Brésil. La contre-réforme de la prévoyance sociale de Temer

Mai 2016: Temer engage les «négociations» pour la contre-réforme de la prévoyance sociale
Mai 2016: Temer engage les «négociations» pour la contre-réforme de la prévoyance sociale

Par Valerio Arcary

La prévoyance sociale a été l’un des facteurs expliquant pourquoi, depuis 1988, la classe dominante a réussi à faire traverser le temps à un «pacte social» informel sans lequel la stabilité du régime démocratique électoral, qu’on pourrait appeler «présidentialisme de coalition», aurait peut-être été possible. Au moins, il aurait été beaucoup moins instable.

Résultant de la Constituante élue en 1986, une «sécurité» sur trois grands axes s’est formée à partir de 1988: la santé publique, l’assistance sociale et la prévoyance. Son étendue et sa dimension, elle touche plus de 31 millions de personnes, expliquent beaucoup plus sur la réduction de la misère que la Bourse Famille. Non que les sommes versées soient extraordinaires. C’est une misère. Les retraité·e·s sont un peu plus de 31 millions. En janvier (2016), la retraite dite «urbaine» se montait à 1415,81 reais [quelque 400 CHF]et la retraite dite « rurale » à 881,11 reais [quelque 264 CHF]. Maintenant la classe dominante a décidé qu’il était nécessaire de réformer ce système au prétexte qu’il coûte trop cher. Il n’est pas trop cher, mais en pourcentage il a un prix puisqu’il «nous» coûte 14% du PIB [1].

Tout indique que la première grande contre-réforme du gouvernement Temer sera l’introduction d’un âge minimum dans la prévoyance sociale. Mais le projet de réforme est beaucoup plus large, puisqu’il inclut des propositions telles que la fin de l’âge de retraite différencié pour les femmes, la fin des retraites spéciales comme celle des enseignants par exemple, l’augmentation des contributions mensuelles, la fin de la pension complète, etc. Nous nous trouvons donc face à une équation impossible dans laquelle n’y a pas d’autre solution qu’une coupe dans des droits, une réduction des rentes et une augmentation des cotisations, tout cela probablement en une fois…

Temer bénéficie de l’appui unanime de la classe dominante pour cette réforme de la prévoyance. Pourquoi? Pour des raisons tactiques et stratégiques. A court terme, parce qu’il y a une forte pression pour garantir un excédent budgétaire avant le service de la dette assurant la circulation de la dette publique sans soubresauts. A long terme, parce que l’affaissement de la prévoyance publique ouvre le chemin à la prévoyance privée qui constitue l’un des principaux produits bancaires ayant potentiellement des perspectives d’expansion.

Mais ils mettent en avant des raisons «techniques». Les arguments les plus puissants sont au nombre de deux: 1° le déficit de la prévoyance ne cesse d’augmenter parce que les rentrées seraient insuffisantes face à l’augmentation des bénéficiaires; 2° l’augmentation de l’espérance de vie diminuera le nombre des travailleurs en activité payant des cotisations par rapport aux inactifs.

Il se trouve que ce n’est pas vrai qu’il y a un déficit chronique dans la prévoyance sociale. Cela dépend de la manière dont on calcule. Le calcul du déficit de la prévoyance, par lequel nous sommes bombardés jour après jour, n’est pas correct. Le calcul considère seulement les entrées de contributions à l’INSS (Institut national de sécurité sociale). Et cette équation est une équation fausse. [2]

Le résultat d’un apparent déficit est une manipulation de chiffres. Pour deux raisons: 1° les deux premières composantes de la sécurité, la santé et l’assistance sociale, sont des droits sociaux et des services publics (comme l’éducation ou la sécurité publique) et elles ne comptent pas sur des rentrées propres puisqu’elles sont financées par les cotisations que les constituants ont créées à cette fin (les contributions sociales); 2° on ne peut pas ne pas tenir compte d’un mécanisme légal en vigueur depuis le gouvernement Cardoso [président de 1995 à 2003] – appelé DRU, pour Desvinculaçao de Receitas da Uniao – qui permet au gouvernement de ne pas affecter à la prévoyance une partie des contributions qui sont pourtant récoltées en son nom et qui sont dès lors déviées vers le paiement des intérêts aux créanciers de la dette publique.

Il n’est pas vrai non plus qu’il est possible d’anticiper, dans le cadre de marges d’erreurs plus ou moins fiables, l’évolution des variables démographiques sur les prochaines vingt années. Et encore moins sur les quarante prochaines années. Ils oublient consciencieusement que l’espérance de vie masculine est de cinq ans inférieure à celle de la femme et que l’espérance de vie de ceux qui survivent au travail manuel le plus pénible, c’est-à-dire la classe ouvrière, est encore inférieure de cinq ans. Morale de l’histoire: on travaille jusqu’à en mourir… ou à mourir quelques années après avoir pris la retraite.

L’augmentation de l’espérance de vie peut aussi stagner, parce qu’on est parti de niveaux très bas. Et on a déjà étendu fortement la distribution de médicaments bon marché contre les maladies chroniques comme l’hypertension et le diabète, responsables principaux de la mortalité précoce. La réduction du taux de fécondité des femmes peut également stagner, ou éventuellement recommencer à augmenter, selon la fluctuation de la situation économique, parce que la chute a été vertigineuse.

