Algérie. 52e vendredi du hirak: soutien populaire au procureur Belhadi défenseur de l’indépendance de la justice

Par Mustapha Benfodil

Vendredi, 14 février 2020. Comme l’a écrit un hirakiste sur Facebook: «Toutes les belles dates ont coïncidé avec nos vendredis de révolution». Et une de plus dans le calendrier heureux du mouvement.

Cette fois, ce 52e acte du hirak populaire a coïncidé avec la fête de l’amour. La Saint-Valentin. Alors, forcément, le génie créatif des manifestants n’a pas manqué de verve pour combiner «Amour» et «Révolution».

Meriem, une inconditionnelle du mouvement du 22 février, maman de trois adorables garçons, parade avec cette pancarte: «Mon seul amour, c’est l’Algérie. I love Algeria!» Pour elle, il est indéniable que le mouvement populaire a contribué de façon remarquable à réconcilier les Algériens, en particulier les jeunes, avec leur patrie et a boosté en eux l’affect patriotique.

Messaoud Leftissi, une des figures les plus en vue du hirak qui avait été arrêté le 21 juin et libéré le 23 décembre 2019 après six mois de détention, brandit pour sa part cette pancarte: «Pour l’amour de l’Algérie. Happy Constituent Day», «constituent» en anglais signifiant «constituante»

«Je t’aime, Révolution!»

Une jeune femme proclame son amour pour le hirak à travers cette belle déclaration entourée d’un grand cœur: «Ouhibouki ya thawra» (Je t’aime, Révolution). Un jeune homme, qui défilait avec elle rue Didouche, s’est fendu de son côté de cette autre marque d’affection dédiée manifestement à tous les hirakistes: «Je vous aime, hommes libres !»

Autre message inspiré du même thème: «Amour et démocratie en crise. Vive l’indépendance! Solidaire avec le procureur!» Et le magistrat à qui est destiné ce geste de solidarité n’est autre que le procureur Sid Ahmed Belhadi. Ce dernier exerçait jusqu’à il y a quelques jours au tribunal de Sidi M’hamed [commune du centre d’Alger]. Il aurait été muté vers Guemmar, près de Oued Souf.

Contre toute attente, il avait requis, le 9 février dernier, la relaxe au profit de 16 manifestants qui avaient été arrêtés le 17 janvier dernier, lors du 48e acte du hirak. «Les Algériens marchent d’un pied ferme vers l’Algérie nouvelle, une Algérie où la justice sera libre et indépendante. Les Algériens scandent des slogans réclamant une justice libre et indépendante. Pour cela, j’assume mes responsabilités en tant que représentant du parquet. En concrétisation du principe de l’indépendance de la justice, et pour qu’on ne dise pas qu’on fonctionne avec les injonctions d’en haut, le parquet demande la relaxe» avait-il plaidé, selon des propos rapportés par radiom.info. Hier, la plus grande déclaration d’amour exprimée par le peuple du hirak était finalement pour le jeune «proc».

Et c’est en soi une première: jamais un procureur de la République n’a joui d’un tel élan de solidarité et de sympathie, le représentant du parquet étant d’ailleurs surnommé habituellement «El Gherraq» par la vox populi: «Celui qui enfonce». Farid, un des manifestants arrêtés le 17 janvier, fait ardemment campagne en faveur du magistrat, hissant haut son portrait assorti de ces mots: «Le hirak est solidaire avec le procureur de la République de Sidi M’hamed, Sid Ahmed Belhadi.»

Des dizaines d’autres manifestants hissaient des affiches à son effigie avec ce slogan: «Sidi M’hamed Belhadi, fierté de la justice algérienne». Une autre série de slogans saluant là encore le geste du procureur, disait: «Le peuple se souviendra de ses héros.» En outre, des activistes distribuaient un tract avec ce message: «Toute solidarité individuelle ou collective avec le procureur Sid Ahmed Belhadi est un acte contre el hogra [l’injustice]. Libérons la justice!»

«On l’a arraché des mains de la police»

Avant la grande déferlante post-salate el djoumouâa [prière du vendredi], la matinée a été une nouvelle fois marquée par un déploiement massif des forces de l’ordre le long des principales artères de la capitale. Un petit groupe d’irréductibles a tenté tout de même de faire entendre sa voix sur la rue Ahmed Zabana avant d’être pourchassé par la police. «Ils ont essayé d’embarquer un de nos camarades mais nous avons réussi à l’arracher d’entre les mains de la police», témoigne Farid. Ali, un autre citoyen présent à la manif’ confirme: «On l’a extirpé du fourgon de la police. On est résolus à ne les laisser embarquer personne!» assure Ali.

A mesure que l’heure de la manif’ approche, une foule de plus en plus dense se masse près de la mosquée Errahma, majoritairement sur le boulevard Victor Hugo. Vers 13h, les manifestants se sont mis à scander: «Dawla madania, machi askaria!» (Etat civil, non militaire). Des appels au calme sont lancés alors que la voix du muezzin s’élevait du haut du minaret de l’ex-église Saint-Charles.

