Brésil. Lula déclare «Je suis libéral»

Lula prépare ses plans pour 2016, mais sa cote est à la baisse

Par Nildo Ouriques

Au cours des années 1980, lorsque quelqu’un demandait à Lula (Luiz Inácio Lula da Silva, né en 1945, Président de la République fédérative du Brésil de 2003 à 2011) s’il était de gauche ou de droite, il répondait le plus souvent avec un sonore: «Je suis ouvrier tourneur» [depuis l’âge de 14 dans une usine de la São Bernardo do Campo, au sud de São Paulo, puis comme métallurgiste]. La plupart de ses partisans souriaient comme pour dire: «le chef est très malin, il sait éluder tous les pièges que lui tend la presse bourgeoise». D’autres, plus habitués au colonialisme hypocrite qui régit le langage politique, haussaient les épaules et se réjouissaient de la boutade du président du Parti de travailleurs [PT créé formellement le 10 février 1980].

Depuis une perspective de gauche, nous le critiquions, dans une tentative – aussi sérieuse qu’inopérante – de pousser le PT vers une position radicale. Le temps n’a pas tardé à démontrer que de telles tentatives étaient, de fait, infructueuses. En utilisant l’«Articulacion», l’ancienne tendance majoritaire du PT, Lula et Zé Dirceu [1] indiquaient au sein de direction du PT que ce type d’orientation politique de gauche n’intéressait pas les travailleurs, que c’était un truc d’intellectuels.

Plus tard, lorsque cela est devenu nécessaire et matériellement intéressant, les intellectuels de São Paulo ont adhéré sans réserves à la ligne de Lula et ont démontré à quel point ils pouvaient être utiles sur le plan politique.

Marilena Chaui [2], professeur de philosophie à l’Université de São Paulo, a sans doute été celle qui est allée le plus loin lorsqu’elle affirmait de manière immodérée que Lula pouvait illuminer le monde lorsqu’il parlait. Avant elle, Marco Aurelio Garcia «définissait» le PT comme étant «post-communiste» et «post-social- démocrate». Entre l’apologie et l’indéfinition, le PT se consolidait en tant que premier parti de l’ordre dans le pays. Comme la vie l’a démontré, c’est cela qui était important.

Je sais qu’après tant d’années de règne du PT (dans l’opposition, mais surtout au gouvernement, depuis 2003), il est presque superflu de rappeler à une grande partie de l’opinion publique que les gouvernements du PT n’étaient pas à gauche. Avec lui, les banquiers, les latifundistes et les commerçants ont joui d’un gouvernement qui était organiquement en faveur de la défense de leurs intérêts.

Néanmoins il est également clair que la droite ne perd pas une occasion de coller au PT l’étiquette de «gauche», une opération usée qui convenait au système  tripartite: le système PT–social-démocrate [3] n’allait épargner aucun effort pour empêcher l’éruption du radicalisme politique que nous avons besoin de construire et qui est indispensable pour inaugurer dans le pays les grandes transformations inhérentes à la «Révolution brésilienne».

Enfin, il existe un espace politique à gauche qui peut être occupé et que le PT et d’autres forces feront tout pour qu’il ne soit pas occupé…

photosDans ce contexte, la déclaration faite par Lula lors d’un entretien avec des blogueurs la semaine dernière (publiée dans l’influent quotidien économique Valor Econômico (São Paulo, jeudi 21 janvier 2016) a une signification considérable, puisque maintenant, après de tant d’années d’évidente fidélité, Lula assume finalement le libéralisme en tant qu’étendard ou idéologie. «Je suis libéral. Dilma est beaucoup plus à gauche que moi», annonce-t-il, sans hésitation.

Ce n’est pas une surprise, mais pour tous les socialistes, communistes ou révolutionnaires c’est un soulagement. Le cynisme moderne a reçu une nouvelle contribution, mais désormais la confrontation n’est plus notre affaire mais celle des libéraux. (Traduction A l’Encontre. Article publié dans  Correio da Cidadania)

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[1] Militant étudiant dans les années 1960, actif de manière clandestine, dans diverses régions du Brésil, durant la dictature. Il se réfugia, par deux fois, à Cuba. José Dirceu fut le bras droit du président Lula et organisa, dès 2003 à 2005, le système de versement mensuel d’argent à des «élus» – scandale du mensalão – pour assurer la majorité présidentielle au parlement. Il fut condamné pénalement en 2013; puis mis en résidence surveillée par Dilma Rousseff; il est aussi impliqué dans la corruption liée à Pétrobras. (Réd. A l’Encontre)

[2] Elle est une spécialiste des dénonciations de ladite «classe moyenne» ignorante, selon elle, et quasi fasciste parce que désapprouvant la politique de Lula et surtout de Dilma. Elle a été poursuivie légalement, en 2013, car elle recevait un salaire très élevé pour des recherches et un enseignement qu’il était difficile de localiser: aussi bien les résultats de la «recherche» que la salle où elle était censée donner ses cours. (Réd. A l’Encontre, article publié dans Correio da Cidadania) 

[3] Référence au régime de domination établi entre le PT (en alliance avec le PMDB) et le PSDB, principal parti de la droite. (Réd. A l’Encontre)

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Nildo Ouriques est économiste et professeur de l’Université Fédérale de Santa Catarina.

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