Brésil. Le rôle des centrales syndicales et l’échéance du 30 juin: la grève générale

Editorial de Esquerda online

Le 20 juin, la police fédérale a indiqué dans un rapport que des indices forts s’accumulaient contre le président Michel Temer à propos des sommes reçues par le géant de l’agroalimentaire JBS. De même, le projet de réforme du travail a été rejeté dans la commission des affaires sociales du Sénat. Si Temer n’a pas été destitué, la raison essentielle réside dans la difficulté, pour les fractions de la classe dominante, de trouver un leadership alternatif.

Dans ce marasme institutionnel et politique, l’ampleur et la détermination de la grève générale fixée au 30 juin par les centrales syndicales va être un élément clé de la direction que peut prendre l’affrontement, en dernière instance, entre capital et travail, cela au moment où les conflits au sommet, inter-bourgeois, illustrent l’affaissement présent du Brésil et la fin du cycle post-1985, avec période marquée par les gouvernements du PT. L’article d’Esquerda online, site sur lequel s’expriment les membres du MAIS (Mouvement pour une alternative indépendante et socialiste), évite tout triomphalisme, pose les questions adéquates et insiste sur la construction de convergences dans la pratique pour faire échec aux contre-réformes bourgeoises et indiquer une étape en faveur d’une «sortie de crise» favorable aux masses laborieuses et non pas à une accentuation d’une affirmation d’un pouvoir bourgeois très inquiet et revanchard. (Rédaction A l’Encontre)

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Le développement de la crise politique [1] et économique au Brésil, depuis la destitution de Dilma Rousseff (août 2016), a produit tellement d’événements jusqu’à aujourd’hui qu’il semble que les jours qui passent équivalent à des années.

Nous nous affrontons à une situation bipolarisée. Les travailleurs et travailleuses manifestent une disponibilité à répondre à l’offensive de la bourgeoisie. Et cela pour deux raisons:

1- L’unité entre les syndicats et les mouvements sociaux a progressé dans l’organisation des salarié·e·s, rendant possible la mise en place de grandes manifestations et d’une grève générale, ce qui aurait un impact significatif sur la conjoncture.

2- La lutte très dure entre les différentes factions de la bourgeoisie a aggravé la crise politique a rendu difficile le formatage du gouvernement en vue de faire passer toutes les contre-réformes.

Michel Temer lutte farouchement pour sa survie

Le gouvernement Temer a été habile et a su construire préalablement les conditions pour que le TSE (Tribunal suprême électoral) l’absolve par un non-lieu, à 4 voix contre 3 [2]. Non seulement Gilmar Mendes a joué un rôle décisif, mais Michel Temer avait déjà changé deux ministres [nom donné aux juges du TSE au Brésil]. Récemment, pour se protéger et échapper à un recours en cassation, les deux ont voté en sa faveur. Le plan a fonctionné.

Par une autre manœuvre afin d’empêcher le PSDB [Parti de la social-démocratie brésilienne] de quitter le gouvernement, un chantage a été exercé contre Aécio Neves [président du PSDB, ancien gouverneur de l’Etat de Minas Gerai de 2003 à 2010, puis sénateur de cet Etat jusqu’en mai 2017, date de sa destitution pour corruption], menaçant de faire appel en cassation du premier jugement émis par le Conseil d’éthique au Sénat, qui est contrôlé par le PMDB. Chaque jour, Temer doit tuer un lion dans la lutte fractionnelle qui se développe au sein même de la bourgeoisie. Mais il est impossible de savoir quand (et si) il pourra obtenir un certain contrôle de la situation.

Temer craint aussi que, en vue de l’approbation des contre-réformes, de ne pas obtenir un appui politique de la part des seigneurs du capital. Les choses ne sont pas faciles à la Chambre des députés, le projet de (contre-)réforme des retraites traîne en longueur étant donné la crise politique et Temer est conscient que cela est très mauvais. Au Sénat, Temer réussit à aller de l’avant pour ce qui a trait à la contre-réforme de loi sur le travail. Elle est déjà traitée en commission et il est prévu qu’elle doit être présentée en séance plénière du législatif à la fin juin. Il serait très important pour le gouvernement et pour le Congrès lui-même d’obtenir la confiance du capital et de tenter de désamorcer la crise politique, si Temer veut faire adopter la réforme du travail par le Sénat. Lui et son cercle travaillent dur dans ce but.

