Brésil. L’attitude irresponsable et dédaigneuse de Vale

Vale International SA, à Saint-Prex (Vaud-Suisse): un éclairage bien conçu et présentable (Site de Vale International SA, pour information)

Par Anne Vigna

C’est une nouvelle image de l’attitude du géant minier Vale qui choque le Brésil. Cette fois, il ne s’agit pas d’un torrent de boue qui recouvre les terres ou d’épouses qui hurlent leur désespoir devant le cercueil de leurs maris comme le pays en a vu beaucoup depuis la récente catastrophe minière dans le Minas Gerais, le 25 janvier dernier, qui a fait au moins 350 morts. La scène cette fois, s’est déroulée à Brasilia lors d’une audience publique sur les barrages à la Chambre des députés le 14 février.

En début de séance, Victor Hugo Fronner Bicca, directeur de l’Agence nationale des mines, demande une minute de silence en hommage aux victimes de la récente catastrophe. L’ensemble des présents se lèvent sauf Fabio Schvartsman, président de Vale, qui reste assis et se limite à baisser la tête. La photo fait rapidement le tour du pays et récolte un nombre incalculable de mentions négatives sur les réseaux sociaux. Pour beaucoup de Brésiliens, cette attitude ne fait que confirmer le dédain du groupe minier face à la douleur des victimes.

Il faut dire que depuis la catastrophe et le déversement de 13 millions de m3 de boue toxique, l’enquête judiciaire a montré que Vale savait parfaitement les risques de rupture de ce barrage et que le groupe n’a pris aucune mesure pour éviter cette catastrophe, malgré les promesses de l’entreprise après la rupture d’un autre de ses barrages en 2015 dans la même région, à Mariana avec cette fois 50 millions de m3 de boue déversés et une pollution qui a atteint près de 600 km du fleuve Rio Doce. Un document interne, que la police a découvert lors des perquisitions aux domiciles d’employés de Vale, a montré que l’entreprise savait qu’une rupture du barrage à Brumadinho engloutirait immédiatement les bâtiments administratifs de la mine, là où sont mortes la majorité des victimes. Vale n’a pourtant pris aucune mesure pour les déménager et limiter ainsi les dégâts humains.

• De même, la police a mis la main sur des e-mails échangés entre les employés de Vale et ceux de TÜV SÜD, une agence d’ingénierie d’origine allemande et auteur du dernier rapport attestant de la stabilité du barrage de Brumadinho en décembre 2018. Ces échanges montrent que les employés de TÜV SÜD avaient alerté Vale des dangers du barrage et ce depuis mai 2018. TÜV SÜD a également apporté d’autres preuves écrites de la pression exercée par Vale pour obtenir une attestation de stabilité. L’agence d’ingénierie a accédé à la demande pour ne pas perdre ce contrat tout en ajoutant 17 recommandations à mettre en place pour éviter une tragédie. Là encore, Vale n’en a pas tenu compte. Malgré tous ces éléments aujourd’hui publics, le président de Vale a réaffirmé lors de l’audience publique devant les députés que «le groupe ne pouvait être condamné pour cet accident» que d’autres comme le Mouvement des Victimes des Barrages (MAB) nomment comme un «crime».

La justice ne semble pas considérer non plus cette rupture comme un «accident». Vendredi 15 février, huit employés de Vale ont été arrêtés et le juge Rodrigo Chaves a décrété leur incarcération provisoire. Dans sa décision, le juge a assuré détenir des témoignages d’employés de Vale et de proches des victimes qui ont relaté aux policiers que l’entreprise avait été informée des risques de rupture quelques jours avant la tragédie. «Le plan d’urgence aurait dû être mis en place ce qui aurait sauvé des centaines de vies», a considéré ce juge. L’étau de la justice semble bien se refermer cette fois sur Vale, à la différence de la catastrophe de Mariana où après trois ans de procédure judiciaire, les indemnisations n’avancent pas. Le groupe a attaqué en appel toutes les décisions judiciaires et aucune amende notifiée par l’IBAMA, la police de l’environnement au Brésil, n’a encore été acquittée, malgré le fait que Mariana est aujourd’hui défini comme la «pire catastrophe environnementale de l’histoire du Brésil».

D’autres barrages

Toutefois, le danger des barrages de rejets miniers reste entier. Selon l’Agence nationale des mines, le pays détient 205 barrages de déchets miniers, la plupart construits proches de milieux urbains, il y a plus de 30 ans. C’est le cas notamment à Itabira, à trois heures de route de Brumadinho où Vale est née en 1942 et en a complètement défiguré le paysage. Le Pic du Cauê, d’une altitude de 1235 mètres, et qui cachait le soleil jusqu’à 11 heures du matin, est connu dans tout le Brésil pour être au cœur de l’œuvre du grand poète Carlos Drummond de Andrade (1902-1987), natif d’Itabira.

