Brésil. L’Amazonie privatisée sous la houlette des «ruralistas»

Par Claire Gatinois

Antonio Carlos Fernandes était, il y a encore quelques jours, un citoyen ordinaire parmi les quelque 200 millions de Brésiliens. Depuis le mercredi 30 août, il est devenu un héros chez les défenseurs de l’environnement. A la suite de son initiative, le juge fédéral Rolando Spanholo a suspendu le très polémique décret présidentiel signé par le Président Michel Temer et publié le 23 août autorisant l’exploitation minière privée dans la réserve amazonienne dite de Renca.

Un territoire de 46’450 km2, plus grand que le Danemark, sis entre les Etats de l’Amapa et du Para dans le nord du pays, réputé pour ses richesses en or, cuivre, fer, nickel et manganèse, où cohabitent trois réserves naturelles protégées et deux territoires indigènes. Selon le juge, l’utilisation d’un décret n’est pas appropriée pour révoquer une loi (celle qui a créé la réserve, en 1984). Le dispositif, dit-il, réclame l’aval du Congrès.

La présidence de la République a d’abord dit son intention de faire appel, avant d’annoncer dans la soirée du 31 août le gel de tout projet d’exploitation minière dans la zone et l’ouverture d’un débat sur le sujet. «Une stratégie pour démobiliser l’opinion, redoute le sénateur Randolfe Rodrigues, du parti écologiste Rede. Ce que nous voulons c’est la révocation du décret. Il n’y a pas de débat possible au sujet de la déforestation.» «La société est révoltée, le Brésil vend l’Amazonie par morceaux», soupire Nilo D’Avila, directeur de campagne au sein de l’organisation de défense de l’environnement Greenpeace au Brésil.

Caetano Veloso contre la privatisation de l’Amazonie

Le président Michel Temer, davantage réputé pour les enquêtes anticorruption qui le visent que pour sa conscience écologique, n’avait sans doute pas mesuré l’ampleur de l’indignation que susciterait son initiative. Sur les réseaux sociaux, l’action du chef de l’Etat a donné lieu à un déluge de commentaires outrés assortis du mot-clé #toutpourlamazonie, relayé par des célébrités. Parmi elles, le chanteur Caetano Veloso ou le mannequin Gisele Bundchen, très impliquée dans la préservation de l’environnement, qui a qualifié la démarche de  » «honteuse», accusant le gouvernement de «mettre aux enchères l’Amazonie».

Embarrassé, M.  Temer a supprimé le premier décret mais l’a aussitôt remplacé par un autre, publié le 28 août, d’une teneur identique, tout en assurant que l’exploitation privée ne porterait pas préjudice aux réserves naturelles protégées ni aux territoires indigènes de la Renca. «Un simple habillage», persifle Osnilda Lima, de la commission épiscopale pour l’Amazonie.

Programme de privatisations

La Réserve nationale du cuivre et associé (Renca) a été créée sous la dictature, en 1984, à l’époque motivée par le nationalisme économique du régime militaire. La réserve préservait les richesses minérales de la voracité des multinationales. Seule une compagnie publique dépendante du ministère des mines et de l’énergie était autorisée à effectuer des recherches pour l’exploitation minière.

Confronté à une crise sans précédent, avide de capitaux étrangers et complaisant avec les industriels miniers, le gouvernement de Michel Temer n’a pas hésité à inclure, dans un vaste programme de privatisations, ce pan de l’Amazonie. « L’endroit n’était pas un paradis», a alors justifié la présidence de la République, évoquant la présence de garimpeiros («prospecteurs d’or») illégaux.

«Il existe aujourd’hui près de vingt-huit pistes d’atterrissage clandestines et mille personnes pratiquant la prospection illégale, et sans décret, il est impossible d’agir dans cette zone», a ajouté le ministre des mines et de l’énergie, Fernando Cœlho Filho, au risque de mettre en évidence l’incurie de l’Etat, incapable de protéger la zone des déforestateurs.

