Un Argentin sur trois était pauvre à la fin 2014

pobreza_4Par Marcelo Bonelli

Au cours de l’année dernière, le nombre de pauvres a augmenté en Argentine pour atteindre presque 30% de la population. L’augmentation du nombre de personnes dont les besoins de base ne sont pas satisfaits est une conséquence directe de la stratégie économique promue par la présidente Cristina Kirchner et appliquée par le ministre de l’économie Axel Kicillof. L’inflation constante [38,5% en 2014], la perte d’emplois et la baisse des salaires se traduisent par une augmentation du nombre des exclus. La pauvreté a augmenté d’un ou deux points, et le nombre de «nouveaux pauvres» a été évalué de 500’000 à 800’000. Ces conclusions découlent d’une série de recherches menées par des organisations civiles nationales et internationales pour calculer l’ampleur du problème en Argentine.

Le quotidien Clarin a eu accès à ces documents qui mettent en évidence non seulement cet accroissement de la pauvreté, mais également le fait que l’aide sociale proposée par l’Etat ne suffit pas à freiner la dégradation de la situation économique entraînée par la politique économique qui a été poursuivie.

L’ensemble des documents révèle également un fait inquiétant: au moins 2.3 millions d’enfants sont affectés par la pauvreté.

Ces informations concernent un point sensible pour la présidente Cristina Kirchner, car elles montrent que, contrairement à ce qu’affirme le récit officiel qui prétend que les conditions sociales s’améliorent, celles-ci se sont dégradées au cours des quatre dernières années de son mandat [élue en 2007 et réélue en 2011].

Pour 2015, les projections ne sont pas meilleures : le plafonnement salarial imposé par Kicillof va en effet entraîner une nouvelle chute des salaires.

L’Observatoire social de l’Université catholique argentine a complété un rapport sur l’étendue de la marginalité en Argentine à la fin 2014. Les données aboutissent à une conclusion inquiétante, car elles révèlent une augmentation de la pauvreté. C’est ainsi que le taux de pauvreté, qui était à hauteur de 27,5% en décembre 2013, avait augmenté, une année plus tard, d’un à deux points. Autrement dit, d’après ce rapport un sur trois Argentins – soit quelque 12 millions de personnes – est pauvre.

Le document est gardé en réserve. Le moment propice sera choisi pour diffuser ses conclusions. La prestigieuse Université catholique et l’Eglise ne veulent pas interférer dans le calendrier électoral, ni l’influencer [élections présidentielles en octobre 2015]. En outre, l’Observatoire social veut d’abord publier un rapport sur le narcotrafic qui est croissant. […]

Les projections du rapport social de l’Université catholique vont dans le même sens que d’autres études récentes. Le Centre d’études dirigé par Claudio Lozano [économiste, un des animateurs de la Centrale des travailleurs argentins, engagé sur le plan politique en 2014 avec Camino Popular, député] reflète une augmentation de la pauvreté. Des recherches internationales confirment également l’ampleur du problème social que la présidente laisse en héritage.

L’étude réalisée par l’UNICEF avec le soutien de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) précise que la pauvreté infantile en Argentine pourrait toucher 23,5% des enfants. Cette étude utilise un critère large pour mesurer le phénomène puisqu’elle tient compte non seulement du panier de base, mais également d’indicateurs de services concernant les besoins non satisfaits. C’est la méthodologie que préconisait Kicillof en public, mais comme les résultats contredisent sérieusement le récit présidentiel, le gouvernement tente de freiner la diffusion de tous les documents.

La pauvreté a baissé avec Néstor Kirchner et a augmenté avec Cristina

Jusqu’à maintenant, Kicillof n’a réagi à la détérioration sociale en Argentine qu’en occultant les statistiques de l’INDEC [Instituto Nacional de Estadistica y Censos].

La conclusion à laquelle est arrivé l’Observatoire social est indiscutabl : la pauvreté a pris l’ascenseur depuis 2012, avec les erreurs économiques du duo Guillermo Moreno (commerce intérieur) et Kicillof.

La détérioration sociale est le fruit d’une stratégie économique maladroite, les échecs se multiplient depuis le début de la gestion de Kicillof. L’année dernière, le ministre a provoqué une forte chute du salaire réel: en moyenne de 6% et de 9% pour les couches de travailleurs qui paient l’impôt dit de Ganancias, soit sur les salaires entre 15’000 et 20’000 pesos. La décision de freiner les négociations paritaires libres provoquera une nouvelle baisse des salaires en 2015. Kicillof a révélé à deux patrons qu’ils [les syndicats] étaient sur le point de conclure un accord pour une augmentation de 30%. En parlant avec Carlos de la Vega (président de la Chambre du commerce) il lui a dit, furieux: «Je m’oppose à ce qu’ils signent cette augmentation avec Cavalieri [le dirigeant du syndicat des employés de commerce]». Ensuite il a précisé à Osvaldo Cornide (Confédération des PME): «L’ajustement maximum que j’accepte doit être de 23 au 24%.»

La négociation a échoué. Cornide a confié à Cavalieri: «Plutôt que des négociations paritaires, le gouvernement veut un arbitrage salarial.»

Kicillof prétend briller en tant qu’économiste hétérodoxe, pour reprendre la formule de Daniel Scioli. Mais sa politique ressemble de plus en plus à un cocktail à la Menem: il a lancé un processus accéléré d’endettement, il garantit de juteuses rentes avec le processus économique qui a été appelé «bicyclette financière» et il approfondit le retard en matière de change [le différentiel entre le taux de change officiel et celui parallèle, «le dollar bleu» est important], ce qui affecte la croissance. En plus, il adhère à une autre recette orthodoxe obsolète : il veut des plafonnements pour faire baisser les salaires parce qu’il pense – comme les économistes libéraux – que ce sont les salaires qui génèrent l’inflation.

Le ministre a convaincu Cristina de la justesse de ces idées et a proposé une réforme molle de Ganancias (un abaissement du taux d’imposition) pour contrôler les syndicats. Ce rafistolage confus a en outre suscité une lutte interne féroce entre Kicillof et Ricardo Etchegaray [fonctionnaire de l’administration fédérale des impôts]. (Traduction de A l’Encontre, publié dans Clarin le 9 mais 2015)

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