13h41. Dès la fin de la prière, un brouhaha gronde aux cris de «Dawla madania, machi askaria» (Etat civil, non militaire), «Tebboune m’zawar, djabouh el askar» (Tebboune est un Président fantoche ramené par les militaires). Avec l’imminence du premier anniversaire du Mouvement, on note un peu plus de ferveur. Il y a plus de monde en tout cas que les derniers vendredis. Les cortèges défilent avec énergie en martelant: «Oh ya Ali, ouladek ma rahoumche habssine, oh ya Ali, âla el houriya m’âwline» (Oh Ali, tes enfants ne céderont pas. Oh Ali, on est déterminés à arracher notre liberté), «Enkemlou fiha ghir be esselmiya, we ennehou el askar mel Mouradia» (On poursuivra notre combat pacifiquement et on boutera les militaires d’El Mouradia), «Qolna el îssaba t’roh, ya hnaya ya entouma!» (On a dit la bande doit partir. C’est nous ou bien vous). A un moment donné, les manifestants lancent: «Allah Akbar Ahmed Belhadi!» tout en fustigeant le ministre de la Justice, M. Zeghmati.

«Le Hirak a toujours raison»

Sur les pancartes qui défilent, ce florilège de messages: «Persévérants jusqu’à ce que se produise le changement»; «On n’abdiquera pas!»; «Le peuple veut un Etat de droit», «Non à la justice du téléphone» «Pas de nouvelle Constitution sans Constituante», «Le régime se maintient, notre combat continue». Ammi Said a une pensée pour les victimes des essais nucléaires français perpétrés il y a quarante ans: «13/02/1960: France, Reggane, le nucléaire. 2020: Gaz de schiste. Système diabolique. Quelle honte!» dénonce-t-il.

Un citoyen propose: «A partir du 1er mars, tous les dimanches, marche nationale à Alger». Un jeune homme clame: «Le hirak a toujours raison!» Un monsieur résume les principales revendications du mouvement en ces termes: «Libertés politique, d’expression, de manifestation et d’opinion». Une dame fait ce serment: «On se bat et on se battra avec toutes les énergies dont nous disposons pour venir à bout de ce système pourri». Un manifestant complète: «Le 22 février est un jour béni pour notre révolution. Le hirak se porte bien et il ne fléchira pas comme l’ont prétendu certains».

14h20, mouvement de panique à la place Audin. Une détonation sourde déchire le ciel, suivie d’un nuage de fumée. Des lacrymos. «Silmiya! Silmiya!» [pacifique] lâchent des voix appelant au calme. D’autres hurlent: «Pouvoir assassin!» «Ils ont essayé d’arracher le drapeau amazigh à un manifestant», témoigne un étudiant. Cependant, la police ne parvient pas à embarquer l’homme en question, protégé par une masse compacte. Tout rentre rapidement dans l’ordre et même l’emblème amazigh n’est pas confisqué. La marée humaine déterre pour la circonstance l’un des plus beaux refrains du hirak: «Lebled bledna ou’endirou rayna!» (Ce pays est le nôtre et nous ferons ce qui nous plaît). Ammi Boudjemaâ brandit ces mots d’ordre: «Assez des violences policières!»; «Vous agressez notre peuple».

Au milieu de cette agitation, la jeune femme évoquée plus haut arbore stoïquement sa pancarte: «Ouhibouki ya thawra». Un peu plus loin, au carré féministe, des militantes chantent sur un air de Bella Ciao: «Qanoun el oussra, wel ounf wel hogra, yetnahaw ga3!» (Le code de la famille, la violence, l’injustice, qu’ils dégagent tous!) Le mot «Amour» est déployé en caractères géants derrière la rangée de militantes. Une autre femme a ce message percutant: «L’amour qu’on porte pour ce pays est plus fort que votre haine et votre mépris».

«Ecrivez sur ma tombe: il est sorti le 22 février»

14h50. Sur la rue Asselah Hocine, une marée humaine déferle en provenance de Bab El Oued, La Casbah… Là encore, plusieurs portraits du procureur Belhadi sont brandis. La foule crie «L’istiqlal! L’istiqlal!» (L’indépendance). A un moment, les manifestants répètent: «La saison 2 tebda (commence) le 22». La foule entonne ensuite plusieurs fois: «Makache derby, kayen massira», référence au clasico algérois MCA-USMA [match entre le Mouloudia Clun d’Alger et l’Union sportive de la médina d’Alger] prévu le 22 février. Un manifestant aguerri brandit cette pancarte: «La hizb fawqa hizb echaâb!» (Aucun parti n’est au-dessus du parti du peuple).

Un homme dans la soixantaine, au visage lumineux et à la barbe blanche, brandit cette pancarte émouvante qui résume l’effet psychologique du hirak: «Si je meurs, écrivez sur ma tombe: ‘‘Il est sorti le vendredi 22 février 2019 lors de l’intifada bénie et il est mort heureux, confiant dans la victoire émanant de Dieu.” Priez sur ma tombe et faites-moi écouter ces hymnes: Makache el vote (pas de vote), Klitou lebled ya eseraquine (Vous avez pillé le pays, voleurs), Pouvoir assassin». (Article publié dans El Watan en date du 15 février 2020)

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