La colère s’étend dans la société congolaise

Par Colette Braeckman

L’enregistrement des électeurs et électrices doit se terminer le 31 juillet. [Cela dans un climat de chute du franc (FC) de la République démocratique du Congo. Il a été stabilité durant 3 ans à 920 FC pour un dollar, pour glisser dès janvier 2017 et passer la barre des 1615 FC, ce qui implique une forte inflation et une atteinte au pouvoir d’achat des moins favorisés qui n’ont pas accès à des devises ou des substituts de devises: pierre, or, etc.]

La tension monte dans tout le Congo. Tandis qu’à Kinshasa, l’abbé Nshole, porte-parole de la Conférence des évêques (Cenco), n’hésite pas à dire que les prélats ont été «roulés» car les accords de la Saint-Sylvestre [passés sous l’autorité de l’Eglise en décembre 2016 et devant faciliter la transition entre le pouvoir en place et l’opposition], qui devaient assurer une transition pacifique dans l’attente des élections, n’ont pas été appliqués. La population, suivant les mots d’ordre diffusés par l’Eglise et les organisations de la société civile, se prépare à «se prendre en charge».

Encore souterrain, un vaste mouvement de désobéissance civique se prépare. Et au Sud-Kivu, bastion traditionnel de l’opposition, des actions concrètes sont envisagées, comme le refus de s’acquitter des diverses taxes qui accablent la population sans qu’on en voie jamais les bénéfices. «Pourquoi payer les redevances pour l’eau, alors que les robinets sont à sec? , nous explique Crispin, un étudiant. «Pourquoi payer le Foner (fonds pour l’entretien des routes, géré par Zoé Kabila, frère du président), présent à chaque barrage, alors que les travaux n’avancent pas, que les pistes sont creusées de trous béants? Pourquoi payer pour l’électricité, alors qu’il n’y a plus de courant? » Et de citer déjà des cas où les citoyens se sont «pris en charge»: ils ont chassé les collecteurs d’impôts, tabassé les fonctionnaires, impayés eux aussi, qui réclamaient des taxes…

A Goma, Serge et Grâce, étudiants, sont attachés à faire réussir l’appel lancé par l’organisation citoyenne Lucha (Lutte pour le changement) et d’autres organisations de la société civile pour le 31 juillet: «Nous avons appelé à manifester, à rappeler que le 31 juillet, c’était la date butoir à laquelle la mise à jour du fichier électoral aurait dû être terminée, ce qui aurait permis de passer à une autre étape dans la préparation des élections.»

Corneille Nanga, le président de la Commission électorale indépendante, a cependant donné des nouvelles optimistes, assurant que 32 millions d’électeurs avaient déjà été répertoriés sur les listes et que les opérations d’enrôlement allaient commencer dans le Kasaï, malgré les troubles… Mais cela ne rassure pas nos deux étudiants: «Il aurait déjà dû avoir terminé. Et surtout, lorsqu’il déclare que les élections ne pourront avoir lieu en 2017, Corneille Nanga outrepasse ses prérogatives, il n’est qu’un exécutant…» Les mots d’ordre appelant à manifester pacifiquement le 31 juillet ne seront qu’un ballon d’essai: dès le 8 août, la pression montera encore si l’appel aux journées «Ville morte», lancé par le Rassemblement de l’opposition, était suivi par la population.

A Goma, l’abbé Mihigo, membre de la Commission Justice et Paix, croit qu’après l’abbé Nshole, simple porte-parole, ce sont les évêques eux-mêmes qui se prononceront et, peut-être, lanceront un «plan B» dont on ignore encore les modalités pratiques. «L’Eglise est prudente, rappelle l’abbé, aujourd’hui comme à l’automne dernier, elle veut éviter les violences, le désordre, elle privilégie la négociation. Alors que la population était prête à descendre dans la rue le 19 décembre dernier, c’est de justesse qu’avait été conclu l’accord de la Saint-Sylvestre qui avait désamorcé la crise. Mais aujourd’hui, le pouvoir n’a pas respecté ses engagements (ni le Premier ministre ni le président du Comité national de suivi de l’accord n’ont été désignés par consensus) et on nous dit que les élections ne pourront pas avoir lieu en 2017. La tension monte dangereusement.»

Alors que les partis politiques, qui ont négocié avec le pouvoir durant des mois, se sont laissé diviser par des querelles de leadership après la mort d’Etienne Tshiskedi [en février 2017 à Bruxelles] et que tous sont soupçonnés d’avoir monnayé leur soutien, soit auprès de Kabila, soit auprès du riche homme d’affaires Moïse Katumbi [qui est aussi candidat à l’élection présidentielle], l’Eglise catholique a gardé son autorité morale. La raison en est simple: l’Etat défaillant ne protège pas, ne soigne pas et est surtout perçu comme un collecteur de taxes, mais c’est l’Église qui gère un important réseau d’enseignement, assure les soins de santé de base et crée des mutuelles de santé, soutient les organisations de femmes, les mouvements de jeunesse, témoigne des exactions et des crimes. «Lorsque les creuseurs sont spoliés, chassés, c’est l’Eglise qui les aide à s’organiser, qui leur fournit un appui juridique, nous explique Crispin. Dans les régions où la population se sent abandonnée, seule l’Eglise reste présente.»

L’Église catholique n’est cependant pas seule à exercer ce rôle de suppléance sociale: les églises protestantes et kimbanguiste [Eglise créées en 1987, de type chrétien et prophétique] font de même, les musulmans aussi sont organisés. Le pouvoir essaie d’ailleurs de miser sur la concurrence entre les confessions religieuses. Et aujourd’hui que les catholiques basculent dans l’opposition, le régime fait les doux yeux aux églises protestantes et à leur chef Mgr Marini Bodho. Lors d’un récent séjour à Kisangani, le président Kabila n’avait pas hésité à interpeller l’évêque catholique du lieu: «Alors, on prêche la révolution?» Pour le moment, la question est encore prématurée… (Colette Braeckman est l’envoyée spéciale du quotidien belge Le Soir, article publié le 31 juillet 2017)

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