Cette augmentation «technique» n’a aucune solidité. D’abord, les variables ne sont pas seulement celles-là. Il faut considérer non seulement la variation du profil démographique, c’est-à-dire la réduction du taux de fertilité et l’augmentation de l’espérance de vie moyenne, mais aussi: 1° l’augmentation ou la diminution du degré de formalisation du travail dans le secteur privé, c’est-à-dire la proportion de ceux qui ont un contrat de travail (aujourd’hui ce sont 38 millions, mais ils étaient 43 millions en 2012) par rapport au « stock » de population potentiellement active (qui est aujourd’hui de 103 millions) [3]; 2°) l’augmentation ou la diminution de l’emploi dans le secteur public; 3° la variation du nombre de cotisants en fonction de l’augmentation ou de la diminution du chômage, c’est-à-dire des oscillations entre augmentation et contraction du PIB; 4° l’augmentation, réduction ou stagnation des salaires, puisque les contributions sont proportionnelles; 5° les variations dans l’augmentation de la productivité du travail.

Ce thème ne peut être compris que dans un contexte donné. Le modèle de régulation économico-sociale réalisé par les Etats sud-américains dans les dix dernières années a commencé à s’effondrer. Et pas seulement au Brésil. Entre 2004 et 2008, la croissance économique a permis la mise en oeuvre de politiques sociales focalisées et l’accumulation, inédite depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, de réserves de change substantielles. Ce processus a été interrompu, apparemment de façon irréversible, après la dévalorisation du prix des commodities.

L’économie chinoise s’est ralentie ; l’économie nord-américaine quant à elle continue de croître, mais à un taux annuel de 2,5% par année, un taux d’ailleurs actuellement à la baisse; l’économie européenne, elle, tourne à 1% de croissance annuelle environ. Et nous marchons vers une autre crise, sous forme d’une récession, qui va probablement se produire dans les prochaines années au centre du système. Les pressions sur les balances de paiement et la tendance de dévalorisation des monnaies nationales seront plus fortes, les pressions inflationnistes augmenteront et le chômage s’envolera.

Résumé des opérations: tous savent que l’introduction de l’âge minimum de départ à la retraite à 65 ans est au cœur de la proposition de réforme du gouvernement Temer. Et c’était d’ailleurs aussi la priorité du projet de réforme du gouvernement Dilma. Ce qui sera en débat est d’une cruauté affolante, l’objectif étant bien de fermer la porte aux retraites prises avant 65 ans pour ceux qui ont des emplois avec des contrats de travail en bonne et due forme. (Article publié sur le Blog Convergencia; traduction A l’Encontre)

Valério Arcaray, docteur en histoire, professeur à la retraite du Centre fédéral d’éducation technologique de São Paulo. Son dernier livre publié s’intitule O martelo da história. Ensaios sobre a urgencia da revolução contemporánea, édité par Sundermann, São Paulo, 2016.

Notes

1. La majorité des un peu plus de 31 millions de personnes actuellement à la retraite l’est pour raison d’âge! Ceux qui prennent la retraite sur le critère de 35 années de contribution sont une minorité. En réalité, la retraite pour raison d’âge est la prestation qui est touchée par le plus grand nombre de bénéficiaires: presque 80%, voire plus, que la retraite par années de contribution.

Cela signifie donc que l’âge minimal de 65 ans est déjà en vigueur. De plus, il est en vigueur depuis 1960, ce qui fait 56 ans. Et c’est ainsi parce que la majorité des salariés a travaillé une vie entière, mais sans contrat de travail, donc dans l’informalité. Ils n’ont aucun moyen pour prouver qu’ils ont cotisé à l’INSS durant 35 ans. La retraite sur le critère de l’âge pour le travailleur urbain a surgi pour la première fois dans la Loi organique de la prévision sociale (LPOS, Loi 3.807/60) sous le nom bizarre de « retraite pour raison de vieillesse ». L’unique différence entre cette loi et celle d’aujourd’hui est que la durée de cotisation exigée pour l’attribution de la rente était de cinq ans ou de 60 contributions mensuelles. Maintenant elle est de 15 ans. Consultation en mai 2016.

https://www12.senado.leg.br/publicacoes/estudos-legislativos/tipos-de-estudos/textos-para-discussao/td190

2. Des chiffres résultant du Recensement de 2010 et donnés par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) confirment que le taux de fécondité dans le pays (le nombre d’enfants par femme), qui est de 1,9 enfant, se trouve au-dessous du taux de renouvellement de la population, qui est de 2,1 enfants pour le Brésil. Le nombre d’enfants par femmes était monté jusqu’à 6,28 en 1960 pour chuter à 2,38 en 2000. Consultation en mai 2016.

http://memoria.ebc.com.br/agenciabrasil/noticia/2012-10-17/ibge-com-taxa-de-fecundidade-baixa-brasil-tende-ser-tornar-pais-de-idosos

3. Un nouveau relevé du l’IPEA (Institut d’enquête économique appliquée) indique que le pourcentage de fonctionnaires dans le total des personnes occupées ne se monte pas à 11% mais à moins de 6% si on le compare à la population totale. Selon le Communiqué de la Présidence no 19, « Emploi Public au Brésil : Comparaison internationale et évolution récente », il n’y a pas de raison d’affirmer que l’Etat brésilien est un Etat « gonflé » par un supposé excès de fonctionnaires publics. Si on compare au nombre total de salariés en emploi, le Brésil a moins de fonctionnaires que tous les autres pays du Mercosur, il se trouve derrière des pays comme les Etats Unis, l’Espagne, l’Allemagne et l’Australie et plus encore derrière le Danemark, la Finlande et la Suède. Et il ajoute : « Même aux Etats-Unis, dans l’économie capitaliste la plus importante, le poids de l’emploi public atteint le 15% des personnes occupées ». Consultation en mai 2016.

 

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