Algérie. Hirak: «Pour une trêve sanitaire»

Pour Mustapha Benfodil

«Le corona ne passera pas par moi! Par son pacifisme et son civisme, le hirak a émerveillé le monde. Montrons-nous de nouveau à la hauteur par notre niveau de conscience et notre sens des responsabilités. Suspendons nos marches pour 4 semaines. Les marches, on peut les reprendre un jour, les vies perdues le sont pour toujours!»

Cet appel du cœur est de l’écrivain et journaliste Lazhari Labter, un inconditionnel du hirak. Il n’est pas le seul à appeler à la raison au moment où l’épidémie de coronavirus fait des ravages dans de nombreux pays et s’installe inexorablement chez nous. Ce contexte épidémiologique inquiétant amène de plus en plus de voix au sein du hirak à lancer des appels pour une suspension des manifs au nom du principe de précaution et de «distanciation sociale».

«Arrêter les marches est un devoir qu’on ne doit même pas discuter. Maintenant, nous devons faire pression sur ce gouvernement amateur pour qu’il ferme les frontières et les mosquées», plaide le Dr Aissam Chibane, chirurgien au Centre Pierre et Marie Curie, à l’hôpital Mustapha, via son compte Facebook. Notoirement engagé dans le mouvement citoyen, le Dr Chibane confie dans un autre post: «Au début, il était très difficile pour moi de lancer l’alerte par crainte d’être mal compris. Dieu merci, beaucoup de mes amis du hirak pensent la même chose et appellent à la sagesse.»

Une photo publiée par notre consœur Meriem Naït Lounis sur son compte Twitter montre une hirakiste de la première heure portant un masque de protection et arborant une pancarte assortie de ce message: «Suspendre les marches jusqu’au 03 avril, qu’en pensez-vous? Le régime ne nous protégera pas. Système en faillite. Décidons ensemble de protéger notre révolution».

Kader Farès Affak, militant au long cours, propose pour sa part: «Ville morte les vendredi, samedi et mardi… C’est possible aussi.» Autre voix qui porte: celle de l’activiste Sid Ali Kouidri Filali dont les posts sont très suivis. Sid Ali écrit dans une de ses récentes publications: «La responsabilité politique implique la responsabilité morale, et la responsabilité tout court. L’émotion ne doit pas l’emporter sur le bon sens, ni la ferveur sur la réalité. On n’a pas choisi nos ennemis ou notre époque, et ce corona en fait partie aussi. Agissons en responsables, intelligemment, comme on l’a toujours fait. Sans passion exacerbée et sans détruire tout ce qui a été fait. Respectez les consignes, protégez-vous ainsi que votre entourage. Oui, rien ne passe avant l’engagement et le militantisme. Sauf qu’un militant mort ne sert pas à grand-chose. Posez-vous yaw, echourbou kess jus et respirez! C’est pas hirak contre corona, c’est plutôt corona contre tout le monde.»

«Un front de solidarité nationale»

Autre figure très impliquée dans le mouvement de contestation: Saïd Salhi, vice-président de la LADDH (Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme). Tout en appelant à la vigilance extrême face à l’agressivité du Covid-19, le militant des droits de l’homme pointe la responsabilité du régime en place qui continue à réprimer au lieu d’apaiser les tensions et créer les conditions d’une «trêve» avec le hirak. «Je respecte les avis de ceux qui disent qu’il faut suspendre le hirak, faire une trêve. Une trêve entre qui est qui? Le corona n’attend pas et ne respecte rien. Mais le pouvoir qui est la partie en conflit avec le hirak doit la faire cette trêve, au nom du même intérêt, celui de préserver la santé publique», note-t-il sur sa page officielle.

Et de faire remarquer: «La répression, les arrestations des activistes ne participent sûrement pas à cet apaisement.» «Oui, il faut prendre au sérieux la menace du corona. Mais encore une fois, la première responsabilité tombe sur le pouvoir de mobiliser le pays, tout le pays, dans la sérénité et la solidarité. Mettre en place un plan national de prévention, de lutte contre le corona, un plan qui ne concerne pas seulement le hirak mais tous les aspects de la vie de tous les jours, tous les espaces publics (marchés, transports, lieux de cultes, cafés, places publiques…)», insiste Saïd Salhi.

Il écrit, par ailleurs: «Il faudra aller vers d’autres formes, en dehors des marches s’il le faut. Aller plus vers l’auto-organisation du hirak et se préparer à assumer les tâches de solidarité nationale. Le hirak devra rester comme acteur citoyen de sensibilisation, de solidarité, et s’il le faudra, de mobilisation nationale contre le corona. Oui, nous ferons front contre le corona (…). Oui, nous pouvons créer des groupes de solidarité, de secours, d’aide, de sensibilisation. Le hirak a les moyens de le faire. Il surprendra ceux qui doutent de ses capacités, de sa maturité, de son génie, de son degré de conscience.»

Mahmoud Rechidi du PST (Parti socialiste des travailleurs) estime, lui aussi, à travers une déclaration publiée sur les réseaux sociaux, que «l’arrêt du hirak pendant 2, 3 ou 4 semaines afin d’éviter la pandémie est envisageable». Il précise: «C’est aux différents animateurs du hirak, notamment les jeunes, les femmes, les collectifs étudiants, les collectifs citoyens, les partis, les syndicats, les différentes organisations, etc., (je dis bien animateurs du hirak) de se concerter et proposer une formule permettant non seulement la protection sanitaire des citoyens et des citoyennes du hirak, y compris par sa suspension momentanée, mais assurant aussi sa sauvegarde par une reprise encore plus belle dès la fin de l’alerte au coronavirus.» (Article publié dans El Watan en date du 17 mars 2020)

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