Soudan. L’ombre de Riyad, du Caire et d’Abou Dabi derrière le durcissement des militaires

Par Camille Magnard

La répression sanglante du mouvement révolutionnaire civil au Soudan a fait 35 morts. en coulisse, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les Emirats soutiennent le pouvoir militaire contre la rue soudanaise.

C’est donc la contre-révolution, incarnée par l’armée, qui tente de dévorer la révolution, écrit en substance Simon Tisdall dans The Guardian. Ça avait commencé hier lundi avec une explosion de violence meurtrière, pour disperser et détruire les sit-in tenus dans le centre de Khartoum par les forces civiles.

«Pas moins de 35 morts», confirme The Sudan Tribune, parmi les manifestants pacifiques où l’on trouve toujours de très nombreuses femmes mobilisées. La répression contre la rue n’avait fait que croître depuis des semaines, mais jamais elle n’avait atteint une telle ampleur. Le Général Al Burhan a eu beau, comme à chaque fois, rejeter toute responsabilité dans ces violences, appeler à une enquête indépendante et renvoyer la faute sur les sanguinaires milices paramilitaires des RSF avec lesquelles il nie tout lien… le subterfuge ne prend pas, et bien avant que le général n’annonce la fin des pourparlers avec l’Union des forces civiles cette nuit, cette même union avait de toute façon déclaré qu’elle ne s’assiérait plus à la table des négociations avec les militaires.

Il faut aussi replacer cette explosion des tensions soudanaises dans un contexte plus régional

C’est ce que nous permet là encore The Guardian, pour qui «ce n’est pas un hasard si les militaires sont passés à la manière forte au lendemain d’une série de rencontres entre leurs leaders et des représentants des régimes autoritaires arabes». Ces trois puissants voisins que sont l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, affirme Simon Tisdall, ne veulent pas d’un Soudan véritablement démocratique, alors ils font tout en sous-main «pour saper les aspirations du mouvement de réforme civil». A défaut d’avoir pu sauver Omar El Béchir, ils soutiennent à présent le maintient au pouvoir des militaires qu’ils auraient donc poussés à hausser le ton hier.

Et le conflit n’en finit pas de s’envenimer entre les deux forces qui ont chassé du pouvoir, le 11 avril, le dictateur Omar El-Béchir : d’un côté les militaires, bien décidés à garder les rênes de la transition politique, et de l’autre les civils, qui ne veulent pas se faire voler «leur» révolution. La Sudan Tribune, quotidien en ligne et en langue anglaise de Khartoum, nous livrait au beau milieu de la nuit le dernier acte de cette lutte entre alliés d’hier : le commandant en chef de putschistes, le général Abdel Fattah Al Burhan, aux commandes du Conseil de Transition militaire, annonce qu’il cesse toute discussion avec les forces civiles, qu’il ne laissera pas le Soudan entre les mains d’un nouveau clone de régime totalitaire » et qu’il va convoquer d’ici 7 mois des élections générales.

Et l’on ne lira pas autre chose sur le site d’Al Jazeera, où l’on fait bien sûr le parallèle avec la manière dont les printemps arabes de 2011 et après ont été étouffés dans la région, ou repris en main par l’armée en Egypte avec l’arrivée au pouvoir du général Al Sissi. Mais au moment d’étudier les scénarios possibles pour le Soudan, Al Jazeera n’exclut pas que, malgré la violence toujours plus forte qui leur est opposée, les Soudanais ne poursuivent leur mobilisation non-violente, faite de désobéissance civile et de grève générale, pour refuser que leur destin ne soit écrit au Caire, à Riyad ou à Abou Dabi.

The Guardian, enfin, appelle les grandes puissances occidentales à ne pas rester sourdes à l’appel que nous lancent les Soudanaises et les Soudanais, un appel à la démocratie, à la liberté. Ça passera forcément par l’Amérique de Donald Trump, si celui-ci arrive à sortir de sa politique arabe uniquement pro-saoudienne. Mais Simon Tisdall s’interroge enfin : que fait l’ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni ? Son ambassadeur à Khartoum est paraît-il très actif sur twitter, pour appeler civils et militaires à négocier ensemble les contours de la transition démocratique : trop peu, et surtout beaucoup trop tard… (4 juin 2019, Revue de presse internationale de France Culture à 7h35)

 

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