En Sierra Leone, «vivre» avec 2 dollars par jour et la menace d’Ebola

SierraLeonnePar Patricia Huon

Fortement frappé par l’épidémie, le pays voit également son économie s’effondrer. Les populations pauvres en sont les premières victimes.

«Ebola est réel» : dans les rues de Freetown, la capitale sierra-léonaise, cet avertissement est affiché partout. Malgré l’épidémie, les marchés sont pleins, les rues encombrées par les embouteillages aux heures de pointe. Mais Ebola est sur toutes les lèvres. Et les sirènes des ambulances qui sillonnent la ville rappellent l’ampleur de la crise.

Il y a quatre mois, le gouvernement a décrété l’état d’urgence pour tenter de briser la chaîne de transmission du virus. «En temps normal, je passe des matchs de foot à la télé. Mais maintenant, la police me dirait que je provoque un rassemblement, soupire Bilal Bah, propriétaire d’un petit restaurant dans le centre populaire de la capitale, qui se plaint que les affaires marchent mal. Avant cet Ebola, j’avais prévu d’agrandir l’établissement. Aujourd’hui, je ne peux même plus payer mon personnel.» Les cinémas, les discothèques sont fermés, quelques bars continuent d’ouvrir le soir, mais la musique n’est pas autorisée. «Les fêtes de fin d’année approchent, mais l’atmosphère n’est vraiment pas à la réjouissance, dit Bradley Green, un courtier dans le secteur minier qui tente de se reconvertir dans l’organisation du transport de journalistes et de matériel pour les ONG. On ne sait pas de quoi sera fait l’avenir, donc mieux vaut économiser.»

A la radio, dans les rues, les campagnes dites de prévention sont quotidiennes. «On dit qu’il faut éviter les contacts physiques, alors certains préfèrent ne pas s’attarder au marché, rapporte une vendeuse de cacahuètes. Surtout, nous devons fermer à 18 heures, alors qu’une bonne partie du commerce se faisait le soir, quand les gens sortaient du travail.» Pour les clients aussi, la crise actuelle a des conséquences. «Le prix de ces piments aura peut-être doublé demain, se plaint Janet Komba, une mère de famille venue faire ses achats du jour. Certains aliments ne sont pas disponibles, ou arrivent sur le marché presque pourris.» Beaucoup de denrées alimentaires viennent des zones rurales placées en quarantaine, d’autres sont importées via des pays de la région, et les camions doivent passer de nombreux postes de contrôle pour rejoindre la capitale.

carte-sierra-leoneUne situation qui complique l’acheminement des marchandises et fait grimper les prix. «Dans un pays pauvre, comme la Sierra Leone, toute augmentation des prix de la nourriture pèse lourd sur le budget des familles», constate Samuel Turay, de l’Institut de statistiques de Sierra Leone. Une stabilisation de l’épidémie et une levée de l’état d’urgence devraient cependant stopper l’inflation. Mais le virus pourrait entraîner des répercussions à plus long terme. «Le plus difficile sera de garantir la sécurité alimentaire au cours des prochains mois, et de faire revenir les entreprises qui ont quitté le pays» estime Moses Sichei, consultant en économie auprès du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). «L’agriculture, la production minière, le secteur de la construction, l’hôtellerie, tous ces secteurs ont été touchés. Il y a aussi eu une forte diminution des rentrées d’impôts, et donc des marges de manœuvre du gouvernement à l’avenir.»

En 2013, la Sierra Leone enregistrait une croissance du PIB de 13%, une des plus fortes du continent [en dollars constants, la stagnation et même le recul ont duré jusqu’en 2001, puis une croissance tirée par le secteur du cacao, du café, du grain de palme et par le secteur minier s’est affirmée jusqu’en 2012-2013; certes le point de départ était au plus bas – Réd.]. La Banque mondiale prévoit désormais une récession de 2% pour 2015. L’investissement direct étranger (IDE) a également été affecté par la crise. Une situation qui s’ajoute à un chômage déjà élevé dans le pays, ravagé par onze ans de guerre civile (1991-2002) et où les trois quarts de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour. Mais c’est dans les zones rurales que les conséquences de l’épidémie se font le plus sentir. Le café et les fèves de cacao représentent environ 90% des exportations agricoles de Sierra Leone. Mais les régions où ils sont cultivés, dans l’est du pays, ont été durement frappées par le virus. «De nombreuses fermes ont été abandonnées parce que les fermiers craignaient de contracter la maladie. Des familles entières ont été décimées ou ont perdu leur principal soutien», constate Yusuf Sankoh, représentant de l’Association nationale des fermiers à Freetown.

A Port Loko, à deux heures de route de la capitale, où le nombre de cas a fortement augmenté ces dernières semaines, les cultures de subsistance ont souffert de la crise et les marchés hebdomadaires, qui permettaient aux fermiers d’écouler leur production localement, sont désormais interdits. «Les plants sont envahis par les herbes. Et à cause d’Ebola, on ne peut pas travailler en groupe, dit Abdul Karim Kamara, à la tête d’une coopérative de fermiers qui cultive 20 hectares de manioc. Alors nous venons de temps en temps, une ou deux personnes à la fois, et essayons de sauver ce qu’on peut.»

Le sauvetage de l’économie de la Sierra Leone nécessitera le déblocage d’une aide financière importante. «Nous comptons sur la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et nos autres partenaires internationaux», dit Paolo Conteh, directeur du Comité national de réponse à l’épidémie d’Ebola. Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim a annoncé 130 millions d’euros pour aider au redressement de l’économie du pays. Mais l’épidémie pourrait coûter au moins 1,6 milliard d’euros aux trois pays les plus touchés (Sierra Leone, Liberia et Guinée). Le gouvernement sierra-léonais a planifié son budget pour l’an prochain sur l’hypothèse que l’épidémie sera sous contrôle d’ici un mois environ. Pour le moment, rien n’est moins sûr. Et question ultime et décisive: l’épidémie prendra-t-elle un caractère endémique? (Libération, 16 décembre 2014)

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Suite à la conférence de Patrick Zylberman, à Lausanne le 11 décembre, sur les multiples facteurs explicatifs de l’épidémie Ebola, un DVD sera produit par le Cercle la Brèche et le site alencontre, avec l’appui des Editions Page deux et du MPS. Il sera disponible dès le 20 janvier 2015. Il peut être commandé sous l’objet «DVD Zylberman» à l’adresse mail suivante: editions@page2.ch

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