Tunisie. La question sociale, la pauvreté des jeunes et les salafistes

Abderrahmane Hedhili (au centre)
Abderrahmane Hedhili (au centre)

Entretien avec Abderrahmane Hedhili
conduit par Alain Baron

Sur le plan économique et social quelles sont les différences entre les deux partis arrivés en tête lors des élections de la fin 2014 ?

En ce qui concerne le contenu du programme économique et le modèle de développement, il n’y a pas de différence entre Nidaa Tounès (représenté par le Président Béji Caïd Essebsi) et Ennahdha. Ce sont deux partis libéraux. La seule différence entre eux concerne des institutions religieuses ayant une activité économique où Ennahdha est encore plus réactionnaire.

Quelle va être la différence entre la politique économique et sociale du futur gouvernement et celle qui était menée précédemment?

Je pense qu’il n’y aura pas de différence. En effet, je pense qu’ils ne vont pas faire de réforme sur le plan économique, à par peut-être quelques petites retouches. Ils ne vont pas faire de rupture avec le modèle de développement existant depuis Ben Ali [avec la fonction de Président depuis novembre 1987 au 14 janvier 2011]. Ce modèle a été poursuivi par tous les gouvernements qui lui ont succédé. Ils disent qu’il faut des réformes, mais en réalité, ils ne vont en faire aucune.

Quelles vont être les réactions du monde du travail ?

Il faut distinguer deux grandes catégories :

• Il y a, d’une part, les plus précaires comme ceux qui travaillent sur les chantiers et dont beaucoup gagnent moins que le SMIC, ou encore les diplômés chômeurs, et les chômeurs non diplômés dont on parle peu mais qui sont beaucoup plus nombreux.

Cette catégorie ne va pas rester les bras croisés. Ils ont attendu depuis quatre ans dans l’espoir d’une feuille de route prenant en considération leur situation. Mais il n’y a rien eu.

• Il y a, d’autre part, les salariés ayant un emploi stable dans les différents secteurs. Ils sont aujourd’hui très touchés par la détérioration de leur pouvoir d’achat. Ils sont vraiment en train de s’appauvrir. Leur priorité est le pouvoir d’achat, le coût de la scolarisation des enfants puis de l’aide à leur apporter ensuite lorsqu’ils sont diplômés-chômeurs, etc.

Cela est manifeste au niveau du taux de participation aux grèves. Auparavant, on atteignait des chiffres entre de 60 % et 90 %. Maintenant, c’est souvent 100 %, comme chez les enseignants ou dans les transports. Jamais les taux de grévistes n’ont été aussi élevés.

Si le futur gouvernement ne donne pas un message fort sur les grands dossiers d’ordre social, il n’y aura pas de stabilité dans ce pays.

Quelles autres conséquences a le développement de la pauvreté ?

Je suis étonné par le fait que dans tous les discours du gouvernement actuel et du nouveau Président, il y a une question liée à la pauvreté qui n’est jamais abordée. Il s’agit de celle des jeunes salafistes. Personne n’en parle. Ils sont nombreux, plus que 100’000. Je ne parle pas de ceux qui ont pris les armes et sont passés au terrorisme. Je parle des jeunes qui sont au début du parcours.

Avons-nous un programme d’ordre social, économique, culturel? Comment aborder cette question? Ni le gouvernement, ni l’opposition, ni la société civile, personne. Les salafistes sont très actifs parmi la jeunesse dans les quartiers populaires.

Parce que malheureusement, nous, la gauche. nous devrions être présents dans ces quartiers, mais nous avons cédé la place aux islamistes.

Le FTDES (Forum tunisien des droits économiques et sociaux) est en train d’écrire une étude faisant le lien entre le terrorisme et la question sociale. Nous avons également rendu public une étude sur l’augmentation des suicides.

Quel autre axe de mobilisation te paraît-il important ?

L’environnement n’est plus une préoccupation n’intéressant que les élites. Ce thème touche également une partie importante de la population, comme par exemple le problème des déchets sur l’île de Djerba, la pollution dans la baie de Monastir, celle des usines à Gabès, et bien entendu dans le bassin minier.

Le 6 et le 7 février, se tiendra une rencontre à ce sujet en Tunisie. L’environnement sera un thème important lors du Forum social mondial qui se tient fin mars 2015 à Tunis. (Propos recueillis le 16 janvier 2015)

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Abderrahmane Hedhili est un des principaux animateurs du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une association tunisienne dont les thématiques sont le droit du travail, le droit des femmes, les droits environnementaux et les droits des migrants. http://ftdes.net/ Le FTDES est prioritairement tourné vers les populations les plus en difficulté et peu organisées. Il coopère notamment avec l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) et diverses associations tunisiennes. Le FTDES constitue naturellement la colonne vertébrale de l’organisation des forums sociaux en Tunisie.

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