Selon les experts de l’environnement, cette «ruée vers l’or» aurait des conséquences désastreuses. Au-delà de l’utilisation de substances toxiques polluant les eaux, tel le mercure utilisé pour extraire l’or, la présence des industries d’extraction s’accompagne d’effets pervers en cascade. En témoigne la tragédie de cette immense coulée de boue qui s’est déversée, en novembre 2015, à la suite de la rupture d’un barrage de déchets miniers dans le fleuve Rio Doce, dans l’Etat du Minas Gerais, tuant dix-neuf personnes, emportant des villages entiers et dévastant la faune et la flore [voir à ce sujet l’article sur le site A l’Encontre.org en date du 25 novembre 2015].

« Sous la pression des industriels, le contour des zones protégées pourrait être modifié. Cela a déjà été le cas, s’inquiète Bruno Milanez, professeur d’ingénierie à l’université Juiz de Fora, membre duComité de défense des territoires et expert en conflits liés à l’exploitation minière. L’arrivée d’une multitude d’ouvriers sans aucune option de loisirs à proximité des terres indigènes s’accompagne fréquemment de problèmes d’alcoolisme, d’abus sexuels… «

Le sujet est à ce point délicat qu’il a suscité des tensions au sein même du gouvernement. En juin, le ministère de l’environnement alertait sur les méfaits potentiels de ce décret, redoutant une déforestation massive, rapportait ainsi le quotidien O Globo le 30 août. De fait, 646 demandes ont déjà été déposées pour autoriser la culture dans la Renca, dont 41 dans des zones protégées et 600 sur des terres indigènes.« L’exploration minière nous préoccupe«, reconnaît Edson Duarte, secrétaire à l’articulation institutionnelle et à la citoyenneté environnementale du ministère de l’environnement. «Mais seulement 30 % du territoire était susceptible d’être exploité«, souligne-t-il.

Sans foi ni loi

Reste ce désaveu qui masque mal l’inconfort du président Michel Temer. «Un homme vendu au lobby des propriétaires terriens«, accuse Bruno Milanez. S’arrogeant le costume de l’homme providentiel capable de réformer un pays au bord du chaos lors de son arrivée au palais présidentiel en 2016, après l’impeachment de Dilma Rousseff, Michel Temer est désormais à bout de souffle. Impopulaire, suspecté de corruption, menacé par la justice, il a perdu la plupart de ses soutiens au Parlement.

Pour tenter de gouverner malgré tout, il glane les appuis parmi ce que les Brésiliens qualifient de «bas clergé», ces députés et sénateurs appartenant à des petits partis sans foi ni loi, dont les intérêts rejoignent souvent ceux de l’agronégoce, de l’industrie minière ou forestière, les «ruralistas». Cet appui se monnaye par des faveurs. Ainsi, pour échapper à une demande de mise en accusation qui aurait pu conduire à la suspension de son mandat, Michel Temer a, au début du mois d’août, ouvertement débloqué des budgets millionnaires et des amendements visant à satisfaire les «ruralistas».

Sonia Ara Mirim, 42 ans, fait partie des victimes de cette inquiétante dérive. A Sao Paulo, mercredi 30 août, cette Indienne du peuple Guarani, cacique de son village sur le territoire Jaragua dans l’Etat de São Paulo, est venue manifester contre «ce président qui méprise les indigènes». En 2015, après des années de lutte, les 700 Guarani de Jaragua, réduits à vivre sur 1,7 hectare depuis 1987, avaient obtenu l’extension de leurs terres à plus de 500 hectares.

Mais le 21 août, le ministère de la justice a annulé cette décision. «Pour satisfaire des propriétaires terriens», pense Sonia Ara Mirim. «Dilma Rousseff avait déjà une relation étroite avec l’agronégoce. Michel Temer ne fait que confirmer ce penchant, et il est encore pire», souligne Bruno Morais, avocat des Guarani [Dilma Rousseff de suite après son élection avait nommé Katia Abreu à l’Agriculture, une représentante du puissant secteur agroalimentaire, détestée des écologistes. Réd.] (Publié dans Le Monde daté des 3 et 4 septembre 2017)

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