C’est la conjoncture la pire pour Temer depuis la destitution de Dilma. Et, dès lors, nous sommes face à une possibilité qui marquera (ou aura marqué) la conjoncture politique présente. Les conditions politiques sont plus favorables pour la chute de Temer au moyen de l’action du mouvement de masse, avec ses instruments propres de de lutte: la grève générale et les manifestations de rue. Mais pour cela, il est absolument crucial que s’établisse un front unique entre les centrales syndicales et qu’un agenda unifié soit conclu afin de pouvoir maintenir la continuité du mouvement, avec l’objectif de faire plus et mieux que la grève générale que nous avons conduite en avril 2017.

Temer sait que les actions unies de centrales syndicales peuvent mettre fin à son gouvernement. Dès lors, il cherche à démobiliser et briser l’unité entre les centrales, en utilisant la taxe syndicale [la cotisation syndicale est obligatoire pour tous les employés du secteur formel et équivaut à un jour de travail par an, voir note 3] comme une monnaie d’échange lors des négociations portant sur la contre-réforme du travail. Il cherche également à négocier avec la direction du PT un armistice pour que tout le monde se sauve, ce qui peut être une pression importante sur les centrales syndicales.

Deux erreurs à éviter

Face à un scénario dans lequel la popularité du gouvernement de Michel Temer se trouve à terre et où d’autres trahisons [dénonciations de corrupteurs pour réduire leur peine ou de complices politiques] peuvent abîmer encore plus son image, à quoi s’ajoute une crise économique sans issue à court terme, les syndicats n’ont pas le droit de se tromper. Toute attitude opportuniste ou ultra-gauche en ce moment peut être une erreur qui va aider la bourgeoisie à trouver une solution à la crise politique. Elle peut réussir à reprendre le contrôle pour avancer dans la destruction des droits sociaux et démocratiques. La fracture ouverte au sein du camp bourgeois [affrontement entre fractions bourgeoises] ne va durer ainsi pour une longue durée et les prochains mois seront décisifs. Le dénouement se fera en faveur des dominants ou des travailleurs et travailleuses.

Les centrales syndicales ne peuvent pas faire un pas en arrière en ce moment dans le but de garantir une négociation qui intègre la taxe syndicale. Ce serait une grave trahison opportuniste d’abandonner la lutte des travailleurs pour maintenir le financement des appareils syndicaux grâce aux ressources allouées par l’Etat [3]. Une autre trahison grave serait, en ce moment, consisterait à démobiliser les travailleurs au nom d’un accord entre le PT, le PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien) et le PSDB, pour tout ce monde soit sauvé.

C’est pourquoi la réunion entre les centrales syndicales qui a eu lieu le 14 juin a abouti à deux erreurs majeures, puisque toutes les centrales syndicales n’ont pas été présentes. En effet, la Centrale syndicale et populaire-Conlutas (Csp-Conlutas) n’a pas été invitée à cette réunion. Ce qui est négatif pour l’unité en vue d’une telle mobilisation. En outre, la réunion a créé la confusion et la méfiance dans le mouvement, ce qui a affaibli la conscience unitaire pour mener le combat. Beaucoup se sont même demandé si la grève générale du 30 juin aura lieu. Et beaucoup sont sceptiques sur les raisons pour lesquelles il y a des mobilisations pour finalement de pas faire une grève générale. Tout cela est bon seulement pour le gouvernement et non pas pour les travailleurs. Toutefois, il n’y a pas que des erreurs opportunistes, il y a aussi des erreurs de type ultra-gauche qui ont des effets de division. Ce à quoi nous devons nous opposer.

Le week-end dernier, du 9 au 11 juin, s’est réunie la coordination nationale de Csp-Conlutas. Elle a adopté une résolution importante sur la conjoncture qui insiste sur la construction prioritaire d’un agenda unitaire et sur la préparation de la grève générale du 30 juin.

Mais conjointement à cette orientation correcte, la même résolution incorpore une approche sectaire et ultra-gauche quand elle oppose la grève générale, en tant que méthode de lutte, aux mobilisations pour les élections directes immédiates [c’est-à-dire contre la nomination par le Congrès d’un remplaçant de Temer en cas de destitution], qui relèvent d’une revendication de type démocratique.

Malheureusement, la majorité des camarades de la direction de CSP-Conlutas a décidé d’ouvrir le feu contre les manifestations qui commencent à se développer dans le pays pour exiger des «Directes de suite». Cela contribue à diviser tout le mouvement qui s’affronte aujourd’hui à la présidence de Michel Temer.

Il est vrai que ce sont des manifestations qui ont des limites propres. Et dans de nombreux endroits, leur objectif consiste à soutenir le projet d’une campagne présidentielle Lula en 2018. Il est vrai aussi qu’en ce moment pas d’élections il ne s’agit pas d’exiger des élections seulement pour la présidence. Le plus cohérent est de défendre des élections générales immédiates pour la présidence et pour le Congrès (Chambre des députés et Sénat).

Mais il faut toujours se rappeler que nous ne faisons pas l’unité avec ces centrales syndicales parce que nous avons une confiance dans leur direction, ou parce que nous avons un accord total avec leurs directions. L’unité entre les centrales doit se faire parce que c’est l’unique possibilité d’obtenir la mobilisation plus grand nombre possible de travailleurs et travailleuses afin de lutter contre l’offensive brutale du gouvernement et la bourgeoisie contre des droits historiques. Malheureusement, la CUT [centrale syndicale liée au PT] et Força Sindical, entre autres centrales, ont une grande influence parmi les travailleurs et travailleuses, en particulier dans le secteur ouvrier et industriel. Il est impossible que Csp-Conlutas puisse, seule, conduire une grève générale et paralyser la production ainsi que la circulation des marchandises dans un pays aux dimensions continentales.

De même, construire l’unité du mouvement pour les «Directes» n’implique pas de faire confiance et d’avoir des accords, sur le fond, avec les diverses forces [par exemple, du PT, du PCDB, etc.] qui y participent. L’unité a un autre but pour nous. Nos objectifs résident dans la possibilité de faire une éducation populaire envers des couches plus larges de travailleurs en faveur de la grève générale et du combat contre les (contre-)réformes. Dans cette bataille, il s’agit de faire adhérer les travailleurs et travailleuses à l’idée que l’objectif n’est pas seulement les «Directes» présidentielles [contre Temer], mais qu’il est aussi nécessaire de changer le Congrès. Dans la foulée, il est important de faire émerger la nécessité de la construction d’un Front de gauche et socialiste contre les politiques de conciliation de classe.

Dans ce contexte, le rôle des centrales syndicales consiste à unifier la lutte pour la défense des droits sociaux et des revendications démocratiques, en facilitant la création d’un mouvement de masse suffisant pour offrir une issue en faveur des masses laborieuses, cela en renversant Temer, en battant en brèche ses contre-réformes et en empêcher une sortie de crise par des élections indirectes [contrôlées par l’actuel Congrès]. L’unité entre les centrales syndicales, les mouvements sociaux et les organisations politiques dans la perspective de mobiliser les travailleurs pour la grève générale et pour des manifestations de rue est notre arme dans un tel moment. (Article publié sur le site du Mais, Esquerda online, le 16 juin 2017, traduction A l’Encontre)

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[1] Le type et l’ampleur de la crise politique qui ravage le Brésil ressort de cet extrait de l’article de Claire Gatinois, publié dans Le Monde daté du 23 juin: «Embourbé dans une crise morale qui s’approfondit de jour en jour, le pays a basculé dans un quasi-ostracisme diplomatique. “Depuis sa prise de fonctions, il y a un an, quel grand chef d’Etat est venu rendre visite à Michel Temer? A part le premier ministre espagnol, lui aussi accusé de corruption, personne. En Amérique latine, en Europe, aux  Etats-Unis, on ne prête plus attention au  Brésil. Le pays est devenu un paria”, lâche Joaquim Barbosa, ancien président de la Cour suprême, qui envisage de se présenter à l’élection présidentielle de 2018 pour le parti écologiste Rede, aux côtés de Marina Silva [ancienne ministre de l’Environnement du gouvernement Lula, qui démissionna en 2008 ; elle se présenta à l’élection présidentielle de 2014 mais ne peut atteindre le second tour, bien que le sondage ait souvent présenté la possibilité d’un affrontement Dilma Rousseff contre Marina Silva].

Un propos sévère à la hauteur du dépit de l’intelligentsia brésilienne, qui se souvient avec amertume du moment de grâce du Brésil. De cette époque bénie, sous le gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), cet ancien métallo devenu une “rockstar” de la scène internationale, ami de George Bush et copain d’Hugo Chavez, suscitant l’admiration de Barack Obama. De cette nation enivrée de pétrole qui a pu rafler la direction de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), avant d’être choisie pour accueillir la Coupe du monde de football (2014) et les Jeux olympiques (2016).» (Rédaction A l’Encontre)

[2] Selon l’AFP du 10 juin 2017, Michel Temer a sauvé son mandat de justesse vendredi 9 juin. Le tribunal qui s’était penché – Durant quatre jours, à Brasilia – sur des accusations d’irrégularités dans la campagne électorale de 2014 (ticket Rousseff et Temer) lui ayant accordé un non-lieu par une étroite majorité.

Le vote dans la soirée du président du Tribunal Supérieur Electoral (TSE) Gilmar Mendes, le septième et dernier juge à s’exprimer à l’issue de quatre jours de débats marathon, a été décisif. Temer «a accueilli la décision du TSE comme un signe que les institutions continuent à assurer le bon fonctionnement de la démocratie brésilienne», selon le porte-parole de la présidence, Alexandre Parola. Temer a osé louer une «décision indépendante» du TSE.

«Il vaut mieux payer le prix d’un gouvernement mauvais et mal choisi que celui de l’instabilité du système», s’est justifié le juge Mendes. «Nous ne devons pas jouer aux apprentis-sorciers. Ceux qui veulent destituer le président ne doivent pas (…) faire du tribunal leur instrument.» Le quotidien influent de droite, O Globo, n’a pourtant pas caché son opinion, il titrait «Temer remporte la bataille, le TSE manque le coche».

Pourtant, je premier juge à voter, le rapporteur Herman Benjamin, avait eu des mots très durs pour M. Temer. «Je vote pour l’annulation du binôme présidentiel élu en 2014, en raison des abus mis en évidence dans l’enquête», avait-il dit, dénonçant avec force les financements illégaux des grandes compagnies brésiliennes lors de la campagne qui «suffisent à invalider le mandat» de M. Temer et de Mme Rousseff.

Mais même si le TSE l’a absous, M. Temer doit faire face, outre l’enquête de la Cour suprême, aux nombreuses motions de destitution et à la menace de défection de ses partenaires de majorité du PSDB. (Rédaction A l’Encontre)

[3] La «taxe syndicale» a été créée par le gouvernement de Getulio Vargas en 1940. Aujourd’hui, elle est obligatoire et est payée par tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Elle est équivalente au salaire d’un jour et est déduite au mois de mars de chaque année. Elle est également à la charge des employeurs. Elle est perçue par le gouvernement, et depuis 2008 (gouvernement Lula) est répartie entre les centrales, les fédérations syndicales de branche et les associations professionnelles. Elle est actuellement la principale source de revenu des centrales reconnues légalement. Tant la CUT que Força Sindical, constituant la majorité, reçoivent des sommes de plusieurs millions de dollars. CSP-Conlutas s’oppose à la «taxe syndicale» et rejette ce mécanisme de type corporatives accroît la dépendance des syndicats envers l’Etat. (Rédaction A l’Encontre)

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