Brésil. Un chômage qui atteint des niveaux catastrophiques

Henrique Meirelles et Joaquim Levy

Par Guilherme Costa Delgado

Le problème du chômage n’est pas nouveau dans l’histoire économique des XIXe et XXe siècles, pour ne rester que dans le cadre de l’ère du capitalisme industriel. Mais lorsque cette question se pose avec des caractéristiques aussi graves que celles que l’on observe dans la période actuelle au Brésil (2015-2017), cela aiguise nos inquiétudes, angoisses et préoccupations sur le «que faire» pour parvenir à inverser cette situation.

D’abord, nous devons bien admettre qu’il ne peut y avoir de guérison sans connaissance, diagnostic ou information sur la situation véritable du mal que l’on prétend soigner. Sciences médicales, traitement des maladies humaines, science économique, traitement des maux du chômage, tout cela, comme nous le verrons, prend ses racines dans «l’Illuminisme», mais aussi dans beaucoup de pratiques et «rationalités instrumentales» assez discutables du point de vue de la raison.

Je vais rapidement contextualiser la situation du chômage au Brésil dans la conjoncture actuelle, sans quoi n’importe quelle action politique allant dans le sens de résoudre ce chômage resterait incompréhensible.

Jusqu’en 2014, les indicateurs de l’emploi et du chômage de l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE) se maintenaient à des niveaux relativement favorables, même s’ils révélaient déjà une décélération économique en 2013 et 2014. L’emploi formel a encore crû au cours de l’année 2014 (selon le CAGED, le Registre général des employés et des sans-emploi, d’environ 400’000 postes), et n’a commencé à chuter qu’à partir du mois de décembre. Quant à l’année 2014, elle a connu une augmentation nette d’environ 1 million de postes.

On pratiquait alors des politiques «anti-cycliques» de faible efficacité pour la croissance économique (le PIB a crû en 2013 de 1% et de 0,1% en 2014), mais, même comme cela, ces politiques étaient relativement efficaces contre le chômage apparent, au moins en termes comparatifs, comme on le verra plus loin.

En janvier 2015, l’indicateur principal de chômage de l’IBGE (le PNAD-continua) est de 6,8% sur une population économiquement active d’environ 100 millions de personnes. Cet indicateur monte à 8,1% en mai de la même année et, depuis lors, il est en hausse de manière continue, chaque mois, atteignant 12,7% en janvier 2017, avec une prévision de croissance jusqu’à 14% d’ici à la fin de l’année.

Tous ces chiffres «froids» disent peu sur les drames personnels qu’ils cachent. Nous sommes en train de parler de 12 à 14 millions d’êtres humains «au chômage et à la recherche d’un emploi», la moitié de ces personnes ayant perdu leur poste de travail au cours de ces fatidiques années 2015 à 2017.

La période mentionnée coïncide avec des gestions économiques très semblables dans leurs conceptions idéologiques, celle du ministre Joaquim Levy [ministre des Finances du 1er janvier au 21 décembre 2015, issu de la banque Bradesco], sous le second gouvernement Dilma Rousseff, période à laquelle a commencé l’augmentation du chômage, et celle du ministre Henrique Meirelles [président de la Banque centrale choisi par Lula de 2003 à 2011, puis ministre des Finances choisi par Temer en mai 2016], sous le gouvernement Temer. Ces conceptions accélèrent la croissance du chômage et mettant en marche la déstructuration de l’«ordre social», un point qui figure pourtant dans la Constitution de 1988.

Dans les limites d’un article court, il n’est pas possible d’analyser le lien de causalité direct qu’il existe entre la politique d’ajustement budgétaire orthodoxe et la production du chômage. Il y a d’autres facteurs encore qui interviennent dans la conjoncture, comme le déclin du prix des commodities (matières premières agricoles, minerais, pétrole), l’Opération Lava Jato et l’incertitude générale liée à l’ambiance politique.

Mais ce qu’il est important de souligner, c’est que la réponse politique à cette condensation de crises, sous le format générique de coupe dans les dépenses budgétaires – à l’exception de mesures sur les rendements financiers obligataires de la dette –, exécutées sous les deux gouvernements, aggrave sensiblement le problème du chômage.

Ce que l’on peut constater dans la période 2015-2017, c’est l’inauguration et l’approfondissement d’une thérapeutique de ce qu’on peut appeler un «austéricide», un néologisme qui ne parvient pas encore à rendre tout à fait le sens d’«austérité plus suicide du système» ou d’«austérité plus homicide contre les emplois et les employés».

Les auteurs et les exécuteurs de l’«austéricide», contre toute évidence historique et théorique, croient dans le marché comme en une espèce de démiurge de l’histoire. Ils croient également, en marge de leurs discours technocratiques, en une espèce de théologie idolâtro-sacrificielle, dans le contexte de laquelle le sacrifice des plus fragiles dans la vie sociale et économique serait le châtiment nécessaire, qui au bout d’une certaine période réanimerait l’esprit animal [allusion à la formule animal spirit de John Meynard Keynes dans sa Théorie générale] des entrepreneurs. Et comme prime à cette expectative, il émergerait, tel le phénix de ses cendres, un animal-entrepreneur apte à prendre des décisions privées d’investissement, grâce auxquelles se redresserait l’économie cabossée.

Cette foi «théologique», mélange de la vieille théologie de la rétribution du Temple Judaïque et d’un soupçon de mythologie grecque, n’a rien à voir avec la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) de J.M. Keynes, qui depuis les années trente est la lecture indispensable de toute politique qui se trouve confrontée au chômage cyclique.

Dans les limites de cet article, il n’est pas non plus possible d’analyser une stratégie de politique de l’emploi, selon des normes keynésiennes, qui soit adaptable à la situation actuelle. Mais ce que l’on ne peut pas faire, à ce stade de l’histoire, c’est abandonner la thèse générale de l’auteur de la Théorie générale, qui d’une manière ou d’une autre continue d’être valide, si l’on ne dispose pas d’une politique étatique pour combattre le chômage ou générer le plein-emploi. Les marchés ne le font pas, ils approfondissent même le problème en temps de crise.

Pour contextualiser une telle orientation politique, il faudrait donc que nous sauvions et actualisions des institutions de l’Etat du welfare capables de promouvoir une demande effective et des emplois anticycliques, et que nous ne pensions jamais, comme le fait le gouvernement de Michel Temer, à détruire l’«ordre social» de la Constitution de 1988. Cela consiste à faire un pari sur la barbarie, barbarie qui doit être contenue. (Article publié dans Correio da Cidadania, en date 19 mai 2017, traduction A l’Encontre)

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Guilherme Costa Delgado est docteur en économie auprès d’UNICAMP (Université de Campinhas) et consultant après de la Commission Justice et Paix

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