Cette montagne est devenue un immense cratère dont personne ne connaît la profondeur. Aujourd’hui les installations de Vale dans cette ville – quatre mines, huit barrages et un train – s’étirent sur 14 km de circonférence de tissu urbain et déposent partout une poussière fine, source d’une série de problèmes respiratoires pour ses 120 000 habitants. Amanda, une jeune maman, en rit jaune en racontant son quotidien: «Ici nous vivons couverts de paillettes, nous blaguons en disant qu’ici c’est la ville de l’éclat, parce que le minerai est partout, il y a sans arrêt de la poussière». Dans ce décor, deux «mastodontes» inquiètent particulièrement la population: les barrages d’Itabiruçu et du Pontal qui contiennent ensemble 350 millions de m3 de rejets, 25 fois le volume de Brumadinho.

Au Pontal, les premières maisons sont à 50 mètres de distance, installées sur un ancien parc de la ville où existaient des exploitations rurales et plusieurs ruisseaux. João Baptisto Carlos a toujours voulu partir de ce lieu qui était un paradis dans son enfance, assure-t-il. Mais avec les grilles du barrage devant sa porte, sa maison a perdu toute sa valeur. «Le niveau de ma maison est en dessous du mur de contention et elle se trouve à un peu plus de 50 mètres de la base. Ils peuvent dire que c’est très sûr, mais qui le garantit? J’ai très envie de partir de là, mais la valeur de ma maison a été dépréciée sur le marché à cause de ce barrage et personne ne veut vivre ici. Je ne suis pas contre l’exploitation minière, mais je suis contre la façon dont ils travaillent pour exploiter l’industrie minière, en détruisant l’environnement», explique cet ancien employé de Vale, aujourd’hui à la retraite. Dans le quartier d’Itabiruçu, les langues se délient vite pour raconter l’angoisse de vivre si proche de ce barrage.

«Vale a obtenu un nouveau permis en octobre dernier pour augmenter la «vie utile» de Itabiruçu de dix ans; on l’a appris dans la presse et depuis je dors mal car ici nous n’avons aucune information, nous ne savons pas s’il existe des sirènes et si c’est le cas, je ne sais même pas par où courir», dit une autre mère de famille. Pour le géologue Everaldo Gonçalves, attaché à l’Université de Sao Paulo (USP), cette ampliation doit être revue: «Le mur de contention sera encore relevé de 71 à 85 mètres de haut. Ce sera le plus haut du pays et ces travaux ne peuvent qu’augmenter les risques de rupture, il faut absolument l’interdire. En dessous se trouvent la prison, un bataillon de la police, l’université et la zone industrielle». Comme à Brumadinho, ce nouveau permis a été obtenu facilement par le Comité technique, en charge de les délivrer. «En deux ans et 40 réunions du Comité, je n’ai vu qu’une seule fois le refus d’un permis», confie Maria Teresa Corujo, représentante de la société civile au sein du Comité. Elle a été la seule à voter contre l’expansion du complexe minier à Brumadinho et celui d’Itabiruçu. «On ne connaît pas encore la cause de la rupture car ce barrage de Brumadinho était inactif depuis 3 ans. Certains équipements de surveillance étaient apparemment endommagés car la surveillance a un coût élevé et les entreprises minières rechignent à investir. L’autre possible cause de la rupture pourrait être un projet de Vale pour recycler le fer contenu dans ces déchets. Selon les ingénieurs, cela peut aussi endommager la structure et provoquer une catastrophe», ajoute Maria Teresa Corujo.

Saint-Prex, une architecture soignée

A Itabira, tout le monde, à commencer par le maire, ignore tout du Plan de secours en cas de rupture que Vale jure détenir. «Je leur ai demandé d’accélérer, pour le présenter dans quatre mois maximum», a affirmé l’édile lors d’une rapide conférence de presse, en réponse à l’inquiétude de la population. Ses paroles, «notre barrage de Itabiriçu est le plus sûr du pays», reproduites par toute la presse locale, n’ont pas rassuré les locaux. La préoccupation de la mairie est plutôt d’ordre économique. Vale est le principal employeur de la région et le premier contributeur au budget de la ville. Mais à quel prix? Aujourd’hui les spécialistes plaident pour un changement de la méthode d’extraction du fer utilisée par Vale: «à la différence de la méthode dite «humide» que Vale utilise, la méthode «à sec» utilise des aimants pour extraire le fer et crée moins de rejets qui sont ensuite pressés, compactés et bien plus sûrs comme dépôt», explique Bruno Milanez, professeur du département d’ingénierie de l’Université fédérale de Juiz de Fora. Une méthode considérée à tort plus onéreuse, selon le professeur Milanez car «l’ensemble des coûts d’une exploitation minière sont sous-estimés, comme la déforestation, la surveillance, ou une catastrophe par exemple». Une catastrophe qui coûte cher au Brésil et devrait aussi plomber quelque peu les comptes de Vale. (Article reçu le 18 février 2019)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*