du créationnisme dit «scientifique» et de discréditer la théorie de l’évolution. En mai 2017, un programme de recherche du nom de Discovery-Mackenzie [qui porte un nom similaire au Discovery Institute des Etats-Unis, de la droite chrétienne conservatrice néocréationniste] sur la science, la foi et la société a été lancé. Il a pour objectif de promouvoir des études scientifiques centrées sur la «complexité irréductible et l’information» [thèse de Michael Behe selon laquelle certains systèmes biologiques sont trop complexes pour être le résultat de l’évolution de précurseurs plus simples]. Cela dans le but de rechercher des évidences qui prouveraient l’action d’un «dessein intelligent» dans l’Univers et le monde vivant. Comme son nom l’indique, ce programme peut compter sur un partenariat avec le Discovery Institute, une organisation américaine qui promeut la théorie dite du «dessein intelligent». Selon la pseudoscience du «dessein intelligent», les processus évolutifs naturels sont incapables d’expliquer la diversité biologique. Il est dès lors fait appel au concept de «complexité irréductible» pour prouver la présence d’une intelligence surnaturelle. Il est intéressant de noter que les défenseurs du «dessein intelligent» ne publient pas leurs articles dans des revues sérieuses, ne testent pas leurs hypothèses et ne font donc pas de véritable science. De fait, c’est un recyclage du créationnisme issu de l’ancien fondamentalisme chrétien protestant, généralement associé à des positions conservatrices et réactionnaires.

Tout cela est d’ailleurs typique de n’importe quel fondamentalisme religieux, qu’il soit catholique, protestant, musulman ou hindou. C’est une attitude politique antimoderne et une insensibilité à la critique par la raison.

Le fondamentalisme protestant a surgi en réaction au libéralisme (ou modernisme théologique) qui avait commencé à se développer au XIXe siècle en réponse à l’avancée des sciences et à la naissance du mouvement des salarié·e·s, avec une réflexion théologique ouverte aux sciences et aux conquêtes de la raison moderne. Selon Pedro Oro (1996, voir référence en fin de texte), des théologiens et des Eglises libéraux avaient alors établi des principes progressistes tels que: 1° l’acceptation des théories des sciences naturelles comme le darwinisme; 2° la théorie des sources ou critique biblique; 3° la prise en compte des influences des religions des peuples voisins dans les traditions du judaïsme primitif; 4° la théorie de la révélation progressive [doctrine suggérant que la vérité religieuse est révélée au cours d’évolutions temporelles et culturelles]; 5° l’acceptation du naturalisme comme explication du monde, diminuant ainsi l’espace laissé à l’interprétation surnaturelle; 6° la reconnaissance de la fausse représentation du christianisme primitif et, 7° l’acceptation de techniques et de méthodes provenant des sciences historiques, sociales et naturelles dans l’étude de la Bible et de ses manuscrits. Tous ces éléments ont eu une influence profonde sur la réflexion théologique. Dans le même contexte historique, Kautsky (2010) indique la présence de théologiens et de pasteurs dans le mouvement socialiste allemand à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

En tant qu’expression médiée de la lutte des classes, spécialement dans la société américaine, le protestantisme s’est en gros divisé en deux camps: conservateur et libéral. Les libéraux étaient plus liés à la solidarité, à l’idée d’option politique, à la primauté de l’intérêt public et à la justice sociale. De leur côté, les conservateurs méprisaient les thèmes sociopolitiques, en se centrant sur la défense de la «libre entreprise», du bien individuel et du succès économique en tant que signes de salut basés sur une morale commune privée, individuelle et familiale.

Au sein du champ conservateur, le mot «fondamentalisme» est paru en 1895 lors d’une conférence biblique à Niagara [Canada]. C’est là que furent fixés les cinq points du fondamentalisme biblique: 1° l’infaillibilité [dans le sens qu’elle ne peut induire en erreur] de l’Ecriture sainte; 2° la divinité de Jésus-Christ: 3° la virginité de Marie; 4° la théorie substitutive de la rédemption [fonction substitutive de la «mort du Christ»] et, 5° la résurrection charnelle de Jésus avec son retour à la fin des temps. Sur la base de ces principes, une littérature exégétique et théologique a commencé à se développer, dans une perspective sociopolitique conservatrice visant à combattre le sécularisme et le libéralisme.

Dans les diverses phases du développement du fondamentalisme, l’un des centres d’activité de celui-ci a été le combat incessant contre les conquêtes scientifiques de Charles Darwin et la confrontation avec tout système scientifique qui n’accepterait pas la lecture littérale de la Bible. Sont associés à cette posture antiscientifique: la défense de la famille patriarcale, de la hiérarchie sociale et du pouvoir illimité du clergé sur les communauté religieuses, l’anti-oecuménisme, les préjugés face à la diversité humaine et l’appui à des courants politiques autoritaires. Le fondamentalisme est multidénominationnel et, après la Seconde Guerre mondiale, il a été l’un des piliers de l’anticommunisme aux Etats-Unis. Selon le théologien Lima (1991), il y a eu, par exemple, une convergence entre la politique extérieure américaine et l’expansion de différents courants religieux dans le contexte de l’ascension des luttes populaires en Amérique latine.

Face à ce qui vient d’être exposé, la désignation d’un créationniste pour gérer la Capes ne doit rien au hasard. Le courant fondamentaliste chrétien protestant est une des composantes de l’amalgame sociopolitique que constitue le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro. Cette option cléricale, réactionnaire, pro-impérialiste et anticommuniste est complice des attaques contre les masses laborieuses, l’économie nationale, les femmes, les indigènes, les noirs, la jeunesse et les personnes LGBT.

Comme l’affirme le théologien Stanley Hauerwas (2018), l’une des caractéristiques de l’extrême droite est, depuis Mussolini et Hitler, l’anti-intellectualisme. L’extrême droite ne fait non seulement pas confiance à la raison et à la pensée scientifique, mais elle les hait, d’où la confluence entre le gouvernement néofasciste de Bolsonaro et le fondamentalisme pour détruire l’université publique et la pensée critique au Brésil.

Seul un front unique, avec une ample liberté de croyance et de conscience, en défense de la science, de la recherche, de la pensée critique, de l’école publique et de la démocratisation du savoir pourra mettre fin à cette barbarie néofasciste et fondamentaliste. (Article paru sur le site Esquerda Online, en date du 7 février 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Frederico Costa est professeur à l’Université d’Etat du Ceará (UECE), directeur du Syndicat des Enseignants de cette même université et coordinateur à l’Institut d’Etudes et de recherches du mouvement ouvrier (IMO).

Références bibliographiques

KAUTSKY, Karl. A origem do cristianismo. Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 2010 [Les origines du christianisme sur le site marxists.org https://www.marxists.org/francais/kautsky/works/1908/00/origines.pdf)

ORO, Pedro Ivo. O outro é o demônio: uma análise sociológica do fundamentalismo. São Paulo: Paulus, 1996.

LIMA, Délcio Monteiro de. Os demônios descem do Norte. Rio de Janeiro: Editora Francisco Alves S.A., 1991.

STANLEY, Jason. Como funciona o fascismo: a política “NÓS” e “ELES”. Porto Alegre: L&PM, 2018 [version anglaise chez Random House, septembre 2018